Réforme des SPI : des non-dits plus que révélateurs

La réforme des Sociétés à prépondérance immobilière (SPI) au Maroc consacre un tournant majeur. Issue de la Loi de finances 2023, elle impose la primauté de la réalité économique sur la forme juridique, aligne le Maroc sur les standards internationaux (BOFiP), et redéfinit structurellement le modèle économique des promoteurs, leur gouvernance et leur valorisation.
Fin des abattements pour durée de détention, suppression des montages sur les stocks : la réforme de la Société à prépondérance immobilière (SPI) pousse à une rotation accélérée des actifs. Un non-dit qui enterre les stratégies patrimoniales au profit d’un modèle court-termiste.
La réforme des sociétés à prépondérance immobilière (SPI) dépasse la simple clarification technique, comme en témoigne la doctrine officielle de la Direction générale des impôts (DGI) publiée le 21 avril 2025. L’analyse de Reda El Haraoui, chargé du département Advisory & Tax, révèle que cette évolution est l’aboutissement d’une volonté politique structurante, inscrite dans la Loi de finances 2023.
Dans une récente publication, il braque les projecteurs sur la manière dont cela redéfinit fondamentalement le modèle économique des promoteurs immobiliers, avec des impacts systémiques sur leur valorisation, leur stratégie de cession et leur gouvernance.
Comme le souligne El Haraoui, cette doctrine «constitue un point d’inflexion majeur dont les répercussions dépassent largement le cadre d’un simple ajustement fiscal». Une réforme qui consacre la primauté de la réalité économique sur la forme juridique, un principe désormais ancré dans le droit marocain via l’article 61-II du CGI, tout en alignant le Maroc sur les standards internationaux, notamment par sa convergence avec la doctrine française du BOFiP.
Zoom sur des non-dits
La réforme des SPI, au-delà de ses implications explicites, dévoile des orientations stratégiques profondes du législateur.
Premièrement, la canalisation des investissements vers les OPCI, via des avantages fiscaux ciblés (exonération d’IS sur les revenus locatifs, régime de sortie avantageux), révèle une volonté de contrôle étatique. En favorisant ce véhicule régulé par l’AMMC – soumis à des contraintes strictes comme la conservation des actifs pendant 10 ans ou la distribution obligatoire de 85% des revenus –, l’État renforce sa supervision sur le secteur et formalise les flux financiers.
Deuxièmement, la pénalisation structurelle de la détention longue transparaît dans la suppression des abattements pour durée de détention pour les SPI. Un mécanisme qui, en neutralisant les avantages fiscaux liés aux participations stables, favorise une logique de rotation accélérée des actifs, au détriment des stratégies patrimoniales traditionnelles.
Enfin, la publication de Reda El Haraoui révèle en filigrane un appel à la professionnalisation urgente du secteur immobilier. La nécessité de mettre en place des tableaux de bord de suivi du ratio SPI, d’intégrer des clauses spécifiques dans les pactes d’actionnaires, ou d’adopter des normes comptables strictes (PCSI), expose la dépendance historique à des montages obsolètes et pousse à une standardisation des pratiques alignée sur les standards internationaux de gouvernance.
La fin des contournements artificiels
Selon El Haraoui, l’inclusion des stocks immobiliers dans le calcul de l’actif brut des SPI (Article 61-II CGI) n’est pas une interprétation isolée, mais l’aboutissement d’une évolution législative volontaire matérialisée par la Loi de finances 2023. Une réforme qui a opéré un double changement radical : l’abaissement du seuil de prépondérance de 75% à 50% et le remplacement de la base de calcul «actif brut immobilisé» par «actif brut», incluant désormais explicitement les stocks.
La publication par la DGI d’une réponse officielle en date du 21 avril 2025, relative à l’application de l’article 61-II du Code général des impôts (CGI), marque un tournant décisif pour le secteur de la promotion immobilière au Maroc. Cette clarification doctrinale, qui, bien que non législative, oriente la pratique de l’administration, met un terme à une longue période d’incertitude juridique et de débats techniques quant à la qualification des sociétés de promotion immobilière en tant que Sociétés à prépondérance immobilière.
Cette clarification de la DGI ferme définitivement la porte aux montages exploitant l’ambiguïté entre stocks (actifs circulants destinés à la vente) et immobilisations (moyens d’exploitation permanents). Comme le précise l’analyse, «les stocks, par leur nature même […] ne peuvent en aucun cas répondre au critère de permanence» requis pour bénéficier de l’exclusion prévue à l’article 61-II. Une approche, calquée sur la doctrine française du BOFiP qui exclut également les stocks des clauses d’exclusion, révèle une harmonisation fiscale transnationale et consacre la primauté de la réalité économique sur la forme juridique, un principe désormais ancré dans le droit fiscal marocain via la notion d’abus de droit.
L’émergence d’un nouveau modèle sectoriel
Selon l’analyste, la réforme fiscale accélère une spécialisation inéluctable du secteur immobilier marocain, contraignant les acteurs à une bifurcation stratégique fondée sur la nature de leur activité. Les «purs développeurs» orientés «build-to-sell» (construction-vente) devront désormais adopter des structures légères et juridiquement cloisonnées via la filialisation par projet («ring-fencing»), isolant ainsi les actifs générateurs du statut SPI et préservant la holding mère du régime fiscal dérogatoire.
À l’inverse, les investisseurs axés sur la stratégie «build-to-rent» (construction-location) se tourneront massivement vers les Organismes de placement collectif immobilier (OPCI), dont l’exonération totale d’impôt sur les sociétés au niveau de la structure est qualifiée d’«extrêmement avantageuse».
Bien que cette bifurcation soit initialement imposée par la contrainte fiscale, elle constitue, comme le souligne la publication, «une marque de maturité pour le secteur», favorisant une segmentation claire entre promoteurs spécialisés dans le cycle court de vente et gestionnaires d’actifs dédiés au revenu locatif pérenne, tout en alignant le Maroc sur les standards internationaux de structuration immobilière.
Un impact économique à double tranchant
L’impact fiscal de la qualification en SPI se matérialise par un mécanisme confiscatoire de cotisation minimale de 3% du prix de cession des titres, appliqué même en l’absence de plus-value, ce qui représente un changement de paradigme aux conséquences financières lourdes. Pour une personne physique, une cession de titres à 10 millions de dirhams sans plus-value entraîne désormais un impôt de 300.000 dirhams, là où le régime antérieur n’aurait généré aucune imposition.
Pour les personnes morales, la requalification en profits fonciers implique la perte irréversible des abattements pour durée de détention, alourdissant structurellement la fiscalité à long terme.
Comme relevé dans la publication, «les investisseurs devront intégrer cette charge fiscale latente, ce qui pourrait réduire la valorisation des sociétés».
Une logique qui pénalise doublement les promoteurs, dans la mesure où elle confisque leur trésorerie immédiate via la cotisation minimale et introduit une décote systémique («tax discount») dans les opérations de cession, de fusion-acquisition ou de levée de fonds, érodant ainsi la compétitivité des acteurs immobiliers marocains sur le marché des capitaux.
Transfert stratégique du risque vers les conseils
Ainsi, selon l’analyste, la réforme de la SPI redéfinit fondamentalement les responsabilités des conseils et impose des stratégies opérationnelles inédites. L’expert-comptable devient le garant incontournable de la classification des actifs, devant impérativement distinguer les stocks (destinés à la vente) des immobilisations (moyens d’exploitation permanents), engageant ainsi sa responsabilité professionnelle en cas d’erreur d’affectation compromettant le calcul du ratio SPI.
Le notaire voit, quant à lui, son rôle transformé en «sentinelle fiscale», devant désormais «s’assurer que la nature de la plus-value […] est correctement déclarée» lors des cessions de titres, avec un risque de responsabilité solidaire en cas de défaillance, notamment sur l’application de la cotisation minimale de 3%. Une réforme qui consacre les professionnels comme premiers remparts contre le risque fiscal systémique.
Parallèlement, la filialisation par projet («ring-fencing») s’impose comme une nécessité structurante, cessant d’être une simple option technique. Une stratégie de cloisonnement juridique, où chaque programme immobilier est isolé dans une société ad hoc, qui permet précisément de ne pas «contaminer l’ensemble du groupe avec le statut SPI d’un seul projet majeur», offrant une flexibilité stratégique décisive : la cession peut intervenir au niveau de la holding (bénéficiant du régime des plus-values mobilières) ou de la filiale-projet (soumise au SPI), préservant ainsi la valorisation globale du groupe.
Enfin, l’interaction entre la réforme SPI et le nouveau Plan comptable du secteur immobilier (PCSI) crée un «effet ciseaux» inédit. La rigueur accrue du PCSI, imposant une valorisation objective et documentée des actifs immobiliers (via des justificatifs stricts comme les permis d’habiter), se combine à l’obligation fiscale d’utiliser cette même valeur pour le calcul du ratio SPI de 50%.
Comme le souligne l’analyste, «la contrainte comptable rend l’évaluation de l’actif plus rigide, et la contrainte fiscale impose d’utiliser cette valeur […] pour le test SPI», réduisant drastiquement les marges de manœuvre et imposant une gestion dynamique et prévisionnelle du bilan via des tableaux de bord dédiés au pilotage de ce ratio clé.
Maturation historique du marché immobilier national
Ainsi, cette nouvelle donne fiscale impose une rigueur accrue mais aussi des opportunités de restructuration et de modernisation. Loin d’être une simple contrainte, cette réforme révèle des évolutions systémiques profondes. Elle consacre d’abord l’alignement du Maroc sur les standards OCDE en matière de transparence fiscale, notamment via la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et les stratégies d’optimisation abusive, en adossant la doctrine SPI au principe de primauté de la réalité économique sur la forme juridique.
En parallèle, elle marque une maturation historique du marché immobilier national, contraignant les acteurs à une segmentation claire entre «développeurs» spécialisés dans le cycle court de promotion-vente et «gestionnaires d’actifs» dédiés au revenu locatif pérenne, une bifurcation qui professionnalise le secteur et attire les investisseurs institutionnels.
Enfin, elle opère un transfert stratégique du risque vers les conseils, transformant experts-comptables, notaires et avocats en pivots incontournables de la sécurité juridique, avec une responsabilité élargie sur la classification des actifs et la régularité des transactions.
Comme le souligne El Haraoui, «les acteurs qui sauront s’adapter en feront un avantage compétitif», soulignant que la doctrine SPI 2025 est l’amorce d’une ère de spécialisation responsable où l’agilité fiscale, la gouvernance rigoureuse et l’innovation structurelle deviendront des critères décisifs de survie dans un marché désormais aligné sur les standards internationaux de performance et de transparence.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO