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Adil Bennani : “2022, une année en baisse, sans conviction de reprise à court terme”

Adil Bennani
Président de l’AIVAM et DG d’Auto Nejma

Une page de l’automobile marocaine se tourne ! Adil Bennani, directeur général d’Auto Nejma, représentant exclusif de Mercedes-Benz, de Ssangyong et de BYD, est, en effet, sur le point d’achever son second et dernier mandat aux manettes de l’Association des importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM). Une présidence de six ans jalonnée de succès, mais également de challenges, sur laquelle il a bien voulu accepter de revenir dans cette entretien. L’occasion également de faire le point sur diverses questions telles que l’état actuel du marché du neuf, la transition énergétique, l’identité de son successeur…

Le marché du neuf va boucler 2022 dans le rouge, mais quelques nuances plus claires que ce que votre association projetait à l’issue du premier semestre, après plusieurs mois de repli des ventes à deux chiffres. Peut-on dire que l’année a été partiellement sauvée ?
Effectivement, le marché va boucler 2022 sur une tendance baissière. Le repli sera probablement de 7,8%, voire un peu plus. Ceci est dû à différents facteurs. Nous ne pensions pas que cette année serait en baisse. Nous ambitionnions une hausse, sans savoir que le monde allait se dérégler suite au conflit ukrainien. Nous constatons que nous n’avons pas trop mal démarré le premier trimestre, avec des volumes à peine inférieurs à ceux de 2021, on va dire 4 ou 5% de baisse. Il faut aussi rappeler que le dernier trimestre 2021 n’avait pas été au niveau de celui de l’année d’avant.

Résumons : l’année 2022 a bien démarré, mais nous avons subi, au deuxième trimestre, l’impact de la crise ukrainienne, qui s’est matérialisée par un dérèglement complet de la chaîne logistique et par des perturbations au niveau des composants, qui sont venus se rajouter à la crise des semi-conducteurs. Une situation qui a engendré, dans la foulée, des problématiques de «supply». Alors que nous étions sur une tendance de -5 % au premier trimestre, nous avons plongé à -15% au deuxième trimestre, sans pouvoir imaginer le futur proche dans de meilleures conditions. Une situation peu enviable. Mais, petit à petit, au bout du troisième ou quatrième mois de conflit, on a commencé à voir, sur le troisième trimestre de l’année, une amélioration de la chaîne logistique et à avoir davantage de volumes, dont certains provenant des quotas destinés au marché russe, marché que les constructeurs avaient arrêté de «sourcer». Résultat : un troisième trimestre sur une tendance quasiment similaire au T3 de 2021, mais néanmoins inférieur au T3 de 2020. Nous avions enregistré 4 ou 5% d’augmentation sur les mois d’août, de septembre, et même de début octobre. Cela dit, lorsque l’on combine le deuxième et le troisième trimestres, on se retrouve sur une tendance baissière (à -8%). Cela signifie que l’embellie du troisième trimestre n’a représenté qu’un petit rattrapage.

Maintenant, sur le dernier trimestre de l’année, l’analyse est différente : on remarque que la demande a baissé, sous l’effet d’un manque de confiance des ménages et de l’inflation galopante, qui a rogné les budgets. On a observé une baisse de la fréquentation des showrooms. Une fois livré le «pipe» que nous avions les uns les autres, on est entré dans le dur, avec des tendances supérieures à -10%. Le marché à plongé de -13% en novembre, par exemple. Enfin, en décembre, le retour de certaines promotions devrait permettre de booster les ventes, ce qui démontre du bon niveau de stocks chez les concessionnaires. Par conséquent, je pense que cela devrait donner un coup de pouces aux ventes, sans pour autant révolutionner les choses. C’est ce qu’il faut retenir de 2022 : une année en baisse, malheureusement, sans conviction de reprise à court terme.

Une dernière précision : il faut signaler que nous sommes dans une année de reprise du tourisme. Les loueurs ont commencé à «re-flotter». Cela veut dire que nous avons, dans les chiffres que nous enregistrons cette année, un impact que nous n’avions pas l’année dernière, qui doit compter au minimum pour 5 ou 10 points dans le marché. Sans cet «effet loueurs», la baisse aurait été bien plus méchante, à deux chiffres sans doute.

De toutes les contraintes auxquelles le marché a fait face cette année, quelle est, selon vous, celle qui a coûté le plus de points aux volumes de ventes ?
Les deux principales contraintes sont intervenues à des moments différents. Il y a eu le manque de «supply» durant le deuxième trimestre. À ce moment-là, le conflit ukrainien, c’est chez les autres, on ne sait pas trop ce qu’il va se passer, mais bon, on veut acheter des voitures. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas. Du coup, ça nous coûte 15 points sur le troisième trimestre. Le deuxième facteur, c’est la demande intrinsèque. C’est une question de pouvoir d’achat et de confiance dans l’avenir. Et c’est au dernier trimestre que nous en verrons l’impact.

Récemment, plusieurs marques chinoises ont effectué qui leurs débuts commerciaux, qui leur come-back au Maroc après une première expérience infructueuse dans les années 2000. Et d’autres arrivées sont programmées, notamment à votre initiative puisque Auto Nejma et BYD ont annoncé dernièrement la signature d’un accord de partenariat. L’heure de la voiture chinoise a-t-elle enfin sonné sous nos latitudes ?
L’industrie automobile chinoise d’il y a quinze ou vingt ans n’est pas celle d’aujourd’hui. La Chine a vu ses volumes de production littéralement exploser, avec des alliances de partout, avec l’ensemble des marques mondiales impliquées dans des co-entreprises avec des opérateurs chinois. Cela a donné une courbe d’apprentissage exceptionnelle. Et, d’année en année, comme nous l’avons observé avec les produits japonais il y a soixante ans, avec les produits coréens il y a vingt-cinq ans, on voit aujourd’hui que l’automobile chinoise entre dans la cour des grands, et qu’elle aura son mot à dire dans les années à venir. En ce qui concerne Auto Nejma, nous avons longuement étudié la question, et nous avons signé avec BYD qui, aujourd’hui, est le leader mondial des véhicules électriques (VE), devant Tesla, avec plus de 2 millions de VE vendus par an. Comme d’autres marques chinoises, BYD propose des technologies innovantes. Nous sommes à l’aube de l’émergence de marques mondiales d’origine chinoise qui, j’en suis convaincu, joueront prochainement les premiers rôles.

L’éclipse du salon Auto Expo dure depuis 2018, l’édition 2020 ayant été reportée à 2021, à cause de la crise sanitaire, puis déprogrammée ensuite. Doit-on en faire le deuil ?
L’auto Expo est un événement de grande qualité, créé au sein de l’AIVAM et qui figure aujourd’hui parmi les deux, trois principaux salons du Royaume. Compte tenu des conditions sanitaires, il était normal que nous le reportions. Une manifestation d’une telle envergure nécessite un an d’organisation en amont et ne peut avoir lieu, de par sa nature, tant que l’offre mondiale automobile au niveau de l’ensemble de nos acteurs ne s’est pas stabilisée.
Nous attendons donc des jours meilleurs avant d’envisager une nouvelle date pour une nouvelle édition d’Auto Expo, qui, certainement, évoluera dans le fond comme dans la forme, car le monde n’est plus le même depuis le Covid. Le business model des salons est en proie à de grands bouleversements dans le monde. On a découvert qu’on pouvait lancer des modèles à l’échelle planétaire de manière virtuelle, sans avoir à attendre la tenue d’un salon. On a aussi découvert que l’on pouvait digitaliser de manière profonde l’expérience client. Les organisateurs des grand-messes automobiles doivent changer de paradigme, trouver un nouveau format, «re-challenger» le modèle afin de trouver la meilleure formule, celle qui permet de promouvoir le marché automobile.

En tant que force de proposition, l’AIVAM a défini une stratégie d’électrification nationale et l’a soumise aux pouvoirs publics. Quels sont les axes principaux de cette feuille de route ? A-t-elle eu un écho favorable ?
Nous portons en effet un plan anti-pollution depuis plus de trois ans. Nous avons expliqué aux pouvoirs publics et à tous ceux qui ont bien voulu nous recevoir que la planète brûle, aujourd’hui, et que ce n’est pas une nouveauté, mais aussi que toutes les dynamiques observées dans les marchés en matière de véhicules électriques avaient été «drivées», au départ, par les pouvoirs publics. C’est d’abord une volonté politique de dire : je veux polluer moins dans le domaine des transports.

À partir de là, on a imaginé trois principaux piliers. Premièrement, un pilier qui concerne les mesures restrictives, ou coercitives, à savoir comment pousser les consommateurs à «swaper» progressivement d’une motorisation thermique vers une motorisation hybride ou électrique. Cela passe par différents types de mesures  : on taxe les accès en ville, notamment à l’hyper-centre, on «sur-facture» les parkings, on impose une politique de malus à partir d’un certain degré de pollution…

Le deuxième pilier, ce sont les mesures incitatives. Cela consiste à encourager les futurs consommateurs à privilégier des motorisations moins polluantes. Il faut, pour ce faire, des politiques fiscales adaptées  : moins de taxes, une TVA verte, des parkings gratuits… On peut imaginer aussi du péage non-payants, des accès gracieux à l’hyper-centre… En gros, on facilite la vie à ceux qui veulent conduire des véhicules propres et on la complique à ceux qui veulent conduire des véhicules moins propres.

Le troisième axe concerne les infrastructures. Il faut accompagner la création de ces nouveaux marchés avec des dispositifs intéressants, tant au niveau réglementaire qu’au niveau économique, pour fournir des infrastructures de recharge publique, mais aussi des conditions intéressantes pour la recharge à domicile. C’est une étape importante pour pousser la consommation de véhicules électriques.

Concernant l’accueil reçu par le plan de l’AIVAM, il a évidemment été positif. Personne ne va nous contredire sur le fait que polluer moins, c’est mieux pour les générations futures. Maintenant, dès qu’il faut passer au législatif pour imprimer de façon forte une volonté politique de polluer moins, là, on voit que cela ne fait pas partie des grandes priorités du moment.

Des mesures ont été prises et on en est ravi, mais on pense que les efforts doivent être plus importants, notamment sur le volet incitatif, si l’on veut voir plus de véhicules propres circuler sur nos routes demain. Alors, ce sera davantage le cas quand la voiture propre se démocratisera, quand elle coûtera le même prix qu’un véhicule thermique. On n’en est pas loin ! Dès l’année prochaine, vous verrez débarquer des véhicules électrifiés à des tarifs enfin concurrentiels. Et plus on avancera dans le temps, plus le surcoût technologique déclinera, et on arrivera certainement à une parité en 2025 ou 2026, ce qui donnera un véritable coup de fouet à la demande. Cependant, la tendance de la courbe ne sera exponentielle que si l’on vient introduire des stimuli que seuls les pouvoirs publics peuvent mettre en place.

Votre deuxième mandat aux manettes de l’AIVAM touche à sa fin et il n’est pas reconductible. Votre successeur est dans les starting-blocks. Quel héritage lui léguez-vous ? Quelles recommandations lui ferez-vous quand vous lui passerez le flambeau ?
Mon deuxième mandat arrive à échéance, mais cela fait plus de 25 ans que j’œuvre, au niveau de l’AIVAM, pour développer et professionnaliser notre secteur. Nous avons fait beaucoup de choses. Aujourd’hui, l’AIVAM est une institution respectée, bien organisée, bien gouvernée, une institution proactive, efficiente, et qui, aujourd’hui, est un vrai interlocuteur des pouvoir publics. Preuve en est que c’est aujourd’hui l’unique association qui siège au conseil d’administration de la NARSA. Et c’est une vraie fierté.

À mon successeur, je dirai que je lui souhaite beaucoup de succès et que je suis là, si besoin. De toutes les manières, je n’arrêterai pas mes combats au sein de l’association parce que je défends des convictions et je les défendrai jusqu’au bout. Il me tient à cœur de voir un marché automobile jeune, propre, organisé, formalisé, structuré et avec des volumes bien plus importants que ceux que nous commercialisons aujourd’hui. On a accompli un bon bout de chemin, mais on est loin d’avoir fait le tour de la question et, de toute façon, ce travail est sans fin. Il y aura de quoi faire pendant encore des générations pour permettre à notre secteur d’activité, la distribution automobile au sens large du terme, d’être à l’image de ce qui existe dans les contrées les plus développées.

Je dois dire que beaucoup de pays, peut-être même des pays développés, nous envient pas mal de choses. Et si je ne devais en citer que deux, ce serait d’abord toute la communication que nous faisons autour des statistiques et du marché à partir du 2 de chaque mois. Je pense que rares sont les secteurs et les pays qui peuvent s’en prévaloir. La seconde chose, c’est notre Auto Expo. La manière avec laquelle il a été organisé, le professionnalisme des équipes et l’impact que cela a eu sur l’ensemble de l’écosystème… C’est une réussite en son genre  !

Mehdi Laaboudi / Les Inspirations ÉCO



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