Croissance en 2022 : qui faut-il croire ?
La guéguerre des chiffres relatifs au taux de croissance 2022 du Maroc s’exacerbe avec la revue à la baisse de la prévision du gouvernement qui a annoncé un taux compris entre 1,5 et 1,7%. Ce qui contraste avec les projections de Bank Al Maghrib, de la Banque mondiale et tout dernièrement du FMI, sans oublier les dernières données du HCP. Qui du gouvernement ou de ces institutions faut-il croire ? Analyse.
C’est encore parti pour la guéguerre des chiffres sur le taux de croissance que le Maroc devrait enregistrer à la fin de l’année. Le sommet a été atteint, ce lundi, lorsque d’un côté le gouvernement a revu ses prévisions de croissance à la baisse, et, de l’autre, le Fonds monétaire international (FMI) en a fait pareil, rejoignant ainsi les exercices de prospective faits auparavant sur le même sujet par Bank Al-Maghrib (BAM) et la Banque mondiale.
Le gouvernement, par la voix de son Chef de file, Aziz Akhannouch, qui répondait à une question centrale à la Chambre des Représentants sur «la situation de l’économie nationale à l’aune des changements climatiques et géostratégiques», a notamment déclaré que «le Maroc devrait enregistrer un taux de croissance oscillant entre 1,5% et 1,7%, au lieu de 3%».
Aziz Akhannouch avait argué que ce niveau de croissance s’explique, principalement, par le recul de la valeur ajoutée agricole de 11%, contre une hausse de 18% au cours de la précédente campagne agricole (Cf. les inspirations Eco N°3082 page 4).
Quatre prévisions de croissance différentes par quatre institutions
Le même jour, le FMI publiait que «le Maroc devrait enregistrer une croissance de 1,1% cette année», contre 3% précédemment. Pour justifier sa prévision, qui est la même que celle que la Banque mondiale avait faite quelques jours avant (1,1% de taux de croissance en 2022), l’institution de Bretton Woods a brandi les arguments relatifs à la résurgence de la pandémie du Covid-19 et à la guerre en Ukraine, qui, dit-elle, auront un impact non négligeable sur la croissance des pays importateurs de pétrole comme le Maroc.
L’inflation importée, à travers la flambée persistante des prix des matières premières, pousserait ainsi le taux d’inflation à 4,4%, avant un recul à 2,3% en 2023. À signaler qu’avant le gouvernement et ces différentes institutions, Bank Al-Maghrib a été la première à revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour le Royaume.
Le 22 mars dernier, le Conseil de BAM déclarait, en effet, à l’issue de sa première session de l’année 2022, que «la campagne agricole devrait enregistrer une production céréalière autour de 25 millions de quintaux, et ce, après 103,2 millions de quintaux un an auparavant. La valeur ajoutée agricole devrait ainsi baisser de 19,8%, ramenant la croissance économique à 0,7% en 2022 après un rebond qui aurait atteint 7,3% en 2021».
Le Conseil a relevé que «l’inflation poursuit son accélération entamée en 2021, tirée par les pressions d’origine externes liées à la flambée des prix des produits énergétiques et alimentaires et la hausse de l’inflation chez les principaux partenaires économiques».
Ainsi, après un taux de 1,4% en 2021, l’inflation «devrait ressortir à 4,7% en 2022», selon le communiqué, ajoutant que «la composante sous-jacente de l’inflation augmenterait de 1,7% à 4,7%».
Qui se rapprochera le plus de la réalité ?
BAM prévoyait également que, sous l’effet essentiellement de la flambée des cours des matières premières, «le déficit du compte courant se creuserait à 5,5% du PIB en 2022 après 2,6% en 2021». Selon les mêmes prévisions, «les importations progresseraient de 14,9% en 2022 en lien avec l’alourdissement de la facture énergétique et l’augmentation des acquisitions des produits agricoles et alimentaires et des biens de consommation».
Bref, BAM avait publié ces prévisions, sous réserve qu’il n’y ait pas de pluies de printemps susceptibles de changer la donne. Or, depuis le début du mois d’avril, ces pluies sont tombées «assez abondamment» sur le territoire national, ce qui a fait dire au ministre de l’Agriculture que «la présente campagne agricole ne sera comprise qu’à hauteur de 30%».
Bref, pour cette raison, la prévision de BAM ne tient plus. Son conseil reviendra certainement à la charge lors de sa prochaine session. En attendant, on peut se demander d’où viennent les chiffres du gouvernement ? Du ministère de l’Économie et des finances ? En tout cas, ils corroborent les chiffres publiés par le HCP sur les premier et second trimestres de l’année en cours.
Selon l’institution présidée par Ahmed Lahlimi, le Maroc a réalisé un taux de croissance de 1,2% au premier trimestre 2022 et devrait s’attendre à une croissance de 1,8% au second trimestre, ce qui donne une moyenne de 1,5% à la fin du premier semestre.
«Sachant que le plus dur est déjà derrière nous et que l’économie marocaine a fait preuve d’une résilience remarquable depuis le début de la crise, on devrait dépasser la moyenne de croissance de 1,5% durant le dernier semestre de l’année en cours», est-il expliqué.
Autrement dit, les prévisions de la Banque mondiale et du FMI sont loin en-deçà de ce qui serait attendu !
Aziz Diouf / Les Inspirations ÉCO