Politique publique : des efforts qui partent en fumée
Malgré le déploiement d’une politique publique pour lutter contre le tabac, les résultats ne sont guère concluants. Entre le ciblage et le message à véhiculer, l’approche devrait être reconsidérée, à en croire les scientifiques. D’autres paramètres, relevant d’un point de vue purement médical, sont également à prendre en considération.
Le constat est sans équivoque. Les statistiques indiquent que l’addiction atteint des proportions alarmantes. En d’autres termes, le tabagisme augmente. Quant à l’âge de l’addiction, il est en baisse, un phénomène inquiétant qui montre que la communauté des fumeurs est de plus en plus précoce. Ainsi, en dépit des actions menées pour sensibiliser sur les dangers du tabac, la situation ne s’améliore pas. Le problème se pose-t-il au niveau du message véhiculé, ou est-ce le ciblage qui fait défaut ? Pour Fatima Mazzi, médecin spécialiste en santé publique et membre de la commission des affaires sociales au Parlement, c’est une affaire de priorité.
«Pour faire valoir la santé publique, les investissements sont de mise. Mais en parallèle, l’état du trésor public est primordial pour pouvoir financer des secteurs vitaux tels que la santé. Un dilemme se pose alors. Si le volet fiscal relève de l’immédiat, les stratégies mises en place pour diminuer les risques de morbidité et de mortalité relèvent, quant à elles, du moyen et long terme. In fine, je dirais qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Mais prévention rime avec restrictions», souligne-t-elle.
Certes, la prévention reste le meilleur remède, mais dans le cas du tabagisme, les actions s’appuient généralement sur les résultats d’études cliniques afin de formuler les messages adéquats. Pour Mohamed Ibrahimi, pneumologue, le ciblage est primordial. Comme les jeunes sont de plus en plus concernés, il est plus judicieux de concentrer les politiques publiques sur la catégorie la plus vulnérable, à savoir les collégiens et les lycéens. «Malheureusement, au Maroc, l’expérience a montré qu’il est difficile de mener des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires, car cela nécessite un nombre impensable d’autorisations, ce qui décourage l’action. À mon sens, l’État devrait faciliter ce process. Car il est crucial de sensibiliser les jeunes – notamment les plus vulnérables et assujettis au tabagisme, à savoir ceux de 14 ans -, à l’importance de ne pas toucher à la première cigarette». Dans le même sillage, Yasser Sefiani, professeur en chirurgie cardiovasculaire, a évoqué une autre politique publique à l’instar de plusieurs pays. Il s’agit de la politique du pollueur-payeur. C’est-à-dire que si les fumeurs ne veulent pas arrêter la cigarette, ils devront payer plus cher.
Or, ce procédé ne relève aucunement de la lutte contre le tabagisme. Toutefois, les scientifiques sont unanimes quant à la nécessité d’instaurer une politique «restrictive», comme stipulé dans la loi, et non pénalisante. Par ailleurs, dans les messages de sensibilisation, il n’est question que des méfaits du tabac, alors que d’autres aspects devraient être mis en avant.
«En tant que médecins, nous nous préoccupons de la santé physique des malades, mais qu’en est-il de leur santé psychologique, le tabagisme restant une addiction qu’il faut traiter en tant que telle ? Car les maladies psychiatriques ne considèrent pas le patient comme étant coupable. Pour résumer, je dirais que la politique menée ne lutte pas contre le tabac, mais contre les fumeurs», lâche Sefiani.
Et d’ajouter qu’«en termes de prévention, il serait plus censé d’accompagner les fumeurs sous le prisme de l’addictologie, ce qui garantit une prise en charge bien qu’on ne dispose pas des structures et des ressources humaines suffisantes». De plus, économiquement parlant, l’équation s’avère plus avantageuse à long terme, en termes de coût, du moment que le traitement et le suivi d’une maladie psychiatrique ou psychologique coûteraient moins cher que celui des maladies chroniques causées par le tabac. Il reste que la politique publique pour sensibiliser contre le tabagisme est étroitement liée à la réglementation en vigueur, laquelle devrait prendre en considération bon nombre de critères. Sauf qu’au Maroc, le volet législatif a montré ses limites sur le sujet.
Maryam Ouazani / Les Inspirations ÉCO