Secteur de la restauration : l’urgence d’une stratégie nationale
À travers cette interview, Imane Rmili, présidente de la Fédération des restaurants du Maroc, revient sur la situation de la restauration touristique au Maroc et les défis auxquels est confronté ce secteur. Elle s’exprime également sur la compétitivité de cette activité, notamment en relation avec la fiscalité du secteur.
À l’instar de l’hôtellerie, la restauration touristique cache plusieurs disparités. En tant que présidente de la Fédération des restaurants du Maroc, quel regard portez-vous sur l’état actuel de ce secteur ?
Je constate que le secteur de la restauration touristique, tout comme l’hôtellerie, présente effectivement des disparités significatives. Ces disparités se manifestent à plusieurs niveaux : géographique, en termes de qualité de service, et dans l’accès aux ressources et aux formations. D’un côté, nous avons des établissements qui réussissent à s’aligner sur les standards internationaux, offrant une expérience client de haute qualité. De l’autre, il existe encore de nombreux restaurants qui peinent à se moderniser ou à se conformer aux exigences du marché touristique actuel.
Cette situation est accentuée par des différences dans l’accès aux ressources, qu’il s’agisse de matières premières, de financements ou de formations professionnelles. Notre priorité en tant que Fédération est de travailler à réduire ces écarts en encourageant la professionnalisation du secteur à travers des initiatives de formation, le soutien à l’innovation, et la promotion de l’excellence. Nous devons également renforcer la coopération entre les acteurs du secteur pour créer un écosystème plus solidaire et compétitif.
Enfin, il est crucial de développer une véritable stratégie nationale qui prenne en compte les spécificités régionales et qui soutienne les restaurateurs dans leur quête de qualité et d’authenticité, éléments essentiels pour attirer et fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les restaurateurs touristiques marocains aujourd’hui ? Y a-t-il des problèmes spécifiques à certaines régions du pays ?
Les restaurateurs touristiques font face à plusieurs difficultés majeures qui affectent leur activité au quotidien. Parmi les principales contraintes, figure tout d’abord l’augmentation des coûts. En effet, l’inflation et les hausses des prix des matières premières, de la rémunération du personnel, et des énergies pèsent lourdement sur les marges des restaurateurs.
Ces augmentations sont souvent plus difficiles à absorber dans les régions où le pouvoir d’achat local est plus faible, rendant la gestion des coûts encore plus complexe. Il s’agit aussi du manque de personnel qualifié, la difficulté à recruter et à retenir du personnel qualifié étant un problème récurrent. Cela est particulièrement vrai dans les zones rurales ou éloignées, où l’offre de formation et les opportunités professionnelles sont limitées.
Parmi les difficultés, je citerai aussi la concurrence déloyale. Dans certaines régions, la concurrence déloyale due à des établissements informels qui ne respectent pas les mêmes normes sanitaires ou fiscales est un problème croissant. Cela crée un déséquilibre et une pression supplémentaire sur les restaurateurs qui opèrent dans la légalité. À cela s’ajoutent les problèmes d’infrastructure.
Dans ce sens, certaines régions, notamment les zones rurales ou moins développées, souffrent d’un manque d’infrastructures adéquates (routes, accès aux services de base), ce qui rend l’approvisionnement et l’accès des clients plus difficiles. Ces problèmes logistiques peuvent décourager les visiteurs et augmenter les coûts d’exploitation.
Par ailleurs, les disparités régionales, notamment entre les différents territoires du pays en termes de soutien institutionnel et d’accès aux ressources, figurent également parmi les contraintes. Les grandes villes touristiques comme Casablanca et Marrakech bénéficient de plus de soutien et d’infrastructures, tandis que d’autres régions, notamment dans le nord ou le sud, peinent à attirer des investissements et à se développer au même rythme.
Pour surmonter ces défis, il est crucial de mettre en place des stratégies adaptées aux spécificités de chaque région, tout en renforçant le soutien global aux restaurateurs à travers des formations, des incitations fiscales et une meilleure promotion du tourisme local. L’amélioration des infrastructures et une lutte plus active contre la concurrence déloyale sont également essentielles pour assurer un développement harmonieux du secteur de la restauration touristique au Maroc.
Pourquoi le tissu de ce secteur est-il sous-représenté dans plusieurs villes y compris dans les associations professionnelles et les fédérations ?
Le secteur de la restauration touristique au Maroc est, en effet, sous-représenté dans de nombreuses villes au sein des associations professionnelles et des fédérations. Cela s’explique en partie par l’histoire récente de ce secteur, qui n’a véritablement pris conscience de l’importance de se regrouper qu’au moment de la crise de Covid-19. Avant la pandémie, les restaurateurs opéraient souvent de manière isolée, concentrés sur la gestion quotidienne de leurs établissements sans percevoir la nécessité de se structurer en associations ou en fédérations.
Cependant, la crise sanitaire a révélé la vulnérabilité du secteur face aux défis extérieurs. Les restaurateurs ont alors réalisé qu’ils avaient besoin d’une voix collective pour défendre leurs intérêts et obtenir un soutien de l’État. C’est ainsi que la Fédération nationale des restaurants touristiques a été créée, en pleine crise, ce qui a permis d’obtenir certaines aides pour les établissements en difficulté. La sous-représentation actuelle dans quelques villes s’explique donc par le fait que le secteur en est encore à ses débuts en termes de structuration collective. Beaucoup de restaurateurs n’ont pas encore intégré l’importance de s’unir sous une bannière commune.
De plus, dans certaines régions, les restaurateurs n’ont pas toujours les ressources ou le leadership nécessaire pour lancer de telles initiatives mais nous sommes là pour les aider. Pour remédier à cette situation, il est essentiel de continuer à sensibiliser les restaurateurs à l’importance de l’engagement collectif.
La Fédération joue un rôle clé dans ce processus, en encourageant la création d’associations régionales et en montrant les avantages concrets qu’une représentation forte peut apporter, que ce soit en termes de négociation avec les autorités, de partage de bonnes pratiques, ou de développement de stratégies communes pour surmonter les défis.
Bien que le secteur soit encore en phase de structuration, la prise de conscience qui a émergé pendant la pandémie est un signe encourageant. Avec le temps et un effort concerté, nous espérons voir une représentation plus équitable et plus forte du tissu de la restauration touristique dans tout le Maroc.
Quelles sont les actions que la fédération entreprend pour améliorer la compétitivité du secteur, en relation avec la fiscalité ?
Nous sommes encore au tout début de notre démarche, mais plusieurs projets sont déjà en cours pour améliorer la compétitivité du secteur, notamment en ce qui concerne la fiscalité. Nous travaillons sur la mise en place d’ateliers de formation et de sensibilisation pour aider les restaurateurs à mieux comprendre et gérer les aspects fiscaux de leurs activités.
Parallèlement, des efforts sont en cours pour négocier des incitations fiscales qui pourraient encourager l’investissement et l’innovation au sein du secteur. Ces actions ne sont que le début d’une série d’initiatives que nous prévoyons de lancer pour renforcer la compétitivité de nos membres. Nous sommes convaincus que, grâce à une collaboration étroite entre les acteurs du secteur et les autorités, nous pourrons progressivement créer un environnement fiscal plus favorable à la croissance et à la durabilité de la restauration touristique au Maroc.
En l’absence d’un baromètre annuel censé suivre l’évolution de cette activité, quelles sont les opportunités de croissance et de développement pour le secteur de la restauration au Maroc ?
Même sans baromètre, il existe plusieurs opportunités de croissance et de développement que nous pouvons exploiter au Maroc. Tout d’abord, la digitalisation du secteur représente une opportunité majeure. En intégrant des outils numériques tels que les systèmes de réservation en ligne, les applications de commande à emporter et les stratégies de marketing digital, les restaurants peuvent non seulement accroître leur visibilité, mais aussi améliorer l’expérience client. Le programme «Go Siyaha», qui intègre les restaurants touristiques, tombe à pic pour financer la digitalisation.
Ensuite, la valorisation de la cuisine marocaine est une autre piste prometteuse. En capitalisant sur l’authenticité et la richesse de notre patrimoine culinaire, nous pouvons attirer une clientèle, tant locale qu’internationale, à la recherche d’expériences gastronomiques uniques. Le développement de partenariats avec des producteurs locaux et l’organisation d’événements culinaires peuvent renforcer cette démarche. L’innovation dans l’expérience client est également essentielle. Sur ce registre, les restaurants qui investissent dans des concepts novateurs, tels que des menus thématiques, des événements culinaires exclusifs, ou des expériences immersives, peuvent se différencier sur un marché concurrentiel et fidéliser une clientèle exigeante.
De plus, l’adoption de pratiques de développement durable est de plus en plus valorisée par les consommateurs. L’utilisation de produits locaux, la réduction des déchets et l’efficacité énergétique ne sont pas seulement bénéfiques pour l’environnement, mais aussi pour l’image de marque des restaurants qui s’engagent dans cette voie. Enfin, l’amélioration continue des compétences à travers la formation professionnelle est un levier clé pour élever les standards de service et répondre aux attentes d’une clientèle internationale de plus en plus exigeante.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO