CNSS : l’amnistie de la dernière chance sera-t-elle une réussite ?
Ultime fenêtre de tir pour l’amnistie des arriérés à la CNSS. Ces jours sont décisifs pour l’avenir de la Caisse et du système de protection sociale au Maroc.
Remises défiant toute concurrence sur les pénalités et arriérés de cotisations à la CNSS. Dernier jourspour en profiter ! C’est la dernière chance pour les entreprises et employeurs marocains de bénéficier des remises exceptionnelles offertes par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) sur les pénalités, frais et astreintes liés aux arriérés de cotisations sociales. Après le succès retentissant de l’amnistie fiscale, tous les regards sont désormais tournés vers la CNSS.
«Les avoirs déclarés dans le cadre de la récente amnistie fiscale sont estimés à 127 milliards de dirhams», a confirmé Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement. Un apport fiscal non négligeable de 6 milliards de dirhams pour l’État.
Mais la CNSS parviendra-t-elle à dupliquer ce succès ? Cette opération, qui prend fin ce mercredi 15 janvier 2025, représente un enjeu majeur pour l’équilibre financier du régime de sécurité sociale au Maroc.
«C’est la dernière ligne droite pour bénéficier des remises gracieuses de la CNSS sur les arriérés de cotisations sociales. Il ne reste plus qu’aujourd’hui pour ceux qui souhaitent régulariser leurs arriérés grâce à cette amnistie», rappelle un responsable d’agence bancaire.
Si l’affluence semble moindre que lors de l’opération fiscale, de nombreux contribuables affluent encore pour se mettre en conformité.
Des remises substantielles pour alléger le fardeau des arriérés
Les niveaux de remises accordés par la CNSS sur les arriérés de cotisations constituent une véritable bouffée d’oxygène pour les entreprises lourdement obérées. Prenons l’exemple d’une PME qui accumulerait 500.000 dirhams d’arriérés, avec 200.000 dirhams de pénalités et frais et 100.000 dirhams d’astreintes.
En optant pour un paiement total, elle bénéficierait d’une remise de 60% sur les 200.000 dirhams de pénalités, soit 120.000 dirhams d’économies. Sur les 100.000 dirhams d’astreintes, la remise de 90% lui permettrait d’en abandonner 90.000.
Au total, ce sont donc 210.000 dirhams qui seraient effacés sur une dette initiale de 800.000 dirhams. Une réduction de plus d’un quart qui peut s’avérer décisive pour retrouver une certaine solidité financière.
Même en optant pour un paiement étalé sur plusieurs années, les remises resteraient très intéressantes avec jusqu’à 40% sur les pénalités et 70% sur les astreintes. Une aubaine pour les entreprises qui pourront se relancer sur des bases nettement plus saines.
Une caisse au bord du gouffre financier
Au-delà des chiffres record de l’amnistie fiscale, c’est l’avenir même de la CNSS qui se joue. Frappée de plein fouet par la crise économique, elle doit aujourd’hui faire face à un déficit abyssal et des réserves qui s’amenuisent d’année en année.
La situation financière de la caisse est désormais au rouge vif. Selon les projections actualisées, le régime de base des salariés accuserait un déficit annuel de près de plusieurs milliards de dirhams. Un chiffre astronomique qui illustre l’ampleur de la déroute pour ce pilier du système de prévoyance marocain. C’est un peu comme si le porte-monnaie de la CNSS se vidait inexorablement, faute de rentrées suffisantes pour couvrir les sorties. Les réserves qui permettaient jusqu’alors d’amortir les déficits se sont considérablement amincies.
A ce rythme, la CNSS pourrait se retrouver en cessation de paiement selon les scénarios les plus alarmistes. Une perspective dramatique pour les millions de bénéficiaires qui comptent sur ces prestations sociales pour leur retraite, leur couverture maladie ou les allocations familiales. Les causes de cette hémorragie sont multiples : vieillissement de la population, informalité galopante dans l’économie, impact durable du Covid sur l’emploi… Autant de facteurs qui plombent les recettes alors que les dépenses progressent inexorablement.
Face à l’urgence, les solutions semblent limitées : augmentation des taux de cotisation, relèvement de l’âge de départ à la retraite, resserrement des conditions d’accès aux prestations… Autant de remèdes douloureux à avaler pour les citoyens et le monde économique. Si elle n’est pas résolue dans les prochaines années, cette bombe à retardement pourrait bien faire imploser tout l’édifice de la protection sociale au Maroc. Un enjeu vital pour l’avenir du Royaume qui nécessite des réformes courageuses et une mobilisation de toutes les parties prenantes.
Une bouée de sauvetage vitale
Cette opération d’amnistie est cruciale pour la pérennité de notre système de protection sociale. Les arriérés non recouvrés constituent une épée de Damoclès au-dessus de la tête de la caisse. En permettant d’en récupérer une partie substantielle, cette mesure peut lui offrir un réel répit financier. Avec un stock d’arriérés aussi important, la CNSS fait face à une véritable gangrène financière. Une hémorragie chronique de ressources qui la prive de précieuses rentrées, au moment où ses dépenses ne cessent d’augmenter.
«C’est un peu comme si on laissait filer l’eau du robinet indéfiniment sans rien faire», illustre un expert en prévoyance sociale.
À un moment donné, les réserves finissent par se tarir complètement. «En permettant aux entreprises défaillantes de s’acquitter d’une partie de leurs dettes avec des remises substantielles, l’amnistie en cours pourrait donc permettre de récupérer plusieurs milliards de dirhams d’un seul coup. Prenons l’exemple d’une entreprise qui doit 5 millions de dirhams d’arriérés sur trois ans. En optant pour un paiement total, elle ne paierait que 1,8 million grâce à la remise de 60% sur les pénalités et frais. Un effort, certes conséquent, mais bien moindre que le montant initial dû. Et, surtout, une rentrée d’argent fraîche pour la CNSS.
Au total, si l’opération rencontre un franc succès, ce sont des milliards de dirhams qui pourraient être mobilisés. Une véritable bouffée d’oxygène pour une caisse exsangue. Car si elle est indispensable, cette amnistie n’est que temporaire. Pour éponger ses déficits structurels qui se chiffrent en milliards chaque année, la CNSS devra impérativement revoir son modèle économique et fermer ses failles de recouvrement, sous peine de sombrer.
Réussite obligatoire
Pour la plupart des experts, cette opération d’amnistie de la CNSS doit impérativement être un succès, sous peine de fragiliser davantage l’équilibre financier déjà précaire du régime. «L’amnistie fiscale a montré la voie en permettant de mobiliser des ressources colossales.
La CNSS se doit d’emprunter le même chemin sous peine d’hypothéquer lourdement ses finances», prévient un économiste. Plusieurs facteurs plaident en faveur d’une issue favorable. Tout d’abord, les conditions avantageuses proposées par la CNSS avec des remises allant jusqu’à 90% devraient en inciter plus d’un à sauter le pas. Ensuite, le succès retentissant de l’amnistie fiscale, avec 125 milliards de dirhams déclarés, a pu créer un précédent psychologique favorable chez les contribuables.
Enfin, la période de crise économique a contraint de nombreuses entreprises à accumuler des dettes sociales parfois élevées. Cette opération représente donc une véritable bouée de sauvetage. Cependant, certaines voix se font entendre pour appeler à la prudence.
«Malgré des objectifs similaires, l’amnistie CNSS cible une population différente avec des profils de risque et des capacités de paiement variables. On ne peut donc écarter la possibilité d’un résultat en demi-teinte», nuance un analyste financier.
En effet, si le fisc a pu convaincre de grandes fortunes, la CNSS doit-elle composer avec un écosystème d’employeurs plus hétérogène : du poids lourd industriel aux TPE en difficulté, en passant par l’informel chronique. Tous n’ont pas la même surface financière ni le même rapport à la règle.
Certains vont jouer le jeu, d’autres vont ronger leur frein. Alors quel sera le verdict final ? Succès franc et massif permettant un véritable assainissement ? Où demi-réussite entachant la relance de la CNSS ? Réponse dans quelques jours à l’issue de cette opération à haut risque pour l’avenir de la protection sociale au Maroc.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO