Maroc

Amnistie fiscale : affluence massive dans les banques avant la dernière ligne droite

Ruée sans précédent sur les banques avant l’échéance du 31 décembre 2024, date butoir pour profiter des différentes amnisties fiscales mises en place par le gouvernement. Décryptage d’une opération d’envergure qui aura cristallisé à la fois un vif engouement… et bien des incompréhensions.   

Au cours des derniers jours, l’heure était à la dernière ligne droite pour bénéficier des amnisties fiscales proposées par les autorités. Une opportunité qui aura suscité un véritable afflux dans les agences bancaires, mais aussi de profondes interrogations chez certains contribuables. Les samedi 28 et dimanche 29 décembre 2024 ont été marqués par une ruée sans précédent sur les agences bancaires marocaines.

Comme le confirme un responsable d’agence interrogé : «Nous avons été assaillis depuis le début du mois de décembre. À titre d’exemple, aujourd’hui nous sommes en non-stop depuis 8h15».

Cette affluence était certes anticipée par les banques, qui se préparaient à un véritable rush avant la date butoir du 31 décembre 2024. En cause, les diverses amnisties fiscales mises en place par les autorités, qui expirent à cette date.

Comme l’expliquait l’économiste et expert-comptable, Mehdi Fakir, dans son récent passage au JT de 2M, «il est question de quatre opérations d’amnistie fiscale qui concernent le cash, les devises, les incidents de paiement ainsi que les arriérés de la CNSS».

Un vaste chantier visant à faire émerger une partie de l’économie informelle. La mesure phare reste l’amnistie sur le «cash». Elle concerne, comme a tenu a l’expliquer Mehdi Fakir, «les revenus réalisés en dirhams qui n’ont jamais fait l’objet de déclarations, qu’ils soient conservés dans le cadre de soldes bancaires ou de billets de banque non déposés, ainsi que des comptes courants associés ou des prêts». Une contribution libératoire de seulement 5% est demandée pour régulariser ces avoirs issus de la sphère informelle.

L’amnistie «devise» vise quant à elle «les avoirs à l’étranger, que ce soit sous forme de comptes bancaires ou sous forme d’emploi des fonds, du foncier, des instruments financiers déposés ou placés à l’étranger». L’objectif est de rapatrier ces capitaux, via l’ouverture de comptes en dirhams convertibles, et de payer une contribution libératoire sur ces emplois en devises.

Amnisties CNSS : un casse-tête pour les contribuables
Si l’amnistie sur le «cash» et celle sur les avoirs en devises ont suscité un véritable engouement, les mesures parallèles concernant la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ont en revanche cristallisé bien des incompréhensions.

À l’image de cette amnistie sur les incidents de paiement, limitée à 1,5% des pénalités et plafonnée à 10.000 dirhams pour les personnes physiques et 50.000 dirhams pour les personnes morales.

«L’objectif est de permettre aux personnes physiques comme aux personnes morales de bénéficier d’une amnistie à hauteur de 1,5% uniquement de la majoration qui vient de la pénalité pour chèque en bois qui peut atteindre 10 à 20%», explique Fakir.

Une mesure restrictive qui n’a pas manqué de soulever des interrogations de la part des contribuables, nous dit un responsable d’agence bancaire. Tout aussi déroutante, l’amnistie sur les arriérés de cotisations CNSS. Si elle promet une remise allant jusqu’à 90% des pénalités, majorations et astreintes, elle reste conditionnée à la conclusion d’un accord avec les services de la Caisse. Avec, au choix, un paiement comptant ou un rééchelonnement des sommes dues. Face à ces dispositions complexes, de nombreux contribuables se sont heurtés à un réel déficit de compréhension.

«Les personnes qui posent des questions sont surtout des salariés et retraités qui ont peur pour leur épargne et souhaitent savoir s’ils sont concernés», rapporte un responsable d’agence bancaire.

Un manque de lisibilité regrettable, d’autant que ces amnisties CNSS constituent un levier essentiel pour la résorption de l’économie informelle.

En témoigne l’appel insistant de Mehdi Fakir : «C’est un appel à l’ensemble des contribuables, des personnes physiques, des agents économiques de se rendre auprès des services de la CNSS […] pour avoir plus d’informations».

Reste que malgré les efforts déployés, la complexité inhérente à ces dispositifs n’a pu être totalement gommée. Une difficulté supplémentaire qui, à n’en pas douter, a freiné l’adhésion d’une partie des contribuables ciblés. Un écueil dont les autorités devront tenir compte, afin d’optimiser l’efficacité de prochaines initiatives du même ordre.

La crainte d’un «piège» persiste
Malgré les importants efforts de communication déployés par les autorités, une frange des contribuables visés par l’amnistie fiscale n’a pu se résoudre à franchir le pas. Comme en témoigne ce responsable d’agence bancaire : «Une minorité de clients ont refusé de payer la cotisation de 5% et d’autres ont même retiré leurs fonds, croyant que cela leur éviterait toute révision fiscale». Une attitude de défiance qui trouve son origine dans la crainte, bien ancrée chez certains contribuables, de tomber dans un «piège» fiscal à l’issue de cette régularisation. Une appréhension qui souligne, s’il en était encore besoin, le déficit de confiance entre une partie des contribuables et l’administration des impôts.

«Et ils avancent qu’ils ne reçoivent rien de l’État, pourquoi doivent-ils payer sans avoir une contrepartie», rapporte encore la même source, mettant en lumière ce sentiment de «perdants» sur l’échiquier fiscal.

Un ressenti qui trouve en partie sa source dans le manque de pédagogie de la part des pouvoirs publics. Car si cette amnistie était bien assortie de garanties, à l’instar de la confidentialité pour les fonds régularisés, force est de constater que le message n’est pas entièrement passé.

La perspective, même infime, d’éventuels contrôles fiscaux à l’avenir semble avoir suffi à dissuader certains contribuables de se mettre en règle. Un écueil d’autant plus dommageable que ces réfractaires font figure d’exception, la majorité des opérateurs économiques ayant répondu présents. Preuve qu’une large frange de cette économie informelle aspire à sortir de l’ombre, pour peu qu’on lui tende la main avec bienveillance et pédagogie.

C’est donc tout l’enjeu pour les autorités publiques : restaurer la confiance pour convaincre les derniers récalcitrants, en levant une fois pour toutes les possibles ambiguïtés. Un défi de longue haleine, dont l’issue favorable conditionne l’effectivité de telles amnisties fiscales à l’avenir.

Afflux massif dans les banques illustrant une large adhésion
Si une minorité de récalcitrants se fait encore entendre, l’afflux massif de contribuables constaté dans les établissements bancaires ces dernières semaines témoigne d’une large adhésion des opérateurs économiques aux différentes amnisties proposées.

«Je pense que cela va faire ressortir 60 à 70% du liquide qui circule en informel au Maroc», estime d’ailleurs notre banquier interrogé.

Une véritable ruée que ni les complexités procédurières, ni les craintes subsistantes n’auront pu endiguer. Signe que pour nombre d’acteurs économiques évoluant jusque-là dans l’économie informelle, cette opportunité de blanchiment tenait véritablement de la dernière chance à saisir.

«C’est peut-être la dernière sortie avant payage», met d’ailleurs en garde Mehdi Fakir, laissant augurer d’un durcissement prochain du ton des autorités fiscales.

Un avertissement qui n’aura pas manqué de faire mouche auprès d’une frange des opérateurs, las de devoir évoluer dans la clandestinité au péril de lourdes sanctions pénales. Car c’est bien là que réside l’enjeu crucial de cette opération d’envergure : permettre une réintégration dans le giron de l’économie formelle, sous porte ouverte certes, mais bien celle de la dernière chance. Une dynamique que le gouvernement espère pleinement insuffler pour les années à venir.

Au-delà des résultats chiffrés, qui s’annoncent déjà des plus prometteurs avec cet afflux sans précédent, c’est donc tout un avenir économique qui se dessine. Un pari que les autorités estiment désormais gagnable, alors même que les derniers réfractaires risquent bien de se voir définitivement enfermés dans les serres d’un marigot économique aux allures de «case prison». Un tour de vis qui déterminera à n’en pas douter le succès pérenne de cette vaste opération de mise à niveau du tissu productif national.

Un signal encourageant

Au-delà des interrogations et incompréhensions exprimées çà et là par certains contribuables, cette période de régularisation fiscale exceptionnelle aura permis de résonner auprès d’une large frange de l’économie nationale. Un signal encourageant pour les autorités, qui démontre la soif de mise à niveau d’un pan important du tissu économique marocain.

Reste que si le gouvernement peut d’ores et déjà se féliciter de cette adhésion massive, il n’en demeure pas moins que des efforts supplémentaires de communication et de pédagogie s’imposent. Afin d’assurer, dans la durée, une adhésion pleine et entière des opérateurs économiques à cet assainissement salutaire. Car si ces amnisties fiscales s’inscrivent certes dans une dynamique d’apaisement, elles ne sauraient pleinement porter leurs fruits sans un réel travail de transparence de la part des pouvoirs publics.

Transparence sur les modalités pratiques d’application, mais aussi et surtout sur les contreparties offertes aux contribuables acceptant de se mettre en conformité. Seule une parfaite lisibilité permettra de lever les dernières ambiguïtés et de dissiper les craintes persistantes d’une partie des acteurs économiques. Un gage de confiance indispensable pour garantir l’efficience de telles initiatives sur le long terme.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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