Maroc

Économie cognitive : au travail, l’intelligence artificielle entre sans frapper

Sans effet d’annonce, le Maroc s’impose parmi les champions mondiaux de l’usage régulier de l’intelligence artificielle générative, devançant des économies bien plus attendues sur ce terrain. C’est ce que révèle une enquête internationale menée en 2024 par The Network et le Boston consulting group, en partenariat avec ReKrute. Derrière cette appropriation rapide, de nouvelles aspirations professionnelles émergent, accompagnées de défis majeurs tant pour les entreprises que pour les pouvoirs publics.

Une civilisation ne bascule pas avec une application technologique, mais ses usages peuvent en être bouleversés en quelques mois. L’intelligence artificielle (IA), nouvelle venue dans l’arsenal technologique des entreprises, ne menace pas – pour l’instant – de faire disparaître le travail, mais de bouleverser de fond en comble les organisations.

À l’image de l’électricité, hier, ou d’Internet, il y a deux décennies, l’IA s’infiltre discrètement dans les comportements professionnels et habitudes de pensée. Et ce sont parfois les pays qu’on attend le moins qui s’en emparent avec le plus de rapidité. Le Maroc en est aujourd’hui l’exemple frappant.

À mesure que l’IA artificielle s’installe dans les gestes professionnels les plus ordinaires, les actifs marocains se démarquent par trois traits saillants : une curiosité technologique assumée, une exigence croissante et une volonté claire d’évoluer. C’est ce que révèle «l’enquête internationale menée en 2024 par The Network et le Boston consulting group, en partenariat avec ReKrute pour le Maroc».

Parmi les 150.000 répondants répartis sur 185 pays, 1.097 actifs marocains ont livré leurs attentes, leurs usages et leur regard sur les mutations à venir. L’enquête a permis de tracer les contours d’un rapport au travail en pleine mutation, où l’IA s’impose comme un levier de compétitivité.

Adoption spectaculaire
Le premier constat tient à «l’adoption spectaculaire de l’IA générative». Le Maroc se hisse au quatrième rang mondial pour l’usage régulier de ces outils, devançant des pays comme l’Inde, le Pakistan ou l’Égypte. Un actif sur deux les utilise plusieurs fois par mois, et cette proportion grimpe à 62% chez les moins de 30 ans, preuve d’un ancrage générationnel fort.

L’usage n’est pas cantonné à des tâches répétitives ou périphériques. Une part significative des répondants y a recours pour la recherche, l’apprentissage ou encore la rédaction professionnelle. Certains l’intègrent même comme un binôme de travail, mobilisant l’IA dans des fonctions aussi stratégiques que le développement, la personnalisation du contenu ou la détection de fraudes.

Cette appropriation technologique rapide s’accompagne d’une «évolution du rapport au travail». Plus d’un tiers des sondés disent recevoir des sollicitations mensuelles ou hebdomadaires pour de nouvelles opportunités. Ils sont 78% à estimer disposer d’un pouvoir de négociation fort ou très fort.

Ce renversement de posture se traduit par une exigence accrue. Les travailleurs marocains rejettent massivement les offres provenant d’entreprises dont les produits nuisent à la société. Ils sont 46% à faire de cet élément un motif suffisant de refus, un chiffre supérieur à la moyenne mondiale.

De même, l’absence d’un environnement inclusif ou de dispositifs en faveur de la santé mentale figure parmi les principaux points de vigilance. L’étude montre aussi que les candidats marocains sont prêts à évoluer, à condition d’être accompagnés. Ils sont 63% à déclarer qu’ils accepteraient une éventuelle requalification quoi qu’il arrive, un taux qui dépasse la moyenne mondiale. Cette volonté s’ancre dans un contexte de transformation accélérée des métiers.

Selon l’enquête, «49% des actifs marocains estiment que leur poste sera partiellement transformé par l’IA», tandis que 21% anticipent une reconversion majeure.

Seuls 5% pensent que leur emploi pourrait purement disparaître. Derrière ces chiffres, se manifeste une capacité d’anticipation supérieure à la moyenne, mais qui reste freinée par un manque d’accompagnement structuré. Les répondants citent en priorité le besoin de savoir quelles compétences développer, l’accès à de meilleurs programmes d’apprentissage et un soutien financier plus conséquent.

Dialoguer avec la machine
Cette dynamique se lit aussi dans la manière dont les actifs utilisent les résultats générés par l’IA. Moins d’un sur deux revoit les contenus produits avant de les exploiter. Ce déficit d’esprit critique, en décalage avec l’enthousiasme technologique, pourrait constituer une faiblesse à moyen terme.

Le véritable enjeu ne réside pas seulement dans l’usage, mais dans la capacité à dialoguer avec les machines, à remettre en question les réponses automatisées, à reformuler autrement les problèmes. C’est dans cette posture que se creusera demain l’écart entre les utilisateurs passifs et ceux capables d’un usage éclairé et stratégique.

À l’échelle mondiale, les tendances rejoignent celles observées au Maroc, avec quelques nuances notables. La sécurité de l’emploi demeure une priorité centrale, tout comme l’apprentissage continu et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. L’IA est globalement perçue comme un outil d’optimisation plus que comme une menace.

Toutefois, certains pays comme l’Allemagne, la Suisse ou les Pays-Bas expriment davantage de prudence quant à ses effets à long terme. Le Maroc, à l’inverse, affiche «un optimisme marqué, parfois au détriment d’une analyse plus critique». Ce décalage souligne moins une naïveté qu’un appétit, voire une volonté d’appropriation rapide, même si tout reste à construire pour que cette appropriation se traduise par une montée réelle en compétences.

L’étude montre en filigrane qu’on assiste à un moment charnière, où la technologie bouleverse les repères sans parvenir pour l’heure à remettre en cause les fondamentaux. Portée par la quête de sens autant que par la soif de progrès, une nouvelle grammaire du travail prend forme. Aux entreprises, désormais, de s’en emparer !

Méthodologie

Menée en 2024 par The Network, en collaboration avec le Boston consulting group et ReKrute pour le volet marocain, l’étude explore les mutations du monde du travail à l’ère de l’intelligence artificielle. Plus de 150.000 actifs, issus de 185 pays, ont été interrogés sur leurs usages, leurs attentes et leur disposition à se requalifier.

Au Maroc, 1.097 participants ont répondu à une série de questions mêlant perception des risques, appétence pour l’IA générative et critères de choix professionnels.

L’analyse tient compte des profils d’âge, de formation, de statut et de secteur pour mieux cerner les dynamiques à l’œuvre. Elle distingue également les usages personnels et professionnels de l’IA, tout en identifiant les profils les plus avancés dans son appropriation.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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