Salon du cuir de Fès : une filière fragilisée qui craint pour son avenir
Entre flambée des prix des intrants menaçant l’activité du tannage, couverture médicale hors de portée faute de moyens, et pénurie de main-d’œuvre qualifiée, les artisans de la filière cuir tirent la sonnette d’alarme. Ils en appellent à une stratégie publique globale pour sauver ce secteur ancestral.
La deuxième édition du Salon national du cuir a connu un franc succès auprès des professionnels et du grand public. Pour autant, cette filière ancestrale fait face à de multiples défis qui menacent sa pérennité. Lors d’ateliers organisés en marge du Salon, les artisans ont exprimé leurs principales préoccupations. Première doléance, la flambée continuelle des prix des intrants utilisés pour le tannage des peaux.
Ainsi, le «Dbegh», tanin d’origine végétale extrait de l’écorce de chêne, a vu son prix multiplié par neuf en peu de temps, passant de 60 à 550 DH les 40 kg. Idem pour le «Takaou» (gale de tamaris), dont le prix a flambé de 120 à 1.500 DH les 40 kg, soit une multiplication par 12.
Cette inflation galopante rogne dangereusement les maigres marges des artisans, déjà éprouvés par les répercussions de la crise sanitaire. D’où leur appel à un mécanisme de subvention publique pour l’achat de ces produits stratégiques. À défaut, l’activité du tannage, maillon central de la chaîne de valeur, risque tout bonnement de disparaître.
CNSS : Les artisans dans l’incapacité de cotiser
L’inscription au Registre national de l’artisanat (RNA), rendue obligatoire par la loi, a eu des effets pervers pour de nombreux professionnels du secteur. En intégrant automatiquement ce fichier, ils se sont retrouvés exclus du régime de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) dont ils bénéficiaient jusque-là gratuitement. Et ce, au profit du régime CNSS, en contrepartie d’une cotisation mensuelle.
Or, dans leur grande majorité, les artisans peinent à honorer ces cotisations compte tenu de la précarité de leur situation financière. Beaucoup se retrouvent ainsi privés de toute couverture médicale, pour eux-mêmes et leurs proches. C’est pourquoi ils en appellent à un assouplissement des critères d’accès à l’AMO pour les catégories aux revenus très modestes. À leurs yeux, la seule solution pour bénéficier de l’AMO est leur radiation du Registre national de l’artisanat.
Préserver un savoir-faire séculaire
L’un des enjeux majeurs pour la préservation des savoir-faire séculaires de la filière du cuir réside, selon les artisans, dans la documentation et la diffusion des connaissances liées aux matières premières utilisées. Qu’elles soient d’origine naturelle (tanins végétaux) ou synthétique (produits chimiques), leur utilisation requiert une expertise pointue pour garantir la qualité du tannage tout en préservant la sécurité des artisans.
Les professionnels revendiquent également la mise en place au sein des Chambres régionales de l’artisanat de cellules dédiées au conseil et à l’accompagnement des opérateurs en matière de risques sanitaires et professionnels. Autre motif d’inquiétude, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée du fait du manque d’attractivité des métiers du cuir auprès des nouvelles générations. Les professionnels exhortent ainsi les pouvoirs publics à renforcer les cursus de formation dédiés aux différentes spécialités de l’artisanat du cuir. Une initiative indispensable pour assurer le transfert des savoir-faire séculaires et leur adaptation aux nouvelles technologiques.
Pour relever ces multiples défis, les professionnels en appellent donc à une stratégie globale des autorités afin de pérenniser une filière qui constitue l’un des fleurons de l’artisanat national et un formidable vecteur de promotion de la destination Maroc.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO