Fintech : 2023, une année disruptive pour le Maroc ?
L’année 2023 réserve de belles surprises pour l’écosystème de la fintech marocaine qui, malgré son retard par rapport à celui des voisins africains, tente de se frayer un chemin. Toutefois, un certain nombre de préalables sont nécessaires.
La lutte contre la circulation d’espèces au Maroc est aussi vieille que la lune et force est de constater que si «techniquement tout est là, l’écosystème n’est pas là», comme le regrettait à fin décembre le Wali de Bank Al-Maghrib, lors d’une mise au point sur le paiement mobile au Maroc. En langage simple, les goulots qui étranglent l’activité du mobile money dans le royaume n’ont rien perdu de leur vigueur. Un véritable paradoxe dans un pays qui dispose de champions dans le secteur bancaire ou encore la monétique, regrette Andrea Bises, expert en fintech et innovation.
«Aujourd’hui le Maroc vit un paradoxe, c’est un géant aux pieds d’argile, il dispose de champions dans le secteur bancaire ou encore la monétique. Cependant pour saisir la prochaine vague, il faut plus d’innovation», explique-t-il. Avant de souligner, en guise de comparaison, que dans les pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire «nous voyons des fintech avec un niveau très élevé de maturité : les coûts d’abonnement et d’usage des services financiers sont proches de zéro, sur un téléphone vous pouvez réaliser des opérations de crédit, de change, d’épargne ou encore de souscription d’assurance».
Dans ces pays, poursuit Andreas, « vous avez des offres inclusives, c’est-à-dire soit peu gourmande, en data pour ceux qui n’ont pas de smartphone, ni de forfait de data, soit donnant la possibilité d’avoir des crédits pour acheter des portables». Mais l’espoir n’est pas perdu car les solutions et le marché existent au Maroc. C’est du moins l’avis de notre interlocuteur pour qui il y a, toutefois, un certain nombre de préalables qui sont nécessaires.
«Au Maroc, à l’instar d’autres pays africains, la fintech doit passer du paiement au crédit, et du crédit à la finance embarquée, c’est-à-dire une sophistication et financiarisation des services», soutient l’expert, convaincu que pour atteindre cette sophistication et financiarisation des services, il manque la règlementation relative à l’open banking, l’agrégation de comptes, ou encore l’agent de paiement. En attendant que le cadre soit posé, explique-t-il, «nous voyons des initiatives intéressantes, qui vont dans le sens d’une sophistication des services».
L’espoir est permis
En effet, des acteurs ont lancé de petits crédits instantanés par téléphone. D’autres réfléchissent à l’utilisation du crowdfunding pour mieux financer l’activité des plus modestes, que ce soit pour des urgences financières, ou leurs projets productifs. Andrea Bises cite en exemple quelques alliances émergentes, à savoir les plateformes NAPS et SANLAM, visant à équiper les Marocains en micro-services financiers (paiement, assurance). D’autres signes de vitalité du marché, comme la signature d’un accord entre Kifal Auto et la BMCI pour faciliter le financement de voitures d’occasion.
«Aujourd’hui de nombreux opérateurs s’intéressent au BNPL (BuyNowPayLater) qui permettrait à un consommateur d’avoir un crédit lors de ses achats», souligne Andreas, avant de se féliciter de l’émergence de services digitaux financiers à destination des entreprises et des commerçants.
«Aujourd’hui, vous avez des plateformes de gestion qui peuvent aussi financer vos factures, à l’instar de «Hsabati» qui est devenue la première plateforme de factoring embarqué. Vous avez «chari.ma» leader de la distribution, qui a acheté Axa Factoring pour proposer des services financiers aux professionnels», rappelle l’expert. Des avancées majeures qui présagent un avenir radieux pour l’écosystème qui aurait tout à gagner, d’une politique volontariste, qui favoriserait le co-investissement et la co-innovation avec des acteurs étrangers de renom d’autant plus que de grands noms de la fintech nigériane, européenne ou américaine seraient intéressés d’investir pour créer de nouvelles opportunités au Maroc.
Malheureusement, et c’est à ce niveau qu’il y a beaucoup de travail à faire, c’est que le secteur des fintech en particulier et le tissu des start-up «manquent d’un plan et d’une vision volontariste pour faire émerger des licornes», conclut l’expert. Mais ce n’est pas le moment d’être pessimiste d’autant plus que le Maroc attend une jolie enveloppe de 400 millions de dollars de la Banque mondiale en mars prochain afin de soutenir les réformes du gouvernement dans le domaine de l’inclusion financière et numérique. Ce montant vient s’ajouter à d’autres appuis financiers de l’institution de Bretton Woods qui aura mobilisé 2,05 milliards de dollars entre 2019 et 2023 au profit du Royaume.
Sur les années à venir nous avons de fortes attentes au niveau de la règlementation : création d’un statut agent de paiement, lancement open banking, émergence d’un cadre pour les cryptomonnaies… bref nulle innovation sans évolution de la règlementation, l’attente est forte. Sur le plan de l’investissement, l’industrie des fintech aimerait réussir à dupliquer le plan Emergence : d’un point de vue industriel, le Maroc a réussi à attirer de grands noms et des PME innovantes, afin de favoriser l’investissement et la mise à niveau dans de nombreux domaines (automobile, aéronautique…).
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO