Youssef Guerraoui Filali: « Le meilleur moyen de dépasser la récession, prévue en 2023… »
Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, Président du Centre marocain pour la gouvernance et le management (CMGM)
Quels ont été, selon vous, les faits marquants ou les événements économiques majeurs pour l’économie marocaine, en 2022 ?
Les évolutions économiques à l’international impactent de plus en plus l’économie marocaine – qui se veut une économie ouverte sur la demande extérieure et les investissements étrangers – ainsi que le marché mondial des matières premières et des biens & services.
Dans cet ordre d’idées, les chamboulements économiques extérieurs impactent négativement les secteurs économiques nationaux. Et en référence aux données de l’OCDE, l’économie américaine, à titre d’exemple, ralentirait à 1,8% en 2022, et connaîtrait une sévère dégradation, évaluée à 0,5%, en 2023. Quant à la Zone Euro, ses perspectives économiques se sont dégradées aussi pour la prochaine année.
En effet, la prévision de croissance de cette zone, pour 2023, a été révisée à la baisse (à 0,5% contre 1,6% projeté en juin). Pour ce qui est de l’économie marocaine, 2022 s’est avérée assez rude sur le plan socio-économique, eu égard aux différents événements survenus, en l’occurrence la dégradation de la trésorerie des entreprises liée essentiellement aux effets post crise-sanitaire, le retard des précipitations et la hausse du stress hydrique, la flambée des prix des matières à l’importation causée par le conflit armé russo-ukrainien, ainsi que la dégradation du pouvoir d’achat des classes moyenne et à faible revenu.
De ce fait, l’inflation a atteint, à fin novembre 2022, 6,5% alors qu’elle ne dépassait pas, en moyenne, 2% auparavant, impactant sévèrement le pouvoir d’achat de la population. S’agissant de la défaillance d’entreprises, elle a connu une hausse flagrante depuis le début de la pandémie du Coronavirus. Des études estiment l’impact des défaillances d’entreprises à 40%, en cumulant les années 2020, 2021 et 2022.
Que faut-il retenir de 2022 ? Quel bilan faites-vous de l’évolution de l’économie marocaine en 2022, dans un contexte marqué par une campagne agricole en demi-teinte, le relèvement du taux directeur de BAM et un ralentissement de la croissance ?
Au niveau du Commerce extérieur, le déficit commercial du pays s’est établi à 260,8 milliards de dirhams (MMDH), en augmentation de 56,4% par rapport à la même période de l’année précédente. Cette hausse est attribuable à une augmentation des importations de +44,2%, et qui demeure plus importante que celle des exportations (+36,4%), induisant un repli du taux de couverture de 3,3 points, à 57,6%.
S’agissant des Finances publiques, les recettes fiscales se sont améliorées, à fin novembre, de 17% comparativement à 2021, dépassant les prévisions de la loi de Finances 2022, soit 225 MMDH (101,52% de taux de réalisation).
Malgré cela, le déficit budgétaire reste assez élevé, à 48 MMDH à fin novembre. Sur le plan de la croissance, et eu égard aux retards accusés dans les précipitations, le Maroc n’enregistrera même pas un taux de croissance de 2%, malgré tous les efforts déployés dans les domaines de l’Industrie et des Services (signature des conventions d’implémentation d’entreprises étrangères, concrétisation de partenariats PPP…), ce qui montre clairement la dépendance persistante de l’économie nationale vis-à-vis du secteur agricole et des aléas climatiques.
De ce fait, le taux de croissance de l’année 2022 restera mitigé et ne dépassera pas, dans le meilleur des cas, 1,5% du Produit intérieur brut. Pour ce qui est de l’emploi, le taux de chômage demeure assez élevé (aux alentours de 11,5% au niveau national), vu l’incapacité des acteurs publics-privés à satisfaire l’ensemble des demandes d’emploi, spécifiquement les 200.000 nouveaux demandeurs de postes issus chaque année des universités, lauréats d’écoles et universités publiques ou privées. Quant au relèvement du taux directeur de 50 points, opéré par la Banque centrale, je considère cette décision tardive puisqu’il fallait l’activer bien avant, et ce afin de favoriser le retour de l’inflation à des taux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix du pays.
Pour 2023, que faut-il prévoir ? À quoi faut-il s’attendre ?
L’année 2023 ne sera pas une année économique ordinaire. Les prévisions de croissance à l’échelle mondiale sont alarmantes, et on prévoit une récession générale post crise-sanitaire. Pour le cas du Maroc, le meilleur moyen de dépasser cette conjoncture est, selon moi, d’opérationnaliser le chantier du Modèle de développement à travers, entre autres, une meilleure mise en œuvre de la nouvelle charte des investissements, en vue d’encourager les opérateurs à accélérer le rythme de l’investissement productif créateur de valeur ajoutée et générateur d’emplois. Il y a lieu aussi de préserver le pouvoir d’achat des citoyens des chocs extérieurs liés à l’inflation importée, moyennant des mesures de soutien étatiques, afin de favoriser la consommation intérieure et l’épargne nationale. En outre, il va falloir rafraîchir le cycle économique des entreprises du tissu entrepreneurial marocain par la réduction significative des délais de paiement, la facilitation de l’accès au financement et la simplification des procédures de soumission aux marchés nationaux (appels d’offres, commandes publiques-privées, contrats-programmes…).
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO