Chaîne de valeur aéronautique : comment la Convention du Cap pourrait contribuer à renforcer la position marocaine

Avec une croissance des exportations aéronautiques de 14% à fin avril 2025, le Maroc se positionne en acteur majeur. De l’avis de certains observateurs, l’adhésion à la Convention du Cap représente désormais le levier juridique indispensable pour sécuriser son financement, attirer les investissements spécialisés et consolider sa place dans les chaînes de valeur mondiales, sous réserve d’une réforme législative ciblée.
Alors que le secteur aéronautique marocain affiche +14%, le droit local, avec ses privilèges absolus et ses procédures lentes, bloque l’accès aux financements internationaux.
La Convention du Cap est-elle la clé ou le Maroc préfère-t-il rester à quai ? Les dernières données de l’Office des changes révèlent la robustesse du secteur aéronautique national : +14% d’exportations à fin avril 2025, soit +1,166 milliard de dirhams, portant le total à 9,512 MMDH. Une croissance, tirée par l’assemblage (+820 MDH) et le Système d’interconnexion de câblage électrique ou EWIS (+346 MDH), qui souligne le rôle pivot du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales.
Dans ce contexte, l’analyse de la Convention du Cap et de son protocole aéronautique éclaire une réforme juridique potentiellement transformatrice.
Un catalyseur pour l’écosystème aéronautique marocain
Selon Aziza El Majdaoui, juriste d’affaires et docteure en droit privé, l’adhésion du Maroc à la Convention du Cap représenterait un accélérateur économique majeur, transformant le pays en plateforme juridique fiable pour le financement aéronautique en Afrique.
Elle offrirait aux opérateurs locaux, comme les acteurs du segment assemblage (+15,3% d’exportations en 2025) ou de l’EWIS (+11,8%), un accès élargi aux marchés internationaux de capitaux via des mécanismes de garanties standardisées et opposables au-delà de nos frontières. Une sécurité juridique renforcée qui attirerait massivement les investisseurs spécialisés dans le crédit-bail (leasing), réduisant les coûts de financement des flottes aériennes et des équipements industriels.
Elle insiste sur le fait qu’en alignant le cadre marocain sur ceux de hubs reconnus comme l’Afrique du Sud ou l’Irlande, la Convention positionnerait le Royaume comme un partenaire incontournable pour les transactions régionales, capitalisant sur la croissance dynamique du secteur. Une intégration qui favoriserait également l’innovation financière, en permettant des montages hybrides associant fonds souverains, banques multilatérales et acteurs privés, tout en consolidant la chaîne de valeur aéronautique nationale face à la concurrence mondiale.
Un levier financier stratégique
La Convention du Cap incarne un levier financier stratégique en créant un cadre juridique transnational pour les garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles, notamment les aéronefs et moteurs. Son mécanisme central – un registre international électronique (art. 16) – garantit l’opposabilité et la priorité hiérarchique des garanties inscrites, conformément aux articles 19 et 29. Un système qui élimine les conflits de droit en établissant une transparence absolue : toute garantie non inscrite est inopposable aux créanciers ultérieurs, tandis que l’antériorité de l’inscription détermine la priorité.
«Ces instruments démontrent que le droit dépasse sa fonction normative traditionnelle pour devenir un véritable levier stratégique au service de l’économie mondiale», souligne El Majdaoui.
Pour le Maroc, dont les exportations aéronautiques ont bondi de 14% (+1,166 milliard DH) à fin avril 2025 (comme indiqué ci-dessus), l’adhésion réduit significativement les coûts de crédit pour les compagnies locales comme Royal Air Maroc. En offrant aux bailleurs internationaux (sociétés de leasing, banques) une sécurité juridique harmonisée sur les garanties réelles, elle facilite l’accès à des financements structurés (crédit-bail, prêts garantis) à des taux plus compétitifs, renforçant ainsi la compétitivité globale du secteur.
Une avancée qui ne se fera pas sans frictions
Bien que la loi marocaine n° 21-18 sur les sûretés mobilières (2019) ait modernisé le système national via un registre électronique géré par les tribunaux de commerce, son ancrage purement domestique crée une incompatibilité structurelle avec la portée transnationale de la Convention du Cap. Ainsi, trois frictions majeures émergent.
Premièrement, les privilèges légaux absolus du droit marocain (art. 1243-1244 du DOC), prioritaires pour les créances fiscales ou salariales, entrent en conflit direct avec l’article 39 de la Convention qui subordonne ces privilèges locaux aux garanties internationales inscrites, sauf déclaration contraire de l’État.
Deuxièmement, les procédures d’exécution des garanties prévues par le Code de procédure civile marocain (art. 452 et suiv.) imposent des délais judiciaires incompatibles avec les mesures rapides exigées par la Convention (art. 8-13), telles que la reprise immédiate de possession du bien en cas de défaut.
Enfin, la nature strictement nationale du registre marocain le rend inopérant pour sécuriser des transactions transfrontalières, alors que la Convention exige une interconnexion fonctionnelle avec le registre international pour assurer l’efficacité des garanties hors frontières. Une dichotomie qui révèle la nécessité d’une réforme législative ciblée pour combler le fossé entre innovation internationale et spécificités locales.
Les défis opérationnels de la mise en œuvre
L’efficacité de la Convention du Cap repose sur une transformation opérationnelle exigeante, dépassant le cadre purement législatif.
Premièrement, l’interconnexion technique entre le registre national marocain (loi n° 21-18) et le registre international (art. 16) nécessite une refonte de l’infrastructure existante, impliquant des adaptations juridiques pour synchroniser les procédures d’inscription, de consultation et de hiérarchisation des garanties.
Deuxièmement, la formation des acteurs locaux – magistrats, avocats, notaires et opérateurs financiers – constitue un impératif critique : ces derniers doivent maîtriser des concepts novateurs comme les garanties internationales futures (art. 19) ou la suprématie de l’inscription sur les droits conventionnels antérieurs.
Enfin, comme le souligne El Majdaoui, «l’inscription […] ne garantit son opposabilité que dans les États parties», exposant les créanciers à un risque juridique majeur lors de saisies dans des États non-signataires.
Une limite géographique, inhérente au caractère non universel de la Convention, qui exige des stratégies de mitigation complexes, notamment via des clauses contractuelles renforcées ou des assurances-crédit spécialisées.
Comment piloter l’adhésion par une démarche structurée ? La mise en œuvre réussie de la Convention du Cap exige une feuille de route pragmatique, comme le souligne l’experte : «Une analyse d’impact juridique […] est nécessaire […] ainsi qu’une étude économique des coûts et bénéfices». Cette approche repose sur trois piliers indissociables.
Premièrement, des études préliminaires approfondies doivent évaluer les incompatibilités techniques entre le droit marocain (notamment les articles 1170-1244 du DOC sur les sûretés mobilières et privilèges) et les articles 29 et 39 de la Convention, tout en modélisant l’impact financier sur les coûts de crédit et l’investissement sectoriel.
Deuxièmement, une coordination technique avec des institutions spécialisées (Unidroit pour l’harmonisation juridique, OACI pour les standards aéronautiques) s’impose pour capitaliser sur les meilleures pratiques internationales et éviter les écueils opérationnels.
Troisièmement, une consultation obligatoire des parties prenantes – compagnies aériennes (dont Royal Air Maroc), institutions financières locales et internationales, et ministères clés (Transport, Justice, Économie) – garantira l’adéquation du cadre aux réalités économiques et juridiques marocaines. Une triangulation qui constitue la seule méthode pour transformer l’adhésion en un levier de compétitivité durable, aligné sur la croissance du secteur aéronautique national.
Une modernisation nécessaire, mais nuancée
La Convention du Cap offre au Maroc une chance de consolider son statut aéronautique via un cadre juridique moderne. Toutefois, comme le résume El Mejdaoui, «l’effectivité concrète […] repose sur plusieurs facteurs critiques», incluant les réformes législatives et l’adhésion internationale élargie.
L’enjeu n’est donc pas seulement normatif, mais stratégique : transformer le droit en accélérateur d’investissements, sans sacrifier les spécificités locales. Le Maroc doit désormais arbitrer entre ambition économique et prudence juridique – un équilibre dont dépendra l’essor futur de son aviation.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO