Viande ovine: Risque de pénurie
Sans chercher à faire peur aux amateurs de viande de mouton, force est de reconnaître que l’heure est grave. Non seulement elle coûte désormais plus cher que le bœuf, mais elle pourrait tout simplement disparaître prochainement des étals des bouchers. Explications.
Il est encore possible de s’offrir des côtelettes d’agneau grillées au feu de bois mais à quel prix ! Dans les boucheries, la viande de mouton est devenue légèrement plus onéreuse que celle du bœuf. Plusieurs ménages ont fait ce constat dernièrement en réalisant que le prix de la viande ovine a atteint les 100 DH/kg, soit 5 DH de plus que le bœuf, par endroits, à Casablanca.
Curieusement, cette hausse spectaculaire ne surprend pas les professionnels. En effet, plusieurs facteurs pourraient expliquer cette nouvelle donne. «Il y a d’abord les deux années de sécheresse qui ont entrainé une réduction des espaces de pâturages et la flambée des prix des aliments», explique M’hammed Karimine, président de la Fédération interprofessionnelle des viandes rouges (FIVIAR).
Ensuite, poursuit-il, et pour ne rien arranger, il y a eu la guerre en Ukraine, qui a, elle aussi, joué un rôle majeur dans cette situation, marquée par une hausse astronomique des prix des aliments pour bétail. Le prix de l’orge et celui de l’aliment composé, à base de céréales et de porto, ont flambé, au grand dam des éleveurs qui n’ont eu autre choix que de vendre leurs bêtes plus cher pour amortir le choc. Certes, l’État leur a accordé des subventions, mais celles-ci ont été jugées insuffisantes par les bénéficiaires. Pour un éleveur qu’il possède 20 ou 500 têtes, il n’a droit qu’à dix sacs. Une quantité dérisoire qui disparaît au bout de deux jours.
«Le pire, c’est que l’État ne peut pas aller au-delà de cette aide, compte tenu de la charge financière que cela implique pour le contribuable, de venir en aide à tous les éleveurs ovins ou d’accorder des primes à la naissance comme c’est le cas avec les éleveurs bovins», reconnaît M’hammed Karimine. Un autre facteur serait également à l’origine de cette flambée du prix de la viande ovine au Maroc. La réouverture des frontières et l’organisation, en 2022, de l’opération Marhaba, après deux années de suspension, ont favorisé l’arrivée d’un grand nombre de Marocains résidant à l’étranger pour célébrer l’Aïd Al-Adha en famille. Ces arrivées massives et retrouvailles familiales ont généré une forte demande pour le sacrifice, à tel point qu’au lendemain de la fête, le cheptel national a été réduit à sa plus simple expression.
«D’habitude, après chaque fête de l’Aïd, on se trouve avec un stock de 1 million voire 1 million et demi de moutons pour la consommation lors des mariages ou l’approvisionnement des boucheries. Exceptionnellement, en 2022, après l’Aïd Al-Adha, il ne restait quasiment plus de moutons», ajoute M’hammed Karimine regrettant que «des bouchers en aient été réduits à abattre des agneaux faute de bêtes adultes en nombre suffisant».
Retour des prix à la normale ?
Pire encore, alors que la viande bovine devenait de plus en plus coûteuse, en raison, notamment, de la flambée des prix des aliments sur le marché international et des «maigres subventions», la consommation de la viande ovine explosait, occasionnant une forte tension sur le cheptel national, estimé à 28 millions de têtes en temps normal. Il faut noter que les Marocains consomment en moyenne 12 millions d’ovins par an.
Un chiffre encore plus élevé sans doute en 2022, compte tenu du contexte particulier ayant prévalu cette année. Mais cette prédilection pourrait connaître un net fléchissement. D’après les professionnels, le prix de la viande ovine va continuer de grimper alors que celui du bœuf pourrait passer de 95 DH/kg à 80 DH/kg avec, notamment, l’arrivée prochaine, d’Amérique latine, de 30.000 bœufs prêts à l’abattage, sur les 200.000 bêtes dont l’importation est prévue d’ici fin 2023. Pour l’heure, les bouchers tentent de rassurer les consommateurs, qui seront, à ce rythme, bientôt amenés à développer des réflexes «végétariens», tout en exprimant une inquiétude à peine voilée.
Dans une déclaration à «Le Site info», un boucher de Casablanca a indiqué que les Marocains consommaient de la viande tant que le kilo se situait entre 60 et 70 DH. «Avec la flambée des prix, la consommation a baissé. Les citoyens, surtout ceux ayant des salaires modestes, ne pourront plus s’en procurer si les prix continuent de grimper», a-t-il déploré. D’après nos informations, l’État prend très au sérieux la possible pénurie de moutons au Maroc. D’ailleurs, une opération de recensement du cheptel ovin est en cours, nous dit-t-on, en vue de prendre les mesures idoines, et contrecarrer ainsi toute éventuelle menace sur le marché.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO