CNEA: la migration vers une économie d’innovation est prioritaire, selon Tarik Haddi
L’encouragement de l’investissement, de l’entrepreneuriat et la création de l’emploi a été au centre de la Conférence Nationale sur l’Environnement des Affaires (CNEA), qui s’est tenue le 15 mars dernier. À cette occasion, LesÉco.ma a pu s’entretenir avec Tarik Haddi, membre du Conseil de l’Association Marocaine des Investisseurs en Capital (AMIC). Éclairage.
Vous avez représenté l’AMIC à la Conférence Nationale sur l’Environnement des Affaires du 15 mars 2023, consacrée à la nouvelle génération des réformes, sous le thème « libérons les énergies ! Pour une nouvelle génération d’investisseurs et d’entrepreneurs ». L’amélioration de l’écosystème entrepreneurial de nos startups est-il suffisamment pris en compte selon vous ?
Oui absolument. La feuille de route pour l’amélioration de l’environnement des affaires 2023-2026 du Gouvernement a consacré un pilier sur trois à l’entrepreneuriat et l’innovation avec un axe startup, un axe incubateur et un axe capital humain notamment.
Au sein de l’Amic, nous avions fait, depuis un certain temps déjà, un diagnostic et des recommandations précises pour l’amélioration du doing business de l’entrepreneuriat innovant au Maroc, notamment en matière de développement du capital innovation (capital amorçage et capital-risque).
Nous avions partagé ces propositions avec la CGEM, la Banque Mondiale/SFI et surtout le ministère des Finances qui a porté des réformes importantes proposées par l’AMIC : réforme de la loi OPCC, de la loi sur la SA, notamment pour donner un cadre plus flexible aux investissements en capital (à travers la SAS et prochainement des BSA), mise en place d’un fonds souverain catalyseur pour le capital investissement national, adaptation de la réglementation de la concurrence à l’activité du capital investissement….
Nous avons également fait de nombreuses recommandations pour le développement de l’écosystème entrepreneurial des startups marocaines que nous pourrons détailler si vous le souhaitez. Mais la plus importante de ces propositions, compte tenu de la multitude des parties prenantes (les différents ministères en charge de l’Économie et des Finances, de l’Industrie et du Commerce, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation, du Numérique, le GPBM, l’AMIC, la CGEM, les Régions…) était la mise en place d’une gouvernance unifiée, au sein du Comité national de l’environnement des Affaires, présidé par Monsieur le Chef du Gouvernement, par exemple, pour coordonner toutes les actions et accélérer le développement de l’écosystème entrepreneurial des startups au Maroc.
Il faut que la vision stratégique nationale de migration vers une économie d’Innovation, seule façon de briser le plafond de verre du développement, soit pilotée. Elle ne se fera pas toute seule…
Pourquoi considérez-vous que la migration vers une économie d’innovation est si prioritaire et devrait relever du CNEA ?
Durant la première décennie de ce millénaire, notre pays a connu une croissance solide de 5 % annuellement en moyenne. Celle-ci a ensuite ralenti pour se stabiliser autour de 3 % durant la deuxième décennie, en tout cas jusqu’à la pandémie de la Covid 19. Cela est insuffisant pour espérer réaliser les objectifs de notre nouveau modèle de développement !
Par ailleurs, c’est ce que connaissent de très nombreux pays en voie de rattrapage : les économistes appellent ce phénomène « the middle-income trap » (le piège du revenu intermédiaire). Les experts expliquent unanimement ce piège par l’incapacité de ces pays à passer d’une « économie de rattrapage » à une « économie d’innovation ».
Or toutes les études démontrent une corrélation positive entre croissance du PIB par habitant et nombre de brevets déposés dans un pays.
Et puis, la mondialisation, accélérée par la révolution numérique, a considérablement augmenté les gains potentiels de l’innovation (effet d’échelle), mais aussi les pertes potentielles à ne pas innover (effet de concurrence).
L’innovation permet en outre l’amélioration du savoir et des « externalités technologiques positives » c’est-à-dire le fait que d’autres innovateurs pourront s’appuyer sur ce savoir pour réaliser d’autres innovations. À travers la planète, l’innovation « cumulative » est devenue aujourd’hui la première source de croissance…
En termes de création d’emplois, les études montrent qu’en 2005 par exemple, les startups ont généré 142 % des créations nettes d’emplois aux États-Unis…
Enfin, il est prouvé que l’innovation réduit les inégalités en générant de la mobilité sociale. Des études montrent en effet, que les entreprises innovantes rémunèrent davantage leurs employés et surtout les moins qualifiés, forment plus leurs employés, notamment les moins qualifiés, qui ont plus de hard et de soft skills que leurs confrères dans les entreprises non innovantes.
Ainsi, certains pays ont su éviter la trappe du revenu intermédiaire grâce au passage à une économie d’innovation, en misant sur l’éducation, la recherche scientifique, la concurrence et la destruction créatrice de l’innovation, ainsi que sur les financements alternatifs, capital investissement en tête.
Quel est le rôle du capital investissement dans cette transformation économique ?
Le capital investissement est l’instrument, à travers le monde, qui finance et accompagne le mieux l’entrepreneuriat, à tous les stades de vie de l’entreprise :
- Le capital-innovation finance et accompagne la création et la croissance des premières années ;
- Les fonds de développement financent les projets de développement des entreprises à un stade plus mature, sur leurs marchés, à l’international ou dans d’autres secteurs d’activité (ce qu’on appelle la migration sectorielle) ;
- Le capital-retournement finance leur restructuration industrielle en cas de besoin ;
- Et le capital-transmission permet, le moment venu, de transmettre l’entreprise en toute sérénité.
Par rapport aux financements bancaires classiques, il faut rappeler que le capital investissement c’est :
- Un financement en fonds propres, sur mesure et parfaitement calibré ;
- un accompagnement dans la durée (5 à 7 ans) ;
- et surtout une logique de filières économiques et d’écosystèmes industriels, pour un impact maximum sur le développement économique du pays dans lequel se déroule l’investissement.
Aujourd’hui, tous les fonds marocains de capital investissement sont pratiquement des fonds à impact, en raison des exigences de leurs investisseurs qui sont essentiellement des DFIs.
Il faut aussi savoir que de nombreux experts expliquent l’écart de croissance de la productivité entre l’Europe et les USA par le développement plus poussé du capital investissement aux États-Unis.
Cela est confirmé par les études annuelles de l’AMIC, qui démontrent clairement les impacts favorables du capital investissement sur les entreprises marocaines investies, sur au moins 6 plans :
- L’amélioration de leur structure financière, par le renforcement des fonds propres et l’amélioration de la capacité d’endettement à long terme, et donc de l’investissement ;
- Le renforcement de leurs capacités institutionnelles et managériales, en termes de gouvernance, de pilotage, de contrôle de gestion, contrôle interne, de qualification du capital humain, de process qualité… ;
- L’accroissement des capacités de production, l’amélioration de la productivité et le renforcement de la compétitivité ;
- Les gains de parts de marché, au niveau local et à l’international ;
- L’accélération de l’innovation et donc l’amélioration de l’adaptabilité des business modèles ;
- L’implantation de politiques RSE, sur les plans de la protection de l’environnement, la diversité, la transparence fiscale, les conditions de travail, de protection sociale et d’éthique.
Quelques exemples des autres propositions de l’AMIC pour le développement de l’écosystème entrepreneurial des startups marocaines ?
L’ouverture des marchés réglementés (banque & assurance, énergie, santé, transport…) à la concurrence des entreprises innovantes, l’adaptation du cadre réglementaire, fiscal et administratif de la startup marocaine, notamment pour lui faciliter financement, accès aux marchés publics et internationalisation, le développement de filières universitaires d’excellence, sur le modèle UM6P, dans tous les secteurs cibles de notre économie de l’Innovation (agritech, green tech, fintech, biotech, edtech…), des politiques incitatives à la R&D, en encourageant l’open innovation afin de faire collaborer grandes entreprises et startups innovantes (mise en place de moteurs et systèmes de matching besoins/offres, incitations fiscales et subventions pour les secteurs cibles des stratégies industrielles de l’État notamment), adaptation des business modèles des incubateurs, et appui au développement d’accélérateurs et de réseaux business angel…
Il faut comprendre que si nous ne mettons pas en place rapidement et de manière coordonnée ce type de mesures, nous risquons d’être rapidement dépassés par d’autres pays africains dans les filières industrielles d’avenir.