L’Afrique s’attaque aux délinquants fiscaux
Les sorties illicites d’argent du continent sont estimées à plus de 50 milliards d’euros par an, soit le PIB de la Côte d’ivoire ou 45% de celui du Maroc, selon un rapport commandé par Initiative Afrique, dont Rabat est membre.
Entre 50 et 80 milliards de dollars sortent illicitement, chaque année, d’Afrique en empruntant des voies «souterraines». Aucun pays n’est épargné par cette «hémorragie des capitaux» et le mouvement semble suivre une trajectoire ascendante, mettent en garde les auteurs d’un rapport diligenté par l’Exécutif de l’Union africaine. Le rapport «Transparence fiscale en Afrique 2021», publié cet été par le Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements à des fins fiscales, dont le Maroc est membre, est tout aussi explosif : le continent perdrait, au moins, 50 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du PIB de la Côte d’ivoire, deux fois celui du Sénégal et près de 45% de la richesse produite, annuellement, au Maroc, à cause de l’évasion fiscale, de la corruption et des montages complexes dans les opérations de commerce extérieur.
D’ailleurs, parmi les justifications mises en avant par le président tunisien pour dévitaliser provisoirement plusieurs institutions, figuraient les détournements d’argent public et la corruption qui alimenteraient des comptes bancaires dans les paradis fiscaux. Quant au filon du commerce extérieur, les sous-déclarations de valeurs à l’import, contre lesquelles la douane marocaine a marqué des points ces dernières années, est une véritable épidémie sur le continent. Elles constituent l’une des formes les plus fréquemment empruntées par des hommes d’affaires en quête de territoires peu regardants pour mettre à l’abri leurs «économies».
La plupart des organismes internationaux convergent vers le même diagnostic. En 2020, la Cnuced avait estimé que le continent africain perdait 88,6 milliards de dollars par an du fait des sorties illégales de capitaux. Ce phénomène prive ces pays de ressources vitales pour leur développement alors qu’ils affichent des taux de levée de l’impôt parmi les plus faibles au monde, en raison d’une importante économie informelle. L’écart fiscal (la différence entre l’impôt perçu et l’impôt attendu), y compris en Afrique où le ratio moyen d’impôt/PIB reste extrêmement faible, à 16,5 %.
Une trentaine de pays (32 exactement), dont le Maroc, réunis au sein du groupe «Initiative Afrique» ont décidé d’entrer en guerre contre cette criminalité financière, en s’appuyant sur la coopération internationale. Le contexte s’y prête, il est vrai, grâce à la mise en œuvre de la convention sur l’échange automatique des renseignements à des fins fiscales, initiée par le duo G20/OCDE. Ce traité fait des États, qui voudraient rester à l’écart de cette lutte, de véritables parias. Bon élève, Rabat s’est engagé à appliquer l’échange de renseignements à des fins fiscales dès l’année prochaine (voir aussi l’interview de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE dans les Inspirations ECO du 26 août 2021) provoquant, au passage, quelques sueurs froides à sa diaspora en Europe.
Paradoxalement, très peu de pays sur le continent seraient techniquement prêts à relever le défi des échanges de données sur les actifs bancaires et financiers détenus par les non-résidents. En Afrique, le Maroc fait partie d’un petit groupe de sept États, composé du Nigeria, des Seychelles, de Maurice, du Ghana, de l’Afrique du Sud et du Kenya, capables à ce jour de procéder aux échanges de renseignements à des fins fiscales. Cinq d’entre eux, Ghana, Maurice, Nigeria, Seychelles et Afrique du Sud, ont commencé dès 2020.
Le Kenya et le Maroc s’y mettront l’année prochaine. En attendant, Rabat a déjà lancé une expérience pilote avec la France afin de tester son dispositif. Les progrès des pays africains dans l’activation d’échange de renseignements à des fins fiscales sont inégaux. Leurs réseaux, en la matière, s’élevaient à 3.752 relations bilatérales en 2020, contre 2.523 l’année précédente. Cette évolution s’explique, principalement, par le nombre croissant d’États qui adhèrent à la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (21 au total).
Davantage de pays ont donc accès à de la data fine pour les aider dans leur traque de l’évasion à l’impôt. L’an dernier, pour la première fois, les pays africains sont devenus des expéditeurs nets de demandes d’échanges de renseignements sur les actifs bancaires et financiers des contribuables. Autant les personnes physiques que les sociétés sont en ligne de mire. Seul bémol, cet activisme reste extrêmement polarisé : quatre pays concentrent, à eux seuls, 91% de l’ensemble des demandes sortantes, et autant ont représenté 90% de toutes les
demandes entrantes en 2020.
Le Maroc en première ligne
La mise en œuvre de la transparence fiscale et de la norme ERD (le standard des process arrêté par les États signataires de la convention OCDE) a été jugée conforme, pour l’essentiel, lors du premier cycle d’examens, il y a cinq ans. Une assistance technique a été fournie pour la mise en œuvre de la norme ERD renforcée, y compris la disponibilité des renseignements sur les bénéficiaires effectifs, dans la perspective du deuxième cycle d’examens ERD dont le lancement est prévu au troisième trimestre 2021. L’infrastructure est donc en place. Le Maroc s’est engagé à démarrer l’échange de renseignements, à des fins fiscales, dès 2022. Afin d’atteindre cet objectif, il reçoit une assistance technique portant sur la gestion de la sécurité de l’information et le cadre juridique. Trente-quatre fonctionnaires des impôts ont participé à une formation du Forum mondial sur l’échange de renseignements en 2020.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO