Edito. Double tranchant

Véritable révolution silencieuse qui redéfinit les rapports entre l’État, les entreprises et les citoyens, la facturation électronique, vous l’aurez compris, n’est pas qu’une simple réforme technique. Et pour cause, elle impose une traçabilité totale des flux économiques, en dotant l’administration fiscale d’un pouvoir inédit, lui permettant de suivre chaque transaction en temps réel. Ce qui est considéré comme un progrès pour certains est perçu comme une menace pour d’autres.
Dans un pays gangréné par l’informel, cette réforme agit comme une lame à double tranchant. D’abord, elle ambitionne de recouvrer une partie des 40 milliards de dirhams perdus annuellement à cause de l’évasion fiscale. Elle projette, ensuite, de transformer l’impôt en une mécanique algorithmique implacable.
Ceux qui évoluaient dans l’informel devront choisir entre se conformer ou disparaître. Ceci dit, cette transparence, gage d’équité, risque de générer une inflation sournoise. Les secteurs historiquement opaques comme la restauration ou le BTP, contraints d’intégrer la TVA, n’auront d’autre choix que de répercuter cette charge sur leurs prix. Un coût que le citoyen devra absorber.
L’État, en exigeant cette rigueur fiscale, devra quant à lui prouver que chaque dirham collecté se traduit en infrastructures et services visibles. Faute de quoi, cette réforme pourrait nourrir une défiance croissante. Si la facturation électronique marque la reconquête par l’État de l’économie réelle, son instauration doit être équitable : le contribuable est sommé de jouer le jeu et l’administration doit prouver que cette rigueur fiscale se traduit en progrès tangible. Sinon, elle ne fera que creuser davantage le fossé entre la rigueur comptable et la réalité du citoyen.
Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO