Risque de change : le dirham s’adapte aux secousses du marché des changes

L’incertitude associée à la volatilité des marchés financiers mondiaux et à la conjoncture géopolitique s’est accentuée, et l’impact s’en ressent sur le dirham. La volatilité modérée observée ces derniers mois traduit une normalisation progressive du risque de change, dans une économie désormais plus réceptive aux chocs extérieurs qu’elle ne l’était sous régime fixe.
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump n’a pas tardé à imprimer sa marque. En l’espace de cent jours, les mesures tarifaires annoncées ont ravivé les tensions commerciales entre les grandes puissances, déstabilisé les flux d’échange et alimenté une volatilité accrue sur les marchés de change. La suspension temporaire de certains droits de douane n’a pas suffi à éteindre les inquiétudes. L’environnement international, entre rebond du dollar, tensions sino-américaines et frictions sur les métaux critiques, constitue autant de facteurs exogènes pesant sur la stabilité des devises émergentes.
Dans cette atmosphère trouble, le Maroc poursuit discrètement sa transition vers un régime de change plus flexible. L’élargissement progressif des bandes de fluctuation du dirham expose désormais davantage la monnaie nationale aux aléas extérieurs.
Cette orientation, entamée en 2018 puis élargie à ±5% en mars 2020, repose pour rappel sur un panier composé à 60% d’euro et 40% de dollar, ce qui accroît mécaniquement la sensibilité de la monnaie nationale vis-à-vis des deux principales devises étrangères.
En effet, le dirham s’est apprécié entre janvier et avril 2025 de 8,3% face au dollar, tout en enregistrant une légère dépréciation face à l’euro. La paire MAD/USD est passée de 9,49 à 9,29, tandis que l’euro s’est renforcé de 4% par rapport au dollar au printemps.
Ce glissement s’est répercuté sur le dirham, qui a reculé de 0,5% face à la monnaie européenne entre mars et avril. Aucun ajustement direct n’a été opéré par Bank Al-Maghrib, qui, pour rappel, n’a procédé à aucune adjudication de devises, et ce, depuis décembre 2021 (voir encadré).
Écarts conjoncturels
Dans le détails des échanges, l’euro s’est récemment replié face au dirham, sans pour autant rompre avec une certaine stabilité de fond. Sur les trente derniers jours, la devise européenne a oscillé entre un pic de 10,6038 DH et un creux de 10,3649, pour une moyenne de 10,5011. Ce léger retrait, estimé à -1,90%, s’inscrit dans une fourchette de variation étroite, témoignant d’un marché relativement calme.
La tendance devient encore plus modérée si l’on étire l’analyse sur 90 jours, avec une fluctuation contenue à -0,16%, sur un intervalle allant de 10,6038 à 10,3388 DH. Ce resserrement traduit une dynamique d’ajustement plus qu’une instabilité réelle, dans un contexte où le dirham, ancré à un régime de bande élargie, continue de bénéficier d’une discipline de change maîtrisée.
«Le dirham est resté remarquablement stable face à l’euro malgré les incertitudes sur la croissance en zone euro», estime un expert des marchés, soulignant que les flux commerciaux bilatéraux tendent à absorber les écarts conjoncturels.
Le dollar américain, pour sa part, a évolué dans une amplitude plus marquée face au dirham. Sur les trente derniers jours, le billet vert a oscillé entre 9,2058 et 9,3290 DH, avec une moyenne de 9,2666, traduisant une volatilité modeste de 0,15%. Mais l’élargissement du regard sur les trois derniers mois révèle une dynamique plus contrastée. Le pic atteint à 9,9896 DH contraste avec le plancher récent, témoignant d’un écart de -6,61%, ramenant la moyenne sur la période à 9,5785.
Cette correction, amorcée à mesure que le dollar perdait de son élan sur les marchés internationaux, souligne une sensibilité accrue du dirham aux mouvements du billet vert, principale monnaie de facturation des importations.
«La baisse du dollar a été amortie par une gestion prudente des adjudications en devises», explique le même spécialiste, ajoutant que la Banque centrale reste attentive à toute déviation susceptible d’alimenter des tensions inflationnistes.
Toutefois, en dépit de cette variabilité sur le trimestre, la trajectoire reste globalement contenue, confirmant le caractère amortisseur du régime de change actuel.
Risque de change
Selon la dernière publication d’Attijari Global Research (AGR), cette évolution est largement imputable à l’effet panier, avec un impact marginal de l’effet marché. Les spreads de liquidité, en baisse continue depuis l’été 2024, témoignent de tensions moindres sur l’offre de devises, portées par des flux exportateurs excédentaires sur les besoins d’importation.
Toutefois, les experts d’AGR estiment que la volatilité devrait se maintenir à court terme, en raison d’un environnement extérieur instable : «Une volatilité importante est attendue sur les devises. Nous recommandons aux opérateurs de couvrir leurs opérations sur des horizons de 1 à 3 mois», recommandent les experts d’AGR dans une récente publication.
Pour les importateurs, l’appréciation du dirham vis-à-vis du dollar constitue un léger répit. La baisse du coût des achats libellés en dollars, notamment en hydrocarbures ou en biens alimentaires, allège la facture énergétique et atténue, à court terme, les pressions inflationnistes.
À l’inverse, la dépréciation du dirham face à l’euro rend les importations européennes légèrement plus onéreuses. Le déficit commercial s’en ressent. À fin mars, il s’est creusé de 16,9% sur un an pour atteindre 71,6 milliards de dirhams, selon les derniers chiffres de Bank Al-Maghrib. La hausse des importations (+6,9%), stimulée notamment par les biens de consommation et les produits alimentaires, n’a été que partiellement compensée par la dynamique des exportations (+1,5%), tirée par les phosphates et l’aéronautique.
Derrière ces chiffres se profile une vulnérabilité croissante de l’économie aux chocs extérieurs. La réforme du régime de change, bien que graduelle, élargit le spectre des risques. Une monnaie plus réactive aux signaux internationaux suppose des arbitrages plus fins de la part des entreprises, qui doivent composer avec des coûts d’importation plus volatils et une prévisibilité réduite des marges.
Le dirham évolue toujours sans soutien direct de la Banque centrale
Aucune opération d’adjudication de devises n’a été menée depuis décembre 2021, note Bank Al-Maghrib dans sa dernière publication, signe que la Banque centrale n’a pas jugé nécessaire d’intervenir sur le marché des changes.
Le dirham continue d’évoluer ainsi dans la bande de fluctuation autorisée de ±5%, malgré l’appréciation marquée de l’euro et le recul du dollar.
Cette absence de réaction traduit un contexte de change relativement équilibré, où les mouvements de la monnaie nationale, bien que sensibles aux dynamiques internationales, n’ont pas franchi les seuils qui exigeraient un ajustement monétaire ponctuel.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO