Agriculture : une vision plus résiliente pour 2050

Dès novembre, une étude de grande envergure sera lancée pour poser les jalons de la «Vision Agricole 2050». Avec près de 10 millions de dirhams mobilisés, ce chantier stratégique ambitionne de repenser en profondeur le rôle du secteur agricole, en préparant l’après-Génération Green et en traçant la voie d’une agriculture résiliente, innovante et souveraine face aux défis alimentaires et climatiques.
Le Maroc franchit une nouvelle étape dans la structuration de son avenir agricole avec le lancement, dès novembre prochain, d’une vaste étude destinée à préparer sa «Vision Agricole 2050». Cette feuille de route stratégique ambitionne de redéfinir en profondeur le rôle du secteur agricole au cours des trente prochaines années. Dotée d’un budget de près de 10 millions de dirhams, cette étude servira de socle à la stratégie post-2030, qui prendra le relais du cadre actuel de Génération Green.
Génération Green sous la loupe
L’objectif est clair : bâtir une agriculture capable de répondre durablement aux défis alimentaires et climatiques, tout en consolidant la souveraineté nationale. La vision inclura des innovations de rupture allant de l’optimisation des sols et des ressources en eau à l’usage de sources hydriques non conventionnelles, en passant par l’adoption de technologies avancées, la modernisation des réseaux de distribution et l’amélioration de l’accès au financement. Elle sera également attentive à la sécurité alimentaire et à l’organisation des filières. En phase préparatoire, l’étude procédera à une évaluation à mi-parcours de Génération Green afin d’accélérer les initiatives déjà en place d’ici 2030.
L’analyse intégrera des données issues de documents stratégiques tels que le Plan National de l’Eau ou les rapports du GIEC, afin d’établir des scénarios réalistes pour 2035, 2040 et 2050. Les projections porteront sur le potentiel des sols, les usages des terres arables, la disponibilité des eaux de surface et souterraines, et l’identification des zones «irriguables» les plus prometteuses.
La démarche illustre la volonté du Royaume de se doter d’un secteur agricole résilient et technologiquement moderne, capable d’anticiper les mutations profondes induites par le changement climatique et la croissance démographique. Si cette initiative s’inscrit dans un cadre strictement national, elle fait écho à un débat plus large sur l’avenir de l’agriculture en Afrique et son rôle dans le développement mondial. Un récent rapport de Boston Consulting Group, réalisé en collaboration avec le Forum de Paris sur la Paix, souligne en effet que le renforcement de l’agriculture africaine pourrait contribuer à atteindre entre 30 et 50% des Objectifs de Développement Durable.
Intitulé «African Agriculture for Global Sustainable Development», le document pointe un paradoxe : bien que le secteur agricole constitue une source de subsistance pour 70% des Africains et représente environ 30% du PIB continental, il reste dramatiquement sous-financé. En 2022, seuls 49 milliards de dollars y ont été investis, alors que les besoins réels sont estimés à près de 200 milliards.
Opportunités
Le cas marocain illustre à la fois la dépendance structurelle et les opportunités de transformation. L’agriculture contribue à hauteur de 15% au PIB et emploie plus d’un quart de la population active. Mais la succession des années sèches et la pression croissante sur les ressources hydriques obligent le pays à diversifier ses solutions : dessalement, interconnexions, barrages, irrigation efficiente. La projection pour la campagne 2025/26, qui prévoit des importations céréalières de près de 11 millions de tonnes, rappelle l’urgence d’investissements massifs dans la mécanisation et l’amélioration des intrants.
Au-delà du Maroc, le défi est continental. Les agriculteurs africains ne bénéficient en moyenne que de 140 $ d’investissement par an, contre 1 300 au niveau mondial. Cette disparité explique une productivité limitée, accentuée par le manque d’irrigation et de mécanisation, qui contraint l’Afrique à importer pour plus de 27 MM$ de céréales chaque année. Sans action rapide, cette facture pourrait atteindre 110 MM$ d’ici 2030.
D’ailleurs, le rapport identifie un triple levier : réduction de la pauvreté et de la faim, amélioration de la santé et de l’éducation, renforcement de l’égalité de genre. Il insiste également sur l’importance d’une résilience climatique accrue afin de limiter l’impact des chocs environnementaux et les migrations forcées.
Cependant, le chemin reste semé d’embûches. Les dépenses publiques consacrées à l’agriculture ne représentent que 3% des budgets gouvernementaux africains, bien en deçà de l’objectif de 10% fixé par l’Union Africaine. Seuls quelques pays comme le Malawi et l’Éthiopie atteignent régulièrement ce seuil. Le secteur privé, pour sa part, demeure frileux : il ne contribue qu’à hauteur de 3% du financement total, contre 10% dans le reste du monde.
Face à cette équation, des initiatives émergent. En juin 2024, le Forum de Paris sur la Paix a lancé l’Agricultural Transitions Lab for African Solutions (ATLAS) afin d’encourager les investissements et de renforcer la transparence dans le suivi des actions. Le «2×30 Challenge» vise ainsi à doubler les financements annuels pour atteindre 100 milliards de dollars d’ici 2030.
Ainsi, tandis que le Maroc s’engage dans une planification de long terme avec sa Vision Agricole 2050, l’Afrique dans son ensemble cherche à combler un déficit de financement criant. L’un et l’autre rappellent que l’agriculture, loin d’être un secteur traditionnel en déclin, demeure au contraire l’un des leviers les plus puissants pour nourrir les populations, stabiliser les économies et contribuer à la lutte mondiale contre le changement climatique.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO