«Une quatrième tranche de foncier public est indispensable»

Les Inspirations ÉCO : Le ministère de l’Habitat vient de présenter son enquête nationale sur le logement. Quels sont les principaux enseignements que vous en tirez ?
Badre Kanouni : Il s’agit d’une étude extrêmement importante qui nous dote d’une photographie actualisée de la situation du parc logement. Cela constitue une mine d’informations extrêmement importante pour tous les acteurs du secteur. Nous avons vu durant cette présentation principalement les aspects nationaux de ces résultats, mais l’étude comprend également les détails par régions et villes du royaume. Pour tout opérateur, ce sont des informations primordiales. Pour Al Omrane, cela nous permettra de mieux orienter nos programmes et projets afin de répondre plus efficacement aux besoins actuels et futurs des programmes publics et à la demande des citoyens.
C’est en quelque sorte la dernière ligne droite d’Al Omrane dans le cadre de ses programmes de relogement. Les dernières populations bidonvilloises ne seront-elles pas les plus difficiles à reloger ?
Par rapport aux chiffres nationaux fixés au départ du programme «Villes sans bidonvilles» en 2004, nous sommes déjà à 103% des réalisations. Évidemment, il y a eu une augmentation de la population bidonvilloise, parfois par effet mécanique car, comme cela a été relevé dans le cadre de l’enquête nationale sur le logement, certains découpages administratifs font entrer des zones qui étaient auparavant rurales dans le périmètre urbain. Par effet de ricochet, la population des bidonvilles a donc augmenté. Nous allons continuer à travailler avec beaucoup de détermination dans le cadre de ce programme gouvernemental, dans lequel je le rappelle, nous sommes l’opérateur d’exécution des projets tels qu’arrêté par les pouvoirs publics (ministère de l’Habitat et autorités locales) et pilotés par les comités locaux de suivi.
Le foncier dont dispose aujourd’hui Al Omrane est-il suffisant pour atteindre ces objectifs ?
C’est une très bonne question. Je pense qu’il est indispensable de mobiliser une quatrième tranche de foncier public afin de réaliser les programmes de l’État au niveau d’un certain nombre de régions et de villes. Nous avons besoin d’un foncier à un prix adapté permettant d’une part de prendre en charge les grands investissements additionnels en hors site et infrastructures et, d’autre part, de proposer des produits qui soient à la portée des moyens limités de la population ciblée par les politiques publiques. Quand on parle des bidonvilles, des habitats menaçant ruine ou encore clandestins, il s’agit là de la population la plus démunie qui n’est souvent pas capable d’acheter des logements à 250.000DH. Il est donc utile aujourd’hui de trouver le foncier nécessaire et nous travaillons d’ailleurs dans ce sens avec le ministère de l’Habitat et le gouvernement pour faire face au déficit qui marque certaines régions.
Cette question fait d’ailleurs grincer des dents auprès de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers qui est récemment montée au créneau pour dénoncer une concurrence déloyale de la part d’Al Omrane…
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une concurrence et encore moins déloyale. Je pense qu’il s’agit d’une mauvaise compréhension de la situation de la part de ceux qui avancent cet argument. Nous vous rappelons que notre mission principale est la lutte contre l’habitat insalubre. Nous ne sommes par conséquent pas dans une logique de concurrence, loin s’en faut. Nous voudrions bien, au contraire, qu’il y ait plus d’accompagnement de la part des promoteurs privés à ce niveau là. Cela est possible à travers le renforcement par des logements à 140.000DH et des projets de lots de recasement. Vous pouvez constater que nous sommes donc très loin de cette logique purement économique. Nous sommes chargés des programmes de l’État et nous nous adressons à une population qu’il faut soutenir en priorité.
Rappelons aussi que nous sommes principalement aménageur et que nous avons mobilisé au profit du secteur privé près de 35% de foncier public que nous gérons afin qu’ils réalisent leurs propres opérations. Je pense donc que nous sommes au contraire dans une approche de complémentarité qu’il est important de rappeler. D’ailleurs, si une nouvelle mobilisation est concrétisée, elle nous permettra non seulement d’accélérer la commande publique mais aussi de poursuivre notre partenariat avec le secteur privé. Enfin, il ne faut pas oublier que dans le cadre des projets que nous menons, par exemple les constructions à 250.000DH, nous venons en appoint et nous travaillons surtout dans les régions où le promoteur privé n’est pas présent.
L’étude que vient de mener le département de l’Habitat conforte-t-elle cette position ?
L’étude démontre à plus d’un titre qu’il faut bien distinguer entre le besoin et la demande en logement. Le besoin est bien là et il va falloir trouver les mécanismes pour le combler. Par contre, lorsqu’on parle de demande, nous parlons d’une demande solvable, de ménages capables de payer pour pouvoir acquérir leur logement. Cette différence est de taille pour tout promoteur. Al Omrane s’adresse en outre principalement à la population la plus démunie qui demande d’abord des lots de recasement. Nous ne pouvons pas aller à l’encontre de cette demande ou à l’encontre des programmes de l’État qui prévoient du recasement. L’étude démontre également que l’auto-construction au Maroc demeure dominante. Là aussi, nous ne pouvons dans plusieurs de nos programmes pas aller à l’encontre de la volonté des acquéreurs et leur imposer du logement collectif. En dehors du recasement, on constate dans l’étude que ce sont surtout les grandes villes qui connaissent la plus grande proportion de personnes qui vont vers l’habitat collectif. Pour le reste, il faut répondre à la vraie demande et on ne peut imposer au Marocain un produit qu’il ne veut pas.