Mineurs illégaux en Europe : l’opération de rapatriement lancée
Le Maroc s’attaque enfin au dossier de ses mineurs non accompagnés en Europe, dont une grande partie se trouvent en Espagne. Pourtant, ce retour se heurte à plusieurs obstacles d’ordre législatif.
Le gouvernement marocain a décidé de rapatrier ses migrants mineurs, éparpillés un peu partout en Europe et plus précisément en Espagne. «C’est une grande nouvelle, et nous saluons énergiquement le courage du Maroc pour la prise de cette décision. Ce sont des mineurs et leur place est auprès de leurs familles. Nous avons milité pour qu’ils soient rapatriés auprès des leurs», déclare aux Inspirations ÉCO Abderahim Hamou, vice-conseiller en charge des mineurs auprès du gouvernement autonome de Mélilia.
Pourtant, le sujet était presque tabou au Maroc, du moins dans la sphère gouvernementale. La première fois qu’un chef de gouvernement y a fait référence remonte au discours d’investiture de Saad Dine El Otmani devant le Parlement. Depuis, silence radio. Quelques actions timides ont été initiées plus tard, à l’image de cette réunion discrète tenue le 26 février 2019 entre le wali Khalid Zerouali, en charge de la migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, et des responsables de ce dossier dans la région de Madrid ainsi que des représentants du ministère espagnol de l’Intérieur.
L’objectif de cette rencontre étant d’étudier l’éventualité de rapatrier les mineurs marocains placés sous la tutelle de la région autonome de Madrid. Mais aucune démarche n’a été entreprise depuis. «Actuellement, le gouvernement de Mélilia prend en charge 547 mineurs répartis sur 4 centres d’accueil, et dont 90% sont originaires du Maroc. Nous avons procédé à leur identification et localisé leurs familles au Maroc. Ils peuvent être rapatriés dans l’immédiat», ajoute le responsable local. Mais qui sont ces jeunes Marocains qui ont entrepris ce périlleux voyage, loin de leur famille, au risque d’y laisser leur vie ? Contrairement aux décennies précédentes, il n’est plus question «d’enfants de la rue», accros à la colle et autres solvants.
«Ce profil était répandu il y a plus de dix ans. Des jeunes avec ces caractéristiques débarquaient de villes lointaines comme Casablanca, Béni Mellal… Ils étaient issus de familles déstructurées, déchirées et vivaient dans la rue», ajoute Hamou. Mais aujourd’hui, il s’agit d’enfants ayant grandi au sein d’une famille dite «normale», bien élevés et propres! «Depuis à peu près 5 ans, la plupart des arrivants sont originaires des zones limitrophes. Ils s’introduisent dans la ville discrètement et y restent», explique le responsable de ce dossier.
À présent que le Maroc a affiché sa disponibilité à rapatrier ces enfants, que se passera-t-il ? «Il faut que les enfants autorisent leur rapatriement, car selon les lois internationales et la législation espagnole, l’avis du mineur doit être pris en considération». Et s’il s’y oppose ? «Nous ne pouvons pas l’obliger à regagner son pays», tranche Hamou. De fait, et c’est l’un des obstacles majeurs de ce délicat dossier, les mineurs présents en Espagne sont considérés comme des protégés de la région qui les prend sous son aile.
Placés sous sa tutelle, ils y resteront jusqu’à l’âge de 18 ans. De même, la législation espagnole concernant les mineurs fournit une protection blindée à ces enfants. Il n’y est nullement question de les expulser sans leur consentement. Michel Bustillo, président de l’ONG espagnole «Volontaires pour un autre monde», une association qui se dédie avec abnégation à ces jeunes, doute des résultats de ce rapatriement massif. «Durant les 20 dernières années où je me suis dédié à ce dossier, seuls 5 jeunes ont exprimé le souhait de regagner leur pays», confie-t-il amèrement.
Cet acteur social qui s’est consacré corps et âme à la cause des jeunes Marocains migrants, évoque le «déracinement» dont souffrent ces jeunes. «Ils aiment leur pays et rêvent d’y revenir, mais quand on leur propose un retour, ils refusent catégoriquement cette option. J’en connais des cas qui dormaient dans la rue et se trouvaient dans une situation de précarité.
Toutefois, ils s’opposaient à un rapatriement, car ils estiment que leur avenir est sombre au Maroc», regrette Bustillo. Celui-ci déplore que ces jeunes, pourtant travailleurs, responsables et qui regorgent de qualités humaines ne soient pas appréciés à leur juste valeur, que ce soit en Espagne ou dans leur pays. «Ici, certes, la législation est à leur faveur, mais les mentalités et la population ne reconnaissent pas leur apport et leur précieuse contribution. Ils sont stigmatisés. Ici, ce n’est pas l’Eldorado dont ils rêvent», conclut-il.
Quelles alternatives pour les jeunes rapatriés ?
Des expériences ont été conduites dans les années 2000 pour réinsérer les enfants exclus du système économique et social. Ainsi, des maisons d’accueil pilotes ont été construites dans la région de Tétouan à travers un financement européen pour permettre le retour de ces jeunes dans les meilleures conditions, et leur offrir des alternatives via des structures alliant accueil et formation.
Le gouvernement andalou, dont la région est la première affectée par les arrivées des mineurs après Sebta et Mélilia, s’est montré disposé à financer ces centres d’hébergement sur le sol marocain. Mais l’expérience n’a pas donné les résultats escomptés. Aujourd’hui, le retour définitif de ces enfants devrait être accompagné d’un plan de réinsertion de choc, sinon la tentation de braver la Méditerranée sera toujours plus forte.
Amal Baba Ali, DNC à Séville / Les Inspirations Éco