Monde

Nigéria : la raffinerie de Dangote, entre promesses et “réalités du marché”

Quand l’essence de la mégaraffinerie du magnat Aliko Dangote inondera-t-elle le marché au Nigéria ? La question n’est pas nouvelle mais elle est devenue quasi obsessionnelle dans le pays le plus peuplé d’Afrique, plombé par les pénuries.

Aliko Dangote, «l’homme le plus riche d’Afrique» depuis 13 ans selon Forbes, a annoncé il y a quelques jours attendre le feu vert de la compagnie pétrolière nationale (Nigerian National Petroleum Company, NNPC). Cette dernière, seule entité à acheter l’essence destinée au marché national, a évoqué la date du 15 septembre.

Construite à partir de 2016 à Lekki, dans la périphérie de la capitale économique Lagos, et inaugurée en mai 2023, la titanesque raffinerie d’Aliko Dangote, la plus grande du continent, d’une capacité de 650.000 barils par jour, est censée couvrir l’intégralité des besoins en essence du pays. Mais sa mise en route a été maintes fois repoussée. Elle porte depuis sa conception la promesse de résoudre la contradiction du Nigéria – premier producteur de pétrole du continent, il importe pourtant la quasi-totalité de ses carburants – et de mettre fin aux pénuries tout en maintenant des prix à la pompe bas. Mais l’optimisme des Nigérians sur ce point faiblit, d’autant qu’ils viennent d’être assommés par une augmentation surprise de 45% des prix de l’essence à la pompe.

Trouver sa place sur le marché
À quel prix sera vendue l’essence de Dangote sur le marché nigérian ? C’est la grande question. «De nombreux Nigérians s’attendent raisonnablement à (…) un prix moins élevé (qu’aujourd’hui), parce que c’est ce qu’on leur a fait miroiter», explique l’analyste Ayotunde Abiodun du cabinet nigérian SBM Intelligence.

L’expert ajoute que l’absence de coûts d’importation pourrait aussi jouer sur le prix des carburants produits par Aliko Dangote. Mais les «réalités du marché» telles que «les cours mondiaux du pétrole, le coût de l’approvisionnement en pétrole et les marges de raffinage» rendent selon lui cette perspective peu probable, du moins «à court terme». D’autant plus que le milliardaire nigérian doit rentrer dans ses coûts et rembourser sa dette contractée pour faire sortir de terre ce mastodonte qui a coûté 20 milliards de dollars. Dangote «va certainement prioriser les marchés qui peuvent lui rapporter le plus» et donc vendre une partie de son essence à l’étranger, estime Ayotunde Abiodun.

En arrivant au pouvoir en mai 2023, le président Bola Ahmed Tinubu a officiellement mis fin aux subventions sur les carburants, qui permettait depuis des décennies de maintenir artificiellement des prix bas. Ceux-ci ont alors triplé. Mais même avec la nouvelle augmentation de 45%, le prix du litre d’essence reste très inférieur au prix du marché: 855 nairas (0,47 euro), contre 1.100 nairas (0,61 euro).

La NNPC continue donc d’acheter de l’essence plus chère qu’elle ne la vend, et de creuser sa dette auprès des fournisseurs, qui atteint 6 milliards de dollars. Mais augmenter à nouveau le prix du carburant serait socialement très difficile pour la population et pourrait provoquer «des émeutes», note Ademola Henry Adigun, du cabinet AHA Consultancies.

«Il s’agit de questions politiques qui doivent faire l’objet d’un accord commun entre nous et la NNPC. Pour l’instant, nous croisons les doigts», a déclaré mardi à l’AFP Anthony Chiejina, responsable de la communication du groupe Dangote.

Monopole ?
«Il n’est pas garanti» que l’essence Dangote mette un terme aux pénuries, prévoit Ayotunde Abiodun, en pointant notamment les «nombreuses défaillances» de la NNPC en matière de «compétence» et de «transparence». La production de pétrole nigériane a baissé ces dernières années, atteignant en 2023 moins de 1,2 million de barils par jour, loin des 2 millions souhaités par le gouvernement. La question de la fourniture de pétrole brut a provoqué des tensions entre les autorités et Aliko Dangote, d’autant que ce dernier est moins proche du gouvernement de Bola Ahmed Tinubu que de celui de son prédécesseur Muhammadu Buhari.

Dangote a reproché à la NNPC de ne pas lui fournir assez de pétrole brut à raffiner, le contraignant à se tourner vers des sociétés internationales qui vendent le baril de brut entre 3 et 4 dollars plus cher que la NNPC. Si Dangote devait importer du brut plus cher, il pourrait être tenté de privilégier ensuite la vente sur les marchés étrangers pour s’assurer de meilleures marges, note Ayotunde Abiodun.

De leur côté, les traders pétroliers craignent que Dangote se retrouve dans une situation monopolistique où il serait le seul fournisseur du pays en essence, menaçant leurs propres affaires. «Il est normal que toute tentative de perturber un système qui a fonctionné d’une certaine manière depuis très longtemps se heurte à une résistance importante de la part de ceux qui en bénéficient», commente Clementine Wallop, de la société de conseil Horizon Engage. «La question du monopole est sans fondement», tranche de son côté Anthony Chiejina, du groupe Dangote.

Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO



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