Reportage : Attention, trituration à haut risque !
Les conditions de trituration dans les moulins à huile traditionnels ne respectent pas les normes de qualité. Il s’agit de mauvaises pratiques qui pervertissent les bienfaits de l’huile d’olive. Ce constat soulève la nécessité d’instaurer des contrôles des unités de trituration et des analyses pour classifier les niveaux de qualité des quantités mises sur le marché.
Au cours de la saison de la récolte, l’activité des moulins à huile bat de nouveau son plein. Dans un pays où l’huile d’olive non-conditionnée est très prisée, les moulins traditionnels, mécanisés pour la plupart, sont inondés d’olives en vrac. Cueillies ou achetées par les consommateurs dans les souks ruraux, des quantités pouvant aller jusqu’à cinq cent kilos, voire plus, sont acheminées vers ces fabriques qui reproduisent des processus millénaires de trituration. Cependant, la manipulation des olives et de l’huile extraite nécessite normalement des conditions strictes d’extraction afin que les normes minimales d’hygiène et de salubrité soient respectées. Et dans ces moulins à huile, c’est généralement loin d’être le cas. En l’absence d’un processus d’hygiène normalisé pour les unités de trituration populaires, la salubrité dépend de la bonne volonté des responsables. Bien que le processus soit mécanisé, il dépend tout de même de l’intervention humaine comme charnière entre les différentes étapes d’extraction. Un détail très significatif.
Au coeur du processus…
Dans les environs de Marrakech, à une vingtaine de kilomètres en direction d’Essaouira, les moulins à huile de la région d’Ait Imour sont actuellement très sollicités. Proche de la ville, cette région rurale est connue non seulement pour ses cultures maraîchères modernes mais aussi pour ses plantations d’oliviers. Pour la plupart des clients, les questions d’hygiène et de santé ne sont même pas à soulever. Pour cause, il s’agit, disent-ils, d’un aliment dont les vertus ne sont pas à discuter. Pourtant, le diable est dans le détail. D’emblée, à l’entrée de ce moulin à huile situé dans la région citée, les olives sont stockées à même le sol en attendant leur tour. Si seuls quelques clients utilisent des caisses en plastique pour transporter les récoltes, d’autres utilisent les fameux sacs de raphia, moins solides que les premières. Pire encore, certains clients préfèrent ne pas passer au moulin tout de suite et mélangent leurs olives avec du sel. Sans aucun doute, une technique qui pervertit les caractéristiques chimiques de l’huile et de son degré d’acidité. C’est ce que confirme le gérant du moulin. «En effet, il est préférable que les olives passent au pressoir le plus vite possible mais certains clients optent pour cette méthode. Cela dit, à la dernière étape de l’extraction, le sel se détache de manière naturelle de l’huile extraite», précise-t-il. Dans cette fabrique, munie de deux moulins, les responsables estiment à une moyenne de dix tonnes triturées par moulin leur production quotidienne.
Processus d’extraction
Tout le processus de l’extraction n’échappe pas à ce constat. Au départ, les olives sont transportées et déversées dans une machine-entonnoir qui les aspire vers le pressoir. Cette opération, qui entre dans le cadre de la préparation préliminaire, se fait par un ouvrier qui utilise une pelle et une petite brouette métalliques. Cela pose-t-il un problème d’un point de vue hygiénique ? Sans aucun doute. Au pressoir électrique, les drupes sont écrasées par deux grandes meules de pierre jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment broyées. Questionnés sur comment reconnaît-on que l’opération de broyage est correctement effectuée, les ouvriers en charge de cette tâche évoquent l’expérience qui leur permet de le savoir, juste en regardant les pierres du pressoir. «Le broyage se termine lorsqu’on ne voit plus les drupes sur les pierres de la meule», souligne un des ouvriers. Vient après l’opération de pressage. Les drupes broyées sont mises dans des scourtins, superposés l’un sur l’autre pour former une pile et mises dans une presse hydraulique. Il s’agit d’une opération qui permet de séparer le grignon du moût d’huile.
Ce dernier est égoutté puis dirigé par un tuyau vers des tonneaux enfouis et numérotés. Une dernière étape manuelle consiste à puiser l’huile de ces tonneaux pour filtrer les résidus solides afin de permettre aux clients d’obtenir un meilleur rendement. Sur place, un client déplore un rendement plus bas que d’habitude : 16 litres par cent kilos. Dans d’autres régions du Maroc, ce ratio peut être considéré comme satisfaisant. En ce qui concerne le prix du service de trituration, il environne 40 centimes le kilo. À la fin du processus, le grignon est rassemblé et cédé à des transporteurs au prix de 30 centimes le kilo. De grandes quantités de cette matière sont utilisées dans plusieurs industries telles que celle des produits cosmétiques populaires. Une autre industrie et d’autres processus.
Ce que pense le spécialiste
«Ce sont indubitablement de très mauvaises pratiques. Si la loi était appliquée, toutes ces unités, travaillant dans des conditions pareilles, seraient fermées», fustige le professeur Noureddine Ouazzani, responsable de l’Agro-pôle Olivier à Meknès. En effet, pour chaque mauvaise pratique, un défaut de qualité s’en suit. En ce qui concerne les conditions relevées dans le processus de trituration dans les environs de Marrakech, l’huile d’olives extraite serait soit chômée, vineuse ou moisie. Autrement dit, un danger pour la santé ou au moins l’impossibilité de préserver la qualité dans ces conditions. «Une des conditions importantes est que les olives doivent être transportées dans des caisses aérées, ne doivent pas attendre plus de 48 heures avant de passer au pressoir et surtout ne doivent pas être mélangées avec du sel ou autre», poursuit Ouazzani. Au sol, la récolte est en proie à la pourriture, souvent abîmée, sans oublier qu’elle s’oxygène aussi facilement, ce qui fait perdre à l’huile extraite ses bienfaits. Pour remédier à cette situation, notre expert évoque la nécessité d’instaurer des contrôles stricts des unités, surtout que le Maroc s’est doté de la loi 28-07 relative à la sécurité des produits alimentaires.
En aval du processus de trituration, les analyses, comme celle du taux d’acidité, peuvent également déterminer la qualité de l’huile extraite. «À ce propos, les tests sont importants. Si l’analyse organoleptique permet aux spécialistes de déterminer le niveau de qualité de l’huile à travers le goût, l’analyse de la couleur est liée à l’indice de peroxyde, un autre indicateur très pertinent», souligne le professeur. Or, en termes de goût, l’amertume, un des attributs de l’huile extra-vierge, n’est pas apprécié par le consommateur local.
Cette amertume est, selon notre expert, une qualité si elle est détectée lors d’un test sensoriel. Par contre, si l’amertume se sent au niveau de l’œsophage, il s’agit d’un défaut de qualité. Comment faire la différence ? «Un travail de sensibilisation doit être réalisé afin d’expliquer aux consommateurs ce qu’est une huile de bonne qualité», répond le responsable. En somme, promouvoir la qualité devient une nécessité non seulement pour exercer un contrôle sur les opérateurs mais aussi pour trouver une solution au problème de l’éducation nutritionnelle. Une tâche plus difficile, sans aucun doute.