Fibre de polyester de rembourrage : une hausse des droits de douane porteuse ?
La récente proposition du gouvernement d’augmenter, dans le cadre du PLF 2025, les droits de douane sur une catégorie spécifique de fibre de polyester soulève de nombreuses interrogations quant à ses véritables enjeux industriels, économiques et environnementaux. Détails.
La récente proposition du gouvernement d’augmenter, dans le cadre du PLF 2025 les droits de douane de 2,5% à 10% sur l’importation de la fibre synthétique discontinue de polyester d’un titre supérieur ou égal à 3,78 décitex et inférieur à 22,22 décitex, soulève de nombreuses interrogations.
Entre autres, pourquoi cette limitation aux fibres de polyester d’un titre compris spécifiquement entre 3,78 et 22,22 décitex ? Que dit l’étude d’impact approfondie réalisée par le gouvernement avant d’arrêter ces nouveaux taux de taxation à l’importation ? Cette mesure tarifaire s’inscrit-elle dans une stratégie industrielle plus large ? Laquelle ? Au-delà de la quantité, les producteurs locaux censés profiter de cette mesure protectionniste vont-ils être au rendez-vous de la compétitivité coût et qualité ? Quelles pourraient être les conséquences pour les consommateurs finaux en cas de renchérissement des coûts de production ? Cette mesure douanière a-t-elle fait l’objet de consultations préalables avec les professionnels concernés (importateurs, industriels, distributeurs) ? Une chose est sûre, la raison invoquée par le gouvernement est que «cette mesure vise à développer la production locale de cette fibre, principalement issue du recyclage des bouteilles en plastique PET», un enjeu crucial pour l’économie circulaire et la gestion des déchets plastiques au Maroc.
Mieux, le fait que le gouvernement limite sa mesure protectionniste aux fibres de polyester d’un titre compris spécifiquement entre 3,78 et 22,22 décitex révèle plusieurs éléments importants qu’un expert averti a décrypté.
«Premièrement, cette fourchette de titres correspond aux fibres couramment utilisées dans l’industrie textile pour l’habillement, la lingerie, les tissus d’ameublement, etc. En ciblant précisément cette gamme, le gouvernement cherche manifestement à protéger et soutenir le secteur textile national, secteur clé en termes d’emplois et d’exportations et pourvoyeur de devises», nous dit notre contact.
En renchérissant le coût des importations de ces fibres polyester via une hausse des droits de douane de 2,5% à 10%, la compétitivité-prix des produits textiles importés diminue, ce qui favorise l’utilisation des productions nationales de fibres synthétiques pour les industries locales.
Deuxièmement, en excluant les titres inférieurs à 3,78 et supérieurs à 22,22 décitex, le Maroc préserve l’accès à moindre coût pour d’autres secteurs industriels, notamment les usages techniques des fibres très fines ou très grosses (géotextiles, câblerie, renforts composites, etc). Cette limitation ciblée révèle donc une approche cherchant à soutenir spécifiquement la filière mode/habillement/textile d’ameublement, considérée comme stratégique, sans pénaliser d’autres industries utilisatrices de fibres synthétiques. C’est une politique industrielle sectorielle fine.
Troisièmement, cette mesure s’inscrit probablement dans une logique d’économie circulaire. En favorisant la production locale de ces fibres polyester courantes très recyclables, le Maroc pourra plus facilement boucler les cycles de réemploi et valoriser ses déchets textiles. Enfin, cette limitation pourrait aussi répondre à des contraintes liées aux accords commerciaux internationaux, en évitant de taxer trop largement toute la gamme des fibres synthétiques.
Quelle est la capacité actuelle des industriels marocains ?
Aujourd’hui, quelques acteurs majeurs dominent ce marché, à l’instar de Famacolor Casafibre, Polyester Maroc et le groupe Dolidol. Selon un membre de l’Association marocaine des fabricants de tissu non tissé, les acteurs du secteur peuvent «subvenir à tous les besoins au niveau national qualitativement et quantitativement».
Cependant, les volumes exacts de production restent difficiles à estimer avec précision. Évaluer avec précision la demande locale pour cette fibre de polyester discontinue de rembourrage représente un défi. Selon les chiffres cités, le Maroc consommerait environ 320.000 tonnes de fibre de polyester par an, dont la moitié serait destinée au rembourrage. Néanmoins, il est difficile de déterminer quelle part correspond spécifiquement à la catégorie visée par la hausse des droits de douane.
Un impact sur les prix à relativiser
L’augmentation des droits de douane aura inévitablement un effet sur les prix des produits finis intégrant cette fibre, comme les matelas, le rembourrage et les textiles. Cependant, cet impact devrait rester limité. Comme on a pu l’observer avec l’écotaxe sur les matières plastiques, mise en place pour financer la filière de recyclage et en vigueur depuis un certain temps, l’écotaxe n’a engendré qu’une hausse minime de 0,5 centime par bouteille d’eau produite localement.
Cette mesure protectionniste ciblera principalement les importations en provenance de pays comme la Chine, leader mondial de la production de fibres synthétiques, ainsi que la Turquie, l’Inde, l’Europe (Allemagne, Italie) et la Corée du Sud. Leur réaction reste à déterminer, mais des tensions commerciales ne sont pas à exclure.
Un coup de pouce aux recettes douanières et à l’emploi
Bien que difficile à chiffrer précisément, cette hausse des droits de douane devrait avoir un impact positif sur les recettes douanières de l’État en 2025. Cependant, cet effet pourrait être partiellement contrebalancé par une baisse des volumes importés, si les producteurs locaux parviennent à répondre à une part plus importante de la demande.
En offrant une protection accrue face aux importations, cette mesure vise à stimuler les investissements dans la production locale de cette fibre de polyester discontinue. Rappelons que Dolidol, à travers sa filiale Dolicen, est entré sur ce marché courant 2021. D’autres acteurs ont certainement suivi, à condition que les volumes de production et la demande le justifient.
Néanmoins, les délais et les investissements requis pour de nouvelles capacités restent incertains. Le développement de cette filière pourrait avoir des retombées positives en termes d’emplois directs et indirects. Cependant, l’ampleur de ces créations d’emplois dépendra largement de l’envergure des investissements réalisés par les industriels locaux.
En encourageant le recyclage des bouteilles en plastique PET pour produire cette fibre, cette mesure s’inscrit pleinement dans la stratégie nationale de développement d’une économie circulaire et de promotion du recyclage des déchets plastiques. Elle devrait dynamiser la filière de collecte et de revalorisation des déchets plastiques, un secteur encore largement informel au Maroc. Mais qui fait vivre de nombreuses familles parce que le secteur compte dans son écosystème des milliers de chiffonniers, et de collecteurs de bouteilles dans plusieurs villes du pays.
Maintenir la compétitivité, un défi
Malgré la protection offerte par la hausse des droits de douane, les producteurs marocains devront relever le défi de maintenir des prix compétitifs par rapport aux importations. Leurs coûts de production, notamment en termes de main-d’œuvre et d’énergie, devront rester maîtrisés pour préserver leur compétitivité sur le marché local. En effet, cela est un point essentiel.
Le secteur textile reste une industrie à forte intensité de main-d’œuvre. En dépit des efforts de modernisation et d’automatisation, la composante salaires représente généralement une part importante des coûts de revient. Les entreprises marocaines devront donc continuer à maîtriser strictement leur masse salariale pour ne pas voir leurs prix de vente trop augmenter. Les process de filature, tissage, teinture, etc., consomment beaucoup d’énergie (électricité, gaz, vapeur). Avec la hausse tendancielle des cours de l’énergie, ce poste pèsera de plus en plus lourd. L’optimisation énergétique des outils industriels et le recours aux énergies renouvelables seront indispensables.
Malgré la taxe protectrice, l’approvisionnement en polyester local restera sans doute un peu plus cher que les importations low-cost. Les producteurs devront négocier au mieux leurs prix d’achat et sécuriser leurs sources. Sachant que les coûts de transport intérieur et international grèvent la compétitivité des produits finis, une logistique optimisée et des infrastructures performantes seront primordiales.
Aussi, «pour rester compétitifs, d’importants investissements seront nécessaires dans des équipements de production plus automatisés, économes en ressources et flexibles, permettant de s’adapter aux évolutions de la demande», explique un analyste.
Ainsi, même aidés par la protection douanière, les industriels textiles marocains devront redoubler d’efforts sur tous les leviers de compétitivité-coûts pour rester présents sur les marchés face à la concurrence étrangère résiduelle. Un défi de taille dans un environnement économique mondialisé. Pour les industries utilisatrices de cette fibre, comme le textile, l’ameublement et la literie, l’enjeu sera de s’approvisionner à des prix raisonnables auprès des producteurs locaux. Une hausse trop importante des coûts pourrait fragiliser leur compétitivité, à moins qu’ils ne répercutent ces hausses sur leurs prix de vente finaux. En somme, cette hausse des droits de douane représente un pari ambitieux pour le Maroc.
En protégeant la production locale, elle vise à développer une filière prometteuse pour l’économie circulaire et la gestion des déchets plastiques. Néanmoins, son succès dépendra de la capacité des industriels marocains à répondre à la demande, tout en maintenant leur compétitivité face aux importations. Un défi de taille, mais porteur d’opportunités économiques et environnementales pour le Royaume.
Alternatives limitées
Les alternatives à l’importation de la fibre de polyester discontinue restent limitées à court terme. D’autres matières premières, comme le coton ou les fibres naturelles, ne présentent pas les mêmes propriétés techniques pour les applications de rembourrage. Quant aux technologies de production, elles restent largement dépendantes du recyclage des déchets plastiques PET.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO