Maroc

Crans Montana Forum : L’Afrique en quête de sécurité alimentaire

Le caractère familial des exploitations, la taille limitée des surfaces, le faible niveau des rendements et les aléas climatiques sont les principaux obstacles qui entravent le développement du secteur agricole en Afrique. Les participants à la troisième édition de Crans Montana Forum plaident pour la mise en place de nouveaux mécanismes innovants facilitant l’accès aux petits agriculteurs. ­­

C’est de loin le panel qui a le plus attiré l’attention lors de la troisième édition du Forum Crans Montana, organisée du 16 au 21 mars à Dakhla. Les projections de la croissance démographique en Afrique tirent la sonnette d’alarme et interpellent les scientifiques qui ne savent toujours pas évaluer l’impact de la démographie sur le climat, et partant, sur la sécurité alimentaire. Mais l’on s’accorde à dire que l’incidence climatique va être considérable dans les pays subsahariens, en raison de la fragilité de leurs capacités d’adaptation, ce qui devrait se traduire par un rendement agricole faible. Voilà ce qui fait dire au Prix Nobel de la paix, Rattan Lal, par ailleurs président de l’Union internationale des sciences de sol, que «la dégradation des sols soulève un problème politique, compromettant la stabilité régionale. Cela pèsera de son poids sur le reste du monde et constituera une menace plus sérieuse que celles qui poussent aujourd’hui les États à dépenser des milliards pour l’armement».

Pour cet éminent spécialiste des sols, la solution passe par l’adoption d’une «stratégie d’adaptation» appuyée par des systèmes d’irrigation, tout en mettant à la disposition des agriculteurs, ceux de petite taille notamment, les ressources et les financements nécessaires. C’est à partir de là qu’on peut mesurer l’importance d’une coopération Sud-Sud à la fois politique, sociale et environnementale, basée sur le partage des expertises et des ressources. À Dakhla, le Nobel de la Paix a plaidé pour une approche horizontale et opérationnelle basée sur la transparence, la confiance, le respect mutuel et la fiabilité. «L’initiative marocaine triple AAA, lancée en marge de la COP22 de Marrakech, peut jouer un rôle majeur à ce titre, dans la mesure où elle vise à traduire la science en politiques favorables au profit des agriculteurs africains», soutient Rattan Lal.

Micro-agriculteurs
Chaque minute, pas moins de 16 personnes meurent de faim dans le monde. En effet, la rareté de l’eau et la famine constituent un sérieux problème en Afrique, en particulier dans la région du Sahel. «La population du continent est composée, à hauteur de 75%, de paysans, alors que nous n’avons pas encore atteint l’autonomie alimentaire», s’étonne l’ancien premier ministre guinéen et ex-secrétaire général de la CEDEAO, Lansana Kouyaté, ajoutant que cela est dû à la dominance d’une agriculture de substance.

Le manque de ressources hydriques ne fait qu’accentuer le phénomène de l’exode rural. L’abondance non plus n’exclut pas les problèmes. «En guinée, le stock de la nappe phréatique est estimé à 1.700 milliards de mètres cubes, mais paradoxalement, le pays affiche un déficit énorme en eau potable. Il ne suffit pas de dire que le potentiel existe, il faut passer aux actions concrètes», conclut Lansana Kouyaté. À elle seule, l’intervention du ministre de l’Agriculture et de la pêche au Soudan du Sud, James Jenga Duku, suffit pour se rendre compte des lacunes structurelles qui entravent la sécurité et l’autonomie alimentaires en Afrique. Pourtant, ce nouvel État, fraîchement créé en juillet 2011, dispose d’un potentiel très important en eau (Nil), en terres arables (500 mille mètres carrés) et en ressources animales (11 millions de chèvres et 12 millions de moutons). «Nous vous invitons à venir investir dans le secteur de l’élevage. Nous voulons avoir une vision d’ici 2040 du secteur agricole. La volonté politique existe, mais nous n’avons pas suffisamment de fonds pour mener des études pointues et mettre en place un système de contrôle et de prévention contre les maladies», affirme le ministre sud-soudanais, lançant un appel aux institutions internationales et à la coopération multilatérale et bilatérale et insistant sur le rôle majeur que son pays peut jouer pour rétablir la sécurité alimentaire en Afrique. Il faut dire que l’accès au financement, notamment pour les petits agriculteurs, reste le parent pauvre du secteur agricole. «L’enjeu est d’améliorer la productivité et de parvenir à désenclaver les zones agricoles. Les banques doivent innover dans la gestion du risque associé à ce secteur», estime Jacop Lushinga, directeur général de Bank Of Zambia (un milliard de dollars d’encours dans le secteur agricole). Sa banque, dit-il, a dû approcher les autorités de son pays pour bénéficier de lignes de crédits concessionnelles adossées à des taux inférieurs à ceux du marché. Le caractère familial des exploitations, la taille limitée des surfaces, le manque de garanties, le faible niveau des rendements, le déficit d’utilisation des innovations technologiques, les aléas climatiques, sont autant de contraintes communes à la zone de l’Afrique de l’Ouest qui expliquent la réticence des banques à l’égard des agriculteurs en Afrique. «Le système financier est appelé à apporter aux agriculteurs une valeur ajoutée, grâce à des ressources humaines et à des services adaptés aux besoins», soutient Amadou Sarr, directeur général d’Atlantic Microfinance for Africa, la filiale du Groupe Banques populaires, spécialisée dans la microfinance en Afrique de l’Ouest.

Sur ce terrain de financement précisément, le modèle développé par le Groupe Crédit agricole du Maroc semble le plus approprié à la réalité africaine. «Nous finançons les projets émanant des agriculteurs qui ne peuvent pas accéder au financement classique des banques. Notre modèle est adaptable et exportable. Nous avons noué des partenariats avec plusieurs pays africains», affirme Mohamed Ouchkif, directeur général de Tamwil El Fellah, une entreprise investie du service public, née d’un partenariat entre l’État et le CAM. Celle-ci se trouve aussi engagée dans l’esprit de l’initiative triple A, en finançant des projets de pompage d’eau via le solaire, ou encore ceux de reconversion de la céréaliculture vers l’arboriculture pour lutter contre la dégradation des sols. À Dakhla, les participants ont eu l’occasion de découvrir l’expérience marocaine dans le financement de la très petite agriculture, à travers le cas de la Fondation Ardi, elle aussi adossée au groupe CAM. Ardi apporte son soutien aux micro-agriculteurs à travers 236 points de vente dont 90% installés dans le monde rural. Elle compte, à ce jour, 109.000 clients pour un encours total de 280 MDH. «Nous envisageons de diversifier notre offre en renforçant notre présence dans les périmètres urbains. Nous voulons doubler nos réalisations pour atteindre un encours de 520 MDH et 300 nouveaux points de vente à l’horizon 2020», prévoit Mohamed Souaf, directeur général de la Fondation Ardi. 


Lansana Kouyaté
Ancien premier ministre guinéen et ancien secrétaire général de la CEDEAO

L’exode rural s’amplifie en Afrique. Les villages se vident alors que nous avons besoin d’une culture intensive. Nous restons à la merci de l’eau. Est-ce que nous attachons à l’aménagement des terres l’importance qu’il faut. Le jour où nous avions pensé à la mécanisation en distribuant des tracteurs aux paysans, ils les ont utilisés pour le transport. Je me suis battu pour l’installation d’un passeport Cedeao, mais à quoi sert-il si des centaines de barrages légaux et non légaux entravent encore la libre circulation des personnes et des marchandises ! Nous avons suivi le trajet d’une femme qui transportait sa marchandise entre le Niger et la Côte d’Ivoire. Elle devait payer 10 dollars à chacun des 150 barrages plantés sur son chemin. Bien évidemment, cet argent s’ajoute au coût de revient et tend à renchérir le prix des biens à l’export au sein de la Cedeao. Le commerce intra-Cedeao représente à peine 11% du commerce avec le reste du monde, alors que nous devrions aller vers 60%. C’est cela l’espoir que nous donne le Maroc en demandant à rejoindre notre communauté.


La MAMDA, pionnière de la coopération Sud-Sud

L’assurance agricole nous donne un exemple concret de coopération Sud-Sud. L’expérience de la Mutuelle marocaine agricole d’assurance (MAMDA) inspire plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Dans un esprit de solidarité et de confiance, des conventions ont déjà été signées avec 7 pays africains (Côte d’Ivoire, Ruanda, Tanzanie, Nigéria, Zambie, Madagascar et récemment le Ghana). La Mamda apporte son savoir-faire aux assureurs africains dans la conception de produits adaptés à la couverture contre les menaces qui guettent l’agriculture africaine (maladies, sécheresse, etc). Car les systèmes d’assurance existants à ce jour dans plusieurs pays, financés par les gouvernements pour la plupart, ont révélé leurs limites. «Les pertes en récoltes dépassent de 200% le montant des primes», a révélé à Dakhla, Ali Muhammad Katu, PDG de la compagnie ghanéenne, Agricultural Insurance Corporation. Ce dernier n’a pas omis de saluer les conventions signées récemment entre son pays et le Maroc en marge de la visite royale, dont une favorisant le partage du modèle de la Mamda en assurance anti-sécheresse.


Jean Luc Gourgeon
Directeur général délégué du réassureur franco-marocain Mamdaré

Les Inspirations ÉCO : Comment se porte le marché de la réassurance en Afrique ?
Jean Luc Gourgeon : Le marché de la réassurance en Afrique se caractérise par trois éléments essentiels. D’abord, il y a un très grand nombre d’opérateurs. Ensuite, il y a un nombre limité de réassureurs ayant un capital suffisant. Enfin, très peu d’entre eux ont une expérience internationale. Ajoutons à cela, le fait que beaucoup d’acteurs réalisent des chiffres d’affaires liées à des cessions plus ou moins légales, soit par pays, soit à l’échelle régionale.

Quid du marché de l’assurance agricole en Afrique ?
Il y a deux pays qui ont vraiment développé l’assurance agricole en Afrique, à savoir le Maroc et l’Afrique du Sud. Des choses se font dans d’autres pays, notamment en Afrique de l’Est, mais cela reste assez marginal par rapport aux besoins du marché. Si on prend le cas du Maroc, l’assurance-récolte représente aujourd’hui près de 20% des sommes théoriquement assurables. Dans la plupart des autres pays africains, hors l’Afrique du Sud, cette part reste en deçà de 2%.

Quel avenir pour la coopération Sud-Sud en matière d’assurance et de réassurance ?
Il y a énormément de potentiel pour cette coopération. La preuve en est les 7 pays qui ont signé des conventions avec la Mamda pour développer l’assurance agricole. Il y a une véritable volonté de hisser le partenariat à un niveau plus élevé. Tout le monde est conscient que l’agriculture africaine doit s’améliorer, non seulement en rendement, mais aussi en termes de protection des aléas. Et nous savons que personne n’a l’expertise pour le faire tout seul. Il faut donc coopérer pour trouver les moyens nécessaires pour s’inspirer des meilleures pratiques à l’international avant d’inventer, localement, des solutions. 



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