Entretien. Ouadih Madie : “Les prix explosent, l’État reste spectateur”
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Ouadih Madie
Président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC).
À l’approche du mois sacré, la flambée des prix des denrées alimentaires met à rude épreuve le pouvoir d’achat des ménages. Fruits, légumes, viandes et poissons atteignent des niveaux inédits, alimentant un sentiment d’impuissance face à l’absence de régulation efficace.
La flambée des prix avant ramadan est-elle une fatalité?
Ce phénomène n’est pas nouveau. Nous observons chaque année une hausse significative des prix la semaine précédant ramadan, qui se prolonge durant les premiers jours du mois sacré, avant une relative stabilisation. Mais cette année, la situation est encore plus préoccupante. Les prix ont atteint des sommets, bien au-delà du pouvoir d’achat des ménages. Nous parlons ici de produits essentiels, fruits, légumes, viandes et poissons, tous connaissent des hausses anormales.
À quoi attribuez-vous cette augmentation ?
Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il y a bien sûr la hausse des coûts de production – énergie, transport, intrants agricoles – mais aussi un problème structurel lié à la chaîne de distribution. Une grande partie des marges est captée par des intermédiaires qui n’apportent aucune valeur ajoutée, mais profitent de l’absence de contrôle pour s’imposer. C’est un système opaque, où les prix augmentent de manière artificielle bien avant d’arriver au consommateur.
Le manque de contrôle est-il le principal responsable?
C’est l’un des problèmes majeurs. Le contrôle des prix est quasiment inexistant. Les marchés de gros fonctionnent toujours selon une réglementation datant des années 1960, totalement inadaptée aux réalités d’aujourd’hui. En l’absence d’agents de régulation sur le terrain, les pratiques spéculatives prospèrent. Le consommateur se retrouve seul face à des prix fixés arbitrairement, sans explication et sans aucune transparence.
Vous mentionnez l’opacité des prix. L’affichage obligatoire n’est-il pas censé garantir une certaine transparence ?
En théorie, oui. Mais en pratique, cette règle n’est pas respectée. Très peu de commerçants affichent les prix, et il n’y a aucun contrôle pour imposer cette obligation. Sans affichage, impossible pour les consommateurs de comparer, de contester ou de comprendre les variations tarifaires. Dans la grande distribution, les prix sont visibles, mais dans les marchés et les commerces de proximité, c’est un flou total.
L’État a-t-il les moyens d’agir ?
Bien sûr. Il y a les outils législatifs, les moyens techniques, mais il manque une volonté politique claire. Prenons l’exemple du poisson, sa traçabilité est assurée jusqu’à l’entrée sur le marché, mais au-delà, plus rien ne permet de suivre son prix une fois qu’il quitte le port. Ce qui montre bien que le problème ne réside pas dans l’absence de solutions, mais dans le manque d’application sur le terrain.
Que faudrait-il changer en priorité ?
D’abord, réformer le cadre légal des marchés de gros, vieux de plus de soixante ans. Ensuite, imposer un contrôle effectif sur les intermédiaires, dont les marges excessives faussent complètement le jeu de l’offre et de la demande.
Enfin, assurer une transparence totale sur les prix, depuis le producteur jusqu’au consommateur. Sans ces réformes, les hausses de prix continueront d’étrangler les ménages, et ramadan deviendra, chaque année, un test de résistance pour le pouvoir d’achat des ménages.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO