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Compétitivité portuaire. El Mostafa Fakhir : « Aujourd’hui, il faut viser des objectifs plus ambitieux »

Les ports marocains, à l’image de Tanger Med, et même Casablanca, ont bien profité du contournement de la mer Rouge. Le port de Dakhla Atlantique, qui entrera en service dans les prochaines années, est lui aussi appelé à jouer un rôle central dans le positionnement du Maroc sur la carte portuaire mondiale. Interview avec El Mostafa Fakhir, expert maritime.

Avec la crise en mer Rouge, les ports marocains ont gagné en activité. Cette sollicitation et cette configuration sont-elles appelées à se poursuivre ?

Je pense que c’est un schéma qui va s’inscrire dans la durée. Les crises sont devenues très récurrentes et le conflit en mer Rouge risque de se prolonger. Autre élément à considérer : une fois le calme revenu en mer Rouge, l’Égypte, qui en est l’une des principales victimes sur le plan du transport maritime, sera obligée d’augmenter les frais de passage dans le Canal de Suez. Cela risque fort de décourager les armateurs, qui ne se priveront pas de s’inscrire dans des schémas de contournement de l’Afrique. Par ailleurs, en Amérique, le Canal de Panama n’assure plus une traversée permanente aux navires. Tout cela va permettre à l’Atlantique de retrouver sa centralité dans le transport maritime. C’est au Maroc d’en profiter et de saisir les opportunités.

En parlant de chiffres, quel est l’effet exact constaté chez les ports marocains ?

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le port de Tanger Med affiche de nouveaux records. Ces records deviennent d’ailleurs annuels, au-delà de cette crise en mer Rouge. En 2023, le port a réalisé des chiffres impressionnants, en traitant plus de 8,6 millions de conteneurs, soit 95% de sa capacité nominale. C’est une avance de quatre ans par rapport à ses projections. Les performances se constatent dans tous les autres segments d’activité de ce port. Globalement, Tanger Med a explosé les compteurs, en manutentionnant environ 122 millions de tonnes, dont 21% sont de l’import-export. Tanger Med se classe clairement comme le premier port en Afrique et en Méditerranée.

En dehors de Tanger Med, le port de Casablanca a lui aussi été sollicité pour le transbordement de conteneurs. C’est une vraie nouveauté, on dirait…

L’océan Atlantique reprend toute sa centralité dans le commerce international avec la crise en mer Rouge. Ce qui profite bien évidemment aux ports marocains de la façade atlantique, à l’instar de celui de Casablanca. La crise en mer Rouge est en train de rebattre les cartes. On a l’impression que c’est un «11 septembre» dans le transport maritime. La mer Rouge, qui était le cordon ombilical du commerce international, est en très mauvaise posture, au profit de l’Atlantique. De plus en plus d’armateurs sollicitent les ports marocains, car ils sont les mieux outillés, les mieux préparés et répondent de façon rapide aux schémas logistiques. Le port de Casablanca est devenu une solution complémentaire au grand hub de Tanger Med, qui tourne à plein régime.

On attend donc avec impatience l’entrée en service prochaine du futur port de Dakhla Atlantique…

Je pense que le port de Dakhla Atlantique aurait dû être là bien avant, car avec tous les schémas logistiques en reconfiguration, il aurait pu permettre de capter énormément de trafic et changer considérablement la donne. Le Maroc aurait certainement capté des dizaines de milliers de trafic de conteneurs. Mais rien n’est vraiment perdu, car une fois entré en vigueur, ce port tirera son épingle du jeu. En effet, j’aimerais souligner qu’avec la situation actuelle, le Maroc n’est plus la porte de sortie de la Méditerranée, mais plutôt sa porte d’entrée, car les navires arrivent aujourd’hui avec des conteneurs pleinement chargés, contrairement à auparavant. Désormais, tous les grands navires qui bordent l’Atlantique déchargent leurs marchandises à Tanger Med.

Dans cette logique, quelle complémentarité est possible entre les différents ports du Royaume ?

Nador West Med est destiné à être un port de transbordement du trafic d’hydrocarbures. À lui de jouer ce rôle. Dakhla Atlantique aura une vocation ouest-africaine, donc ce sera un port de transbordement régional. Le Port de Tanger Med doit, quant à lui, aller à un niveau que je qualifierais de «champions league». C’est-à-dire qu’il doit cesser de se comparer aux ports européens, qui en sont à 10 ou 20 millions de conteneurs traités par an, mais se comparer aux grands ports asiatiques, qui dominent largement le top 10 des ports du monde. Ils traitent l’équivalent de 40 à 50 millions de conteneurs EVP. Tanger Med doit devenir le port asiatique de l’Atlantique et de la Méditerranée.

Comment faire du Maroc un pôle incontournable du transport maritime dans le monde, à l’instar du port de Singapour, par exemple ?

Singapour est un port qui a une capacité nominale de 44 millions de conteneurs EVP. Tanger Med a connu des extensions qui font qu’il a une capacité de neuf millions de conteneurs. Mais on voit déjà que ce port commence à arriver à saturation. Il faut donc que le Maroc change d’échelle. Aujourd’hui, il faut viser des objectifs plus ambitieux. Le Royaume doit accepter la réalité de la géographie, c’est-à-dire que nous sommes au cœur du monde. Tanger Med doit avoir de grandes ambitions, à l’instar de Singapour. Il faut au minimum avoir une capacité de 20 à 30 millions de conteneurs. Aussi, la flotte maritime mondiale doit y trouver un hub de services, touchant à l’ensemble de l’industrie navale, allant de la réparation à toutes les activités connexes au transport maritime. Et c’est une ambition légitime. 

Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO



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