Santé mentale : Alerte, secteur en dépression
La santé mentale est souvent réduite à une seule dimension, ignorant la multiplicité de facteurs socioculturels qui l’influencent. Cette vision limitée réduit l’action publique à une offre de soins simple et insuffisante. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dresse un rapport interpellant à ce sujet.
En 2019, l’OMS estimait qu’environ une personne sur huit dans le monde souffrait d’un trouble mental. À cette époque, le taux de suicide se situait au dessus de 1%. Cependant, malgré l’importance de ce problème, la santé mentale est souvent négligée par les systèmes de santé, avec seulement 2% du budget moyen de santé alloué à ce domaine. Dans les pays à revenus faibles ou moyens, plus de 75% des personnes souffrant de troubles mentaux n’ont pas accès aux soins nécessaires.
Au Maroc, les politiques de santé mentale souffrent d’un manque sérieux de données, d’indicateurs et de mécanismes de suivi, ce qui entrave leur évaluation et limite l’investissement public dans le domaine. Avec seulement 2.431 lits réservés aux maladies mentales et 454 psychiatres, on peut dire que l’État est en «dépression budgétaire». Actuellement, les dépenses en matière de recherche scientifique, selon les dernières statistiques, constituent près de 0,8% du PIB, d’après le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’ambition du Maroc est d’améliorer ce chiffre pour tendre vers la moyenne mondiale qui est de 2,2% du PIB.
Le parent pauvre de la santé
En 2013 déjà, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a dressé un rapport interpellant sur la santé mentale. Une étude qui faisait ressortir les retards dans l’doption de textes législatifs adéquats, la quasi-absence de structures de traitement, ou encore le déficit en termes de personnel médical et paramédical spécialisé. L’offre de soins psychiatriques reste faible, comme si elle se cachait dans les méandres de l’inconscient. Que ce soit en termes de qualité des infrastructures, ou des capacités d’accueil, une mise à niveau s’impose. Le ministère de la Santé a tenté de se pencher sur la question, de l’intégrer aux hôpitaux généraux et aux ESSP (Établissements de soins de santé primaires). Mais est-ce suffisant pour relever le niveau de l’offre de soins en psychiatrie ? Apparemment non. Les chiffres de l’Observatoire régional de la santé affichent un taux d’occupation moyen des lits atteignant 115%, et un record de 197% pour Tanger-Assilah. Une illustration plus que claire d’une capacité litière dérisoire.
En effet on compte, sur l’ensemble du territoire, seulement 2.431 lits, soit un ratio de 6,2 lits pour 100.000 habitants. Ces lits sont répartis entre 36 hôpitaux psychiatriques, 25 services psychiatriques intégrés aux hôpitaux généraux, 2 services de pédopsychiatrie et 18 centres d’addictologie. Le constat met en évidence des risques accrus. Le Maroc a été confronté à une dure réalité, comme en témoigne le chiffre alarmant de 2.617 suicides, dont 865 femmes et 1.752 hommes, représentant une prévalence inquiétante de 7,2 suicides pour 100.000 habitants, selon un rapport de l’OMS en 2020.
La superstition complique la prise en charge
En 2006, une enquête nationale révélait des chiffres concernant les croyances religieuses au Maroc. Incroyable mais vrai, pas moins de 85 % des personnes interrogées adhéraient aux croyances aux djinns et à la magie (sihr), tandis que 37,6 % croyaient à la voyance, et 32,5 % accordaient leur confiance au pouvoir des saints. Ces pourcentages ne signifient pas forcément que tous ces croyants se tourneront vers des pratiques traditionnelles face aux troubles mentaux, mais ils révèlent une tendance étonnante. Dans certaines situations, en combinaison avec d’autres facteurs, cette prédisposition peut favoriser le recours à des méthodes mystiques. Cette prédisposition peut être renforcée par les manifestations de certains troubles mentaux, leur chronicité et l’absence de perspective de guérison totale et définitive. Il est à noter que ces croyances touchent différentes catégories de la société marocaine de manière équivalente, sans distinction entre hommes et femmes, ni entre citadins et ruraux.
Verdict
Partant de ce diagnostic, il est impératif de placer la santé mentale et le bien-être de la population au cœur des préoccupations de la politique gouvernementale. Pour concrétiser cette vision, le CESE a émis plusieurs recommandations. Tout d’abord, créer des politiques et programmes pour la santé mentale avec des indicateurs mesurables, et renforcer les observatoires régionaux de la santé pour produire des données fiables. Le CESE juge nécessaire de réviser le projet de loi 71-13 en collaboration avec les professionnels de la santé mentale, adapter le code pénal pour mieux protéger ces individus devant la justice, garantir une protection légale accrue pour les infirmiers en psychiatrie, améliorer l’expertise judiciaire en psychiatrie et psychologie, et réguler le titre de « psychothérapeute » pour combattre les méthodes préjudiciables à la santé et à la dignité humaine. L’action précoce sur les troubles mentaux et les suicides est également une carte maîtresse, en luttant activement contre la stigmatisation et en intervenant de manière prioritaire sur la santé mentale des enfants et des adolescents. Puis, améliorer l’accessibilité à des soins psychiques de qualité en pariant sur la formation de professionnels compétents et en investissant dans la recherche scientifique. Enfin, prévenir le suicide et les tentatives de suicide est un enjeu crucial, nécessitant une maîtrise des données et une compréhension des déterminants sociaux et culturels.
Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO