Dialogue social. L’inflation ravive les doléances
La flambée des prix continue de peser sur les ménages, érodant leur revenu réel et provoquant une grogne grandissante chez les syndicats. Face à la pression sociale, le gouvernement a dû revoir sa feuille de route et s’engager à augmenter le SMIG. Cette démarche a abouti à une hausse générale de 10% sur deux ans dont la première tranche est devenue effective en septembre 2022. Néanmoins, cette mesure demeure insatisfaisante pour l’Union marocaine du travail (UMT), qui milite en faveur d’un salaire minimum de 5.000 DH.
En vertu de l’accord conclu le 30 avril 2022 entre le gouvernement et les syndicats dans le cadre du dialogue social, le salaire a été ajusté en septembre 2022, passant de 14,81 DH par heure à 15,55 DH, ce qui équivaut à un salaire mensuel de 2.970 DH. Une nouvelle augmentation de 5% sera par ailleurs appliquée en septembre 2023, portant le salaire à 16,29 DH par heure, soit 3.111 DH par mois.
Cependant, les recherches menées par le département de l’Union marocaine du travail (UMT) suggèrent que le SMIG devrait être porté à 5.000 DH. Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’UMT, révèle aux Inspirations ÉCO que cette revendication sera présentée et discutée avec le Chef du gouvernement et les ministres en charge du dialogue social au cours du mois de septembre prochain.
« L’objectif principal de cette démarche est d’améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs. Confrontés à la hausse du coût de la vie, à l’érosion du pouvoir d’achat et au gel des salaires, tant dans le secteur public que privé, l’UMT réclame cette augmentation afin de faire face à l’augmentation du coût de la vie », affirme le responsable syndical. « Malgré les différentes hausses opérées, le SMIG actuel n’atteint pas 3.000 DH pour 144 heures de travail. Cette situation conduit un grand nombre de travailleurs à se retrouver dans la précarité », poursuit notre interlocuteur. Et d’ajouter qu’en raison du chômage qui sévit, une grande partie de la population salariée est composée de personnes touchant le SMIG, parmi lesquelles on trouve des ingénieurs, des techniciens supérieurs et autres, dont la rémunération est faible en raison de la pénurie d’emplois.
En effet, le chômage continue de progresser au Maroc, particulièrement parmi les jeunes diplômés. La dernière note du Haut-commissariat au plan (HCP) fait ressortir un taux de chômage des jeunes de 15 à 34 ans ayant un diplôme supérieur à 40,3% en 2022, soit près du double de celui des jeunes ayant décroché un diplôme de niveau moyen (certificats de l’enseignement fondamental, diplômes de qualification ou de spécialisation). Ce pourcentage est plus de cinq fois supérieur à celui des jeunes sans diplômes, estimé à 7,9%.
Le secrétaire général de l’UMT relève par ailleurs que contrairement à de nombreux pays, où l’on cherche à relier les salaires et les prix par le biais d’une échelle mobile, ce mécanisme d’indexation n’est malheureusement pas en place ici. « Seul le mouvement syndical peut promouvoir de telles revendications », déplore encore le responsable syndical.
Réduction des hauts salaires
Même son de cloche auprès d’Omar Kettani, économiste, qui estime que le SMIG est considérablement en deçà du coût de la vie. « Lorsque les salaires demeurent très bas par rapport à l’augmentation des prix, ce sont principalement les travailleurs rémunérés au SMIG qui en souffrent », relève-t-il.
Néanmoins, il avance une approche globale et durable pour résoudre ce problème. Il suggère que la clé réside dans l’indexation des salaires sur le taux d’inflation. Et d’ajouter, « Il ne faudrait pas se limiter à l’augmentation du SMIG, mais il faudra également penser à réduire les hauts salaires », poursuit notre interlocuteur.
Selon lui, il est nécessaire de revoir la grille salariale des hauts salaires, de manière à ce que l’augmentation des salaires des travailleurs au SMIG n’affecte pas l’équilibre budgétaire de l’État. « Une réévaluation des retraites non justifiées peut également être envisagée », propose l’économiste, jugeant injuste qu’une personne ayant passé un mandat pendant seulement cinq ans puisse bénéficier d’une retraite à vie.
Des hausses timides
Se penchant également sur la question, Badr Lachgar, économiste et analyste financier, estime pour sa part que les hausses successives du SMIG au Maroc ont toujours été très timides et n’ont jamais réellement opéré un saut spectaculaire qui permettrait aux salariés qui en bénéficient de sentir une amélioration concrète. « Oscillant entre 2 et 5% d’augmentation par an ou tous les 2 ans, le SMIG peine à couvrir les dépenses liées au logement et aux besoins alimentaires », relève-t-il.
En ce qui concerne l’appel de l’UMT, Badr Lachgar vote pour. « Au 1 er janvier 2023, le SMIG se situait à 2.900 DH. L’augmenter à 5.000 DH constituerait un coup de pouce non négligeable pour la population. Il permettra de renforcer le pouvoir d’achat des ménages, doper la consommation nationale et augmenter les recettes de l’État qui sont issues de la TVA ».
Selon lui, cette hausse permettra également à la population de regagner le pouvoir d’achat perdu à cause de l’inflation galopante enregistrée ces dernières années. Toutefois, il indique qu’il est nécessaire de reconnaître que cette augmentation pourrait avoir des conséquences défavorables pour les entreprises et les niveaux de prix. Les employeurs se verraient contraints d’augmenter considérablement leur masse salariale ainsi que les charges patronales qu’ils doivent supporter. « Une telle hausse va forcément les pousser à augmenter leurs prix de vente pour compenser la hausse de leur masse salariale. De même, les entreprises qui opèrent dans l’export auront également du mal à préserver leur compétitivité-coût, car le coût de revient de leur production augmenterait ».
Pour ce qui est des agrégats économiques du Royaume, une hausse aussi brutale du SMIG va augmenter la masse monétaire en circulation, ce qui pourrait provoquer une forte inflation. Il serait judicieux, pour l’économiste, d’étaler cette augmentation du salaire minimum sur plusieurs mois afin d’atténuer l’impact de l’inflation. L’État pourrait également baisser le niveau des charges patronales sur la tranche de hausse du SMIG pour partager le fardeau avec les employeurs. « Son manque à gagner sur ces charges payées pour les employeurs devrait être compensé par la hausse de la TVA générée par une hausse de la consommation », fait-il savoir.
Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO