Groupe Chaâbi vs Conseil de la ville : Que vient faire le PAM ?
Le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM) est entré en ligne dans le litige entre le Groupe Chaâbi et le Conseil de la ville, autour de l’ex-marché de gros, dit Crio. En défendant corps et âme son député, Faouzi Chaâbi, le parti du tracteur compte porter cette affaire, opposant une entreprise privée à une collectivité locale, devant le Parlement.
Le bras de fer entre le Conseil de la ville de Casablanca et Faouzi Chaâbi prend une tournure politique. Le vice-président de Ynna Holding a été malmené par les forces de l’ordre venues, lundi 15 février en renfort de la mairie, pour l’évacuation de l’ancien marché de gros de Belvédère. Un bien communal objet de litige opposant le Groupe Chaâbi à la ville. En réaction, Aswak Assalam, filiale du groupe, a porté plainte devant le procureur général du roi près la Cour d’appel de Casablanca contre le Conseil de la ville pour «abus de pouvoir et agression contre Faouzi Chaâbi». L’affaire aurait pu en rester là, c’est à dire entre les mains de la justice. Seulement, le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM) a décidé de défendre corps et âme son député.
Le parti du tracteur s’est en effet fendu d’un communiqué où il dénonce «l’humiliation et l’agression» dont a fait l’objet récemment son député. Mieux encore, le PAM annonce qu’il «entreprendra avec son groupe parlementaire toutes les démarches possibles, y compris l’interpellation du président de la première Chambre à ce sujet», et s’engage à suivre avec «sérieux et fermeté ce dossier jusqu’à ce que soient punis ceux qui étaient derrière cette agression odieuse, qui appartient à une époque révolue».
Pam Pam Boy !
L’attitude du parti d’Ilyas Elomari suscite plusieurs interrogations. Certes, Faouzi Chaâbi est, depuis pas longtemps, l’un des siens. Mais est-il suffisant pour impliquer l’institution législative dans une affaire de droit commun, opposant une entreprise privée à une collectivité locale ? Abdessamad Heikar se dit perplexe : «Je ne comprends pas pourquoi on veut donner une dimension politique à ce dossier. D’abord, la décision de récupérer ce bien ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été prise par l’ancienne équipe dirigeante, sous la houlette de Mohamed Sajid, et la justice a dit son mot sur ce dossier. Et puis inscrire cette affaire dans le cadre de la bataille entre le PJD et le PAM ne tient pas la route. Chaâbi n’a rejoint le parti qu’il y a quelques mois pour se présenter sous ses couleurs aux élections législatives», explique le numéro 2 du Conseil de la ville et l’un des caciques du parti islamiste. Pour le vice-président d’Ynna Holding, la politique n’est jamais loin. «Le parti n’a pas digéré mon adhésion au PAM. Et certaines de mes déclarations, acerbes envers le parti islamiste, ont dû beaucoup dérangé», explique-t-il. Depuis son ralliement au parti du tracteur, Faouzi Chaâbi est en effet à couteaux tiré avec le parti de Abdelilah Benkirane. Sur nos colonnes (cf.www.leseco.ma, 4 septembre 2016), l’homme d’affaires n’a pas été clément avec le PJD : «Le premier élément palpable concerne la promesse de la lutte contre la corruption sous toutes ses formes; le PJD cherchant à lui donner une base idéologique et religieuse. Les électeurs qui ont cru au projet du PJD l’ont fait parce qu’ils ont vu en ce parti des hommes qui craignent le Bon Dieu et qui agiront en bons musulmans», a-t-il notamment déclaré. Son patron au parti, Ilyas Elomari, abonde dans le même sens : «L’histoire retiendra aussi que le PJD, qui était avec nous dans la gestion de la ville, défendait corps et âme ce projet. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Sachant qu’il y a un jugement en référé pour l’arrêt d’exécution par les autorités publiques», se demande le chef du parti du tracteur.
Feuilleton judiciaire
En fait, rien n’a changé puisque le principe de récupération de l’ancien marché de gros, au même titre que d’autres patrimoines de la commune, est acquis. La Commune urbaine de Casablanca (CUC) a en effet pris la décision de la résiliation du contrat d’exploitation le liant à Dimco (filiale du groupe Chaâbi), le 6 mars 2014, via un huissier de justice. Et après une bataille judiciaire, qui a duré plusieurs mois, la ville, qui invoque les orientations du Plan d’aménagement urbain, visant à faire des lieux un complexe sportif et commercial, a obtenu gain de cause. Sauf que sur le terrain, le Conseil de la ville n’a pas réussi à se réapproprier le bien.
Du côté du Groupe Chaâbi, l’on ne conteste pas la décision sur le fond : «Le Conseil de la ville a le droit de demander la récupération de ce bien communal. Seulement, ce site est exploité en location, et nous avons beaucoup investi sur les lieux. On ne peut pas venir du jour au lendemain et nous demander d’évacuer. Car, ce qu’il faut savoir, c’est que ce dossier a une autre facette, celle de l’indemnisation. Pour résilier le contrat d’exploitation qui nous lie, la ville est obligée de nous indemniser en contrepartie des montants importants investis dans les locaux. Or, la justice n’a pas encore statué sur ce dossier», explique Faouzi Chaâbi. Le jugement en référé, obtenu par le groupe, a en effet mis en stand-by la décision du président du Conseil de la ville, en date du 1er février 2017 sur cette base. Pour Abdessamad Heikar, cet incident aurait pu être évité. «Le jugement en référé dont dispose le Groupe Chaâbi nous nous a pas été envoyé à temps. L’exécution a eu lieu le 15 février alors que le secrétariat du Conseil de la ville n’a reçu une copie que deux jours après», précise-t-il. Faouzi Chaâbi balaie d’un revers de main : «Nous avons montré in situ aux élus de la ville présents, ainsi qu’aux membres des forces de l’ordre la décision de la justice. Et puis, le conseil doit en être informé par le biais du tribunal ou par son avocat», contre-attaque-t-il.
Abdessamad Heikar
1er vice-président du Conseil de la ville de Casablanca
Je ne comprends pas pourquoi Chaâbi veut politiser ce dossier. Le bien en question est récupéré sur la base d’un jugement de la justice ainsi qu’une décision de l’assemblée générale du Conseil de la ville précédent qui était présidé par Mohamed Sajid. D’ailleurs, la décision s’inscrit dans le cadre d’une politique de la mairie qui consiste à récupérer son patrimoine dans l’objectif de le valoriser. Le marché de gros n’est donc pas le premier bien récupéré et ne sera pas le dernier. À la place, il sera érigé un complexe sportif et culturel, conformément au plan d’aménagement urbain».
Faouzi Chaâbi
Vice-président d’Ynna Holding
La réaction du PAM est justifiée, car l’acharnement du Conseil de la ville, qui a réussi à mobiliser les forces de l’ordre, est inexplicable. D’abord, parce qu’il y a une décision de la justice qui suspend l’exécution du jugement, obtenu par le Conseil de la ville. Ensuite, on ne peut pas procéder de cette manière et utiliser la force d’une manière abusive. Quelle image donne la ville en se comportant de la sorte avec un homme d’affaires et un élu de la nation. Il y a donc lieu de croire que c’est un règlement de comptes, surtout que mes déclarations politiques, ces derniers temps, n’ont pas été du goût du parti islamiste.
Histoire d’un bien «maudit»
C’est l’histoire d’une reconversion ratée. L’ancien marché de gros (communément appelé marché Crio) devait connaître un autre sort. En effet, ce building, datant du protectorat et qui s’étale sur une superficie de plus de 4.000 m², devait initialement se transformer en centre commercial : «Le belvédère». Pour mener à bien ce projet, la Commune des Roches noires a signé un contrat de location avec Dimco, société française de développement immobilier et commercial. Seulement, plusieurs mois après, le chantier n’a pas bougé d’un iota et la commune s’est trouvée piégée avec une entreprise incapable d’honorer ses engagements. Et c’est en 2002 que le Groupe Chaâbi entre en jeu en rachetant cette société et hérite au passage le contrat de location. Il s’en suit un changement de plan : «Le belvédère» passe à la trappe puisque le Groupe Chaâbi décide d’ériger sur ce site un hypermarché «Aswak Assalam». Mais là aussi, le projet ne démarre pas sur les chapeaux de roues. Face à l’arrêt du chantier, la Commune des Roches noires, étant donné que le projet est de son ressort, saisit le Conseil de la ville, dès juin 2012 pour résilier le contrat. La justice a donné raison à la mairie qui peine à exécuter le jugement.