EPC Maroc vs Société Foncière Iskane : chronique d’un litige “explosif”
EPC Maroc accuse la Société Foncière Iskane, qui serait à l’origine de la «destruction abusive et sans sommation», le 29 mars 202, de ses locaux administratifs et commerciaux, sis à Bouskoura. Les détails d’une affaire tumultueuse…
Voici une affaire que l’on peut raconter de mille et une manières, tellement les dépassements qui y sont contés sont inédits, mais que seule l’ampleur des faits rend plausibles. Dans cette bataille judiciaire, deux adversaires s’affrontent : d’une part, EPC Maroc, une entreprise très peu connue car opérant dans un secteur très pointu et fort sensible et, d’autre part, la Société Foncière Iskane et ses actionnaires Anas, Saad, Kenza et Malik Sefrioui. Quelques bribes de ce litige avaient déjà fuité, en avril dernier déjà, lorsque les locaux exploités par EPC Maroc tombaient en ruine sous les coups des bulldozers et des grues. Depuis, plus rien – du moins pour le grand public- jusqu’à lundi, avec la diffusion d’un communiqué de presse signé par la filiale marocaine du groupe français EPC.
Tumultueuse affaire
Ledit communiqué détaille un feuilleton qui remonte à plus de 60 ans. C’est, en effet, l’ancienneté du contrat de location liant EPC Maroc à Foncière Iskane. En 2020, et dans le cadre de sa stratégie de développement, l’entreprise décide de transférer ses installations industrielles, de production et de stockage dans un site dernière génération à Settat.
Sur le site de Bouskoura, il était question de laisser l’activité administrative, commerciale ainsi que le stockage des archives, jusqu’à ce qu’une sommation de quitter les lieux soit formulée par le bailleur. Une réunion a ainsi été demandée par EPC Maroc pour faire valoir ses droits et ses contraintes. Partant du fait que les paiements ont toujours été effectués par avance et que le processus de déménagement nécessitait du temps et de la logistique, mais aussi que EPC était en droit de se faire dédommager, un accord écrit a été conclu entre les deux parties dans ce sens. Ledit document, apprend-on, prévoit même un échéancier pour le déménagement. Tout était donc réglé, du moins en apparence. Or, quelques semaines plus tard, EPC Maroc se voit faire l’objet d’une action judiciaire à fin d’expulsion. Une première action, déboutée, puis un recours ayant subi le même sort, le bailleur passe ainsi à la vitesse supérieure.
«Foncière Iskane, nouvelle propriétaire, n’a pas ménagé ses efforts pour tenter d’obtenir judiciairement l’expulsion d’EPC, le tribunal ayant rejeté toutes ses demandes, elle a décidé d’agir en dehors de la loi et des réglementations en vigueur», détaille le management d’EPC Maroc.
C’est ainsi qu’au «matin du 29 mars 2021, sans notification préalable, des engins de démolition ont franchi les grilles du site d’EPC Maroc à Bouskoura et, sans sommation, ont commencé à détruire les bâtiments abritant du matériel et au sein desquels 30 personnes étaient en activité». Dans des vidéos filmées par un personnel abasourdi, l’on voit les engins s’activer, les cris des salariés s’élever pour signaler que des personnes sont encore à l’intérieur et d’autres voix prononcer que cela les intéresse peu de le savoir. La flopée de photos prises à l’arrachée par les équipes présentes montrent des images dignes d’une scène de guerre ou de lieu d’explosion, avec des documents éparpillés sous les débris et des équipements totalement démolis.
Selon les détails fournis par l’entreprise locataire, les représentants de la Foncière Iskane «se prévalaient vraisemblablement alors d’une autorisation de démolition qui semble avoir été obtenue sans avoir précisé aux autorités concernées que le site était légalement occupé et exploité». Plus encore, «aucun document n’a en effet été présenté aux représentants de EPC Maroc présents sur place pour justifier de cette violation sauvage et brutale d’un espace privé», est-il signalé.
L’opération de destruction, nous explique-t-on, a duré 48 heures, a notamment été marquée par des pillages «au cours desquels du matériel, de la documentation technique, y compris des schémas techniques et des équipements ont été volés et emportés par des malfaiteurs». C’est là que la gravité de l’affaire prend une tournure de loin plus sérieuse. En effet, la société EPC Maroc, créée en 1952, est pionnière dans la fabrication, le transport et la mise en œuvre d’explosifs civils destinés aux travaux de carrières, à l’industrie minière et aux chantiers de travaux publics au Maroc. Lesdits documents ayant fait l’objet de pillage comptent, ainsi, entre autres des données liées au domaine des explosifs.
«Cette démarche violente, brutale et sans aucune précaution à l’égard d’une entreprise opérant dans un secteur sensible et dont les sites et équipements obéissent à une réglementation extrêmement stricte… portant des risques non négligeables en matière de sûreté et de sécurité pour la communauté», alerte par ailleurs EPC dans son communiqué.
En conséquent, l’entreprise déclare dégager «sa responsabilité face aux conséquences de ces évènements et des vols et pillages qui en ont découlé». Face à cela, EPC Maroc brandit l’article 570 du Code Pénal qui stipule: «Est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams, quiconque par surprise ou fraude dépossède autrui d’une propriété immobilière. Si la dépossession a eu lieu soit la nuit, soit avec menaces ou violences, soit à l’aide d’escalade ou d’effraction, soit par plusieurs personnes, soit avec port d’arme apparente ou cachée par l’un ou plusieurs des auteurs, l’emprisonnement est de trois mois à deux ans et l’amende de 200 à 750 dirhams». L’opérateur a intenté plusieurs actions en justice à l’encontre de la Société Foncière Iskane. En complément de ces procédures, toujours en cours, EPC Maroc a déposé le 8 juin courant une citation directe devant le tribunal correctionnel à l’encontre de Anas Sefrioui, Saad Sefrioui, Kenza Sefrioui et Malik Sefrioui.
Au titre de cette dernière procédure, EPC Maroc «réclame dans un premier temps une indemnité provisionnelle à titre de dommages pour les préjudices subis de dix millions de dirhams, en attendant la finalisation des travaux d’expertise et d’évaluation». L’entreprise, qui fait de son intention d’utiliser toutes les voies de droit pour obtenir réparation, affirme que la première estimation partielle des dégâts «fait état d’un montant de 67 millions de dirhams relatif uniquement aux pertes et vols matériels». Contactée pour avoir sa version des faits, la Société Foncière Iskane a promis de réagir, mais jusqu’au moment où nous mettions sous presse, aucune suite n’avait encore été donnée à notre requête.
Meriem Allam / Les Inspirations Éco