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Guerre en Ukraine : ils rêvent de déboulonner le dollar

De Téhéran à Pékin, plusieurs pays explorent un plan B afin de réduire leur dépendance au dollar et de se mettre à l’abri d’éventuelles représailles monétaires des États-Unis en cas de tensions. Ils rêvent tous de faire du commerce en yuan, la devise chinoise. Ce n’est pas gagné. Seul 1,7% du commerce international est libellé en yuan. Au Maroc, selon les données les plus récentes, les transactions commerciales sont réglées pour 58,2% en euro et 37,8% en dollar. La structure des réserves de change du Royaume est alignée sur les pondérations des devises du panier de cotation du dirham : 60% en euro et 40% en dollar.

L’avalanche de sanctions économiques contre la Russie pour punir le Kremlin de l’invasion de l’Ukraine a poussé quelques pays – l’Inde, l’Iran, le Pakistan, la Chine, voire l’Arabie Saoudite qui aurait lancé une réflexion – à chercher une option qui pourrait réduire leur dépendance au dollar largement dominant dans la facturation des transactions commerciales internationales.

Les principales matières premières, du pétrole aux produits alimentaires, notamment les céréales, se négocient pour l’essentiel en dollar. Par ailleurs, les réserves de change des banques centrales sont libellées pour 60% en billet vert.

Au Maroc, selon la dernière étude de l’Office des changes (elle date de 2017), nos échanges commerciaux avec le reste du monde sont réglés pour 58,2% en euro et 37,8% en dollar. Cette pondération reflète la structure géographique des échanges extérieurs du Royaume dans laquelle l’Europe concentre un peu plus de 63%.

Les réserves de change gérées par Bank Al-Maghrib sont, elles, alignées sur la pondération du panier de cotation du dirham : 60% en euro et 40% en dollar. Au contraire de certains pays qui redoutent de se retrouver un jour dans le collimateur du Trésor américain ou de la BCE, la question ne se pose pas pour le Maroc.

En revanche, Moscou, Pékin, Damas, Téhéran, New Delhi, etc., rêvent de contrebalancer la toute puissance et le règne du dollar par la monnaie chinoise, le yuan. Plus facile à dire qu’à faire, tempèrent les experts car pour substituer le yuan au dollar, il faut beaucoup de temps et surtout gagner la confiance des opérateurs économiques. Il y a cinq ans, afin d’accompagner le développement spectaculaire des importations provenant de Chine, Bank Al-Maghrib avait conclu un accord de swap avec la Banque centrale de Chine pour un montant de 500 millions de dollars.

Nombre d’économistes et de dirigeants des pays qui entretiennent des relations exécrables avec Washington se prennent à rêver que la «quarantaine» monétaire décrétée contre la Russie puisse accélérer le développement de systèmes monétaires concurrençant le dollar, afin de contourner l’hégémonie américaine.

Depuis l’ouverture commerciale de la Chine, au début des années quatre-vingt, sa part dans les échanges internationaux de marchandises a explosé, passant de moins de 1% en 1980 à 13% en 2020 et dépassant donc celle des États-Unis (10,8%).

Pourtant, cette libéralisation du commerce ne s’est pour l’instant pas encore véritablement accompagnée d’une internationalisation du yuan, passant par une ouverture du compte financier. Selon une étude du groupe Crédit Agricole, le yuan ne représentait que 1,7% des transactions commerciales au niveau mondial en 2021, contre 39% pour l’euro et 38,4% pour le dollar.

Cette ventilation est la même pour les pays les plus hostiles aux États-Unis. Ainsi, les échanges facturés en rouble et en yuan représentaient, respectivement, 5,7% et 6,3% du commerce bilatéral entre la Chine et la Russie. Et malgré son entrée dans le panier de monnaies constituant les droits de tirage spéciaux du FMI, le yuan ne compte que pour 2,25% des réserves internationales totales.

Une part bien inférieure à celle de sa pondération dans les DTS (11%), même si certains pays – dont la Russie – ont relevé leur exposition (les réserves russes en yuan représenteraient environ 12% du total). À date, environ 60 % des réserves de change des banques centrales sont en dollar, 20 % en euro, 6 % en yen, 5% en livre sterling et moins de 3 % en devise chinoise. *

La dominance du dollar en termes de monnaie d’émission à l’international pour les obligations, de monnaie de paiement, de facturation sur les marchés des matières premières ou pour les flux commerciaux est également écrasante.

La peur de la fuite des capitaux à Pékin

Pourquoi un tel décalage entre ouverture commerciale et financière ? Primo, le yuan n’est toujours pas une monnaie convertible. La Banque centrale chinoise fixe, en effet, chaque jour un taux de change de référence du yuan contre un panier de devises, et autorise une marge de fluctuation de 2%.

Et si de nouvelles classes d’actifs ont récemment été ouvertes aux investisseurs étrangers, les contrôles de capitaux pour rapatrier des actifs hors de Chine, même pour les entreprises étrangères, demeurent, expliquent les économistes du groupe Crédit Agricole. Deuzio, l’alimentation de réserves en dollar par les importants excédents commerciaux a fait les affaires de la Chine au niveau interne et externe.

En interne, la non-convertibilité du yuan a permis à Pékin de limiter certains chocs exogènes, en se servant de ses 3.000 milliards de dollars de réserves pour intervenir sur le marché des changes lorsque cela a été nécessaire.

En créant une sorte de sas empêchant les recettes du commerce extérieur de rentrer directement dans l’économie réelle, la Banque centrale a pu garder le contrôle de son taux de change -ce qui lui a vivement reproché par Washington qui accusait la Chine de dumping monétaire-, mais aussi de l’inflation.

Tertio, largement investies en bons du Trésor américains (la Chine détient environ 3,7% de la dette américaine), les énormes réserves de change sont devenues un instrument géopolitique. La Chine y trouve un investissement sûr, stable et liquide, et les États-Unis une source de financement.

De fait, si la Chine devait se désengager de la dette américaine, elle ne pourrait le faire que de manière progressive au risque sinon de brader ses titres et donc de déprécier la valeur de son portefeuille. La Banque centrale de Chine a multiplié des lignes de swap avec une trentaine de banques centrales émergentes et développé un réseau de paiement pour concurrencer Swift -le CIPS, Cross Border Inter-Bank Payment System en plus des montages «hybrides».

Il s’agit de l’octroi de prêts contre ressources naturelles, de la création du yuan offshore, etc. Si ouverture financière il doit y avoir, elle sera forcément prudente, estiment les économistes du groupe Crédit Agricole. Il y a quelques années, une libéralisation partielle du compte financier avait conduit à des fuites de capitaux massives, de l’ordre de 1.500 milliards de dollars et à une baisse des réserves de change de près de 1.000 milliards de dollars.

Il n’est donc pas question de se précipiter au motif qu’il faille à tout prix s’opposer à l’hégémonie du billet vert. Pékin redoute, plus que tout, les effets collatéraux d’un processus d’ouverture trop rapide.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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