Tendances RH : ce que veulent les talents d’aujourd’hui

Flexibilité, bien-être, sens, transmission, engagement citoyen : autant de composantes qui, loin d’être des tendances passagères, redéfinissent le contrat social en entreprise. Le défi est de taille, mais il est aussi porteur d’une promesse : celle d’une entreprise plus humaine, plus agile et plus en phase avec les aspirations du monde contemporain.
Dans un contexte où les dynamiques du travail évoluent à grande vitesse, le Maroc, à l’instar d’autres économies émergentes, est confronté à une transformation profonde de la gestion des ressources humaines. L’enjeu n’est plus simplement d’attirer ou de fidéliser les talents, mais de construire une culture d’entreprise résiliente, engageante et en phase avec les aspirations d’une nouvelle génération de collaborateurs.
Ce qui se dessine à travers les témoignages des différents intervenants au débat, c’est l’émergence d’une entreprise organique. Une organisation vivante, qui reconnaît que le changement est une constante, que les talents ne se possèdent pas mais se cultivent, et que la performance durable passe par une vision holistique du collaborateur.
Yasmine Joutel, Finance Director Northern & Western Africa chez JTI, pose un cadre clair. Selon elle, chaque départ non anticipé fragilise la pérennité d’une entreprise. D’où l’importance de «programmes de mentoring, de coaching» et d’une stratégie équilibrée entre performance économique et développement humain. Car, dans la logique de croissance durable, les talents ne sont pas des ressources remplaçables, mais des porteurs de culture et de valeur.
Flexibilité et bien-être : les nouveaux fondamentaux
La crise sanitaire a agi comme un catalyseur. Comme le note Mourad El Gour, directeur du Capital humain Afrique chez Teleperformance, il y a eu un avant et un après-crise sanitaire. Aujourd’hui, les entreprises qui ne structurent pas la flexibilité (télétravail, aménagements, modèles hybrides…) perdent leur attractivité. Le CDI et le salaire ne suffisent plus. Les candidats, mieux informés et plus exigeants, questionnent désormais le sens du travail, l’équilibre vie pro/perso et l’organisation du temps.
Fedoua Ikkez, DRH chez Ciments du Maroc, va dans le même sens et invoque la QVT. «La qualité de vie au travail est devenue une composante essentielle de notre culture», affirme-t-elle.
Des locaux modernes, des espaces de coworking, du management bienveillant et des politiques d’écoute deviennent des leviers différenciateurs. Ce qui était avant des avantages est aujourd’hui un prérequis. Mais la QVT ne se résume pas à un baby-foot ou une machine à café. Elle englobe le management bienveillant et l’écoute des aspirations individuelles.
Quête d’impact
«Aujourd’hui, les collaborateurs veulent comprendre à quoi ils servent», affirme Raouia Zaroual, directrice du Capital humain chez Les Eaux minérales d’Oulmès.
Cette quête de sens se manifeste dans une volonté de s’inscrire dans un projet d’entreprise clair, aligné sur des valeurs fortes. Le simple fait de travailler ne suffit plus. Il faut que cela ait du sens, aussi bien personnellement que collectivement. Comment dès lors construire une culture d’entreprise forte et attractive ? Raouia Zaroual identifie plusieurs piliers : l’histoire de l’entreprise, le style de management, la vocation ou mission. À cela s’ajoute un élément crucial : la capacité à incarner ces valeurs au quotidien. DRH chez inwi, Rachid Bakkar abonde dans le même sens.
«La marque employeur ne se limite pas à la perception du client. Ce que vit le collaborateur au quotidien est tout aussi déterminant. Il faut que les valeurs écrites prennent vie dans les pratiques managériales, la proximité, la reconnaissance», souligne-t-il.
Et que l’entreprise s’inscrive dans son environnement. «Lors du tremblement de terre d’Al-Haouz, les équipes de inwi ont été mobilisées pour rétablir les connexions téléphoniques et internet des zones sinistrés. Aucun mot ne saura dire l’engagement dont elles ont fait preuve. C’est dans ces moments que se révèle la vraie culture d’entreprise», témoigne le DRH.
Fedoua Ikkez, DRH chez Ciments du Maroc, confirme. «Nous sentons de plus en plus cette envie d’impact, cette volonté d’apporter une contribution qui dépasse la simple fiche de poste», relate-t-elle.
Cela se traduit par une attention accrue aux engagements sociétaux et environnementaux des entreprises, et une exigence de cohérence entre les discours et les pratiques.
Avec tout cela, Rachid Bakkar oppose un regard lucide : «Nous ne sommes plus dans un schéma où l’on offre un emploi pour la vie».
Le départ de certains profils est inévitable, en particulier dans un contexte où l’autoentrepreneuriat, le freelancing et la mobilité internationale attirent les jeunes talents. Pour y répondre, il faut changer de paradigmes. Plutôt que de lutter contre la mobilité, il s’agit de l’anticiper.
«Il faut penser en pipeline, en cartographie des compétences. Identifier les key people et prévoir deux ou trois profils capables d’assurer la relève», recommande-t-il.
Il s’agit surtout de transformer le départ en opportunité. Pour ceux qui restent, c’est parfois l’occasion de progresser, de prendre de nouvelles responsabilités, de se révéler. Dans ce contexte d’attrition inévitable, Raouia Zaroual propose, elle, un mot magique: système.
«Il faut que les dispositifs internes soient capables d’intégrer n’importe quel collaborateur à tout moment», tranche-t-elle.
Elle plaide pour un processus fluide d’accueil, de montée en compétences et de succession. Plus les processus sont rodés, plus l’intégration et la relève sont facilitées. Cela permet non seulement une meilleure courbe d’apprentissage pour les nouveaux, mais garantit aussi que le départ d’un collaborateur ne laisse pas l’organisation en déséquilibre. Mais elle prévient : «C’est coûteux, complexe. Mais c’est incontournable si l’on veut être résilient dans la guerre des talents».
Partir pour mieux revenir : la nouvelle agilité des trajectoires professionnelles
La gestion du capital humain ne s’arrête plus à l’embauche ou à la rétention. Elle s’étend désormais au-delà du cycle classique, englobant le départ, le retour et la valeur éthique des mobilités. Ce phénomène de boomerang employees, soit ces talents qui quittent une entreprise pour y revenir plus tard, s’installe comme une tendance de fond dans les stratégies RH marocaines.
«L’offboarding est tout aussi important que l’onboarding», insiste Yasmine Joutel, finance director Northern & Western Africa chez JTI.
Dans une vision résolument moderne de la culture d’entreprise, elle défend l’idée que les ex-employés demeurent des ambassadeurs de la marque. Leur départ, lorsqu’il est bien accompagné, n’est plus vécu comme une rupture mais comme un possible «À bientôt». Une approche que partage Rachid Bakkar, directeur RH chez inwi, pour qui le retour d’un collaborateur est même porteur de sens. Ce retour n’est pas vécu comme un aveu d’échec, mais comme une preuve que l’entreprise d’origine a su laisser une empreinte forte et attractive.
Pour Fedoua Ikkez, DRH chez Ciments du Maroc, ce changement témoigne d’une plus grande souplesse organisationnelle, mais surtout d’un renouvellement des mentalités managériales. Cette fluidité des parcours se double d’un gain mutuel en expertise. Le temps passé hors de l’entreprise n’est pas vu comme une perte, mais comme une phase d’enrichissement. Mais cette mobilité a ses limites.
Raouia Zaroual, directrice du capital humain chez Les Eaux Minérales d’Oulmès, évoque une frontière morale. «Par éthique, nous refusons parfois un retour, non pas par manque de besoin, mais parce que nous ne voudrions pas faire à un confrère ce que nous ne souhaiterions pas qu’il nous fasse», témoigne-t-elle.
Dans un écosystème où les talents circulent facilement, la concurrence peut vite se transformer en rivalité toxique si les pratiques de chasse aux talents deviennent agressives. L’inflation salariale liée à la guerre des talents peut ainsi devenir un piège, déséquilibrant durablement la structure de coûts des entreprises.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO