Phénomène: Le bois importé enregistre une hausse brutale des prix
La problématique des flambées de prix touche le secteur des matériaux de construction et pratiquement toutes les matières premières. Aussi bien en termes de coûts de production, que de coûts liés à la logistique. Ainsi, le bois importé enregistre une hausse importante des prix depuis le début de la crise. Les avis sont partagés sur le niveau de la hausse. Mais ce phénomène mérite d’être suivi de près. Comment les industriels du bois et les importateurs marocains y font face ?
Rien ne semble pouvoir arrêter la progression des prix du bois sur le marché international, au moins jusqu’à fin 2021, estime Vassilis Koufiotis, directeur général de 10 Rajeb, qui soutient que ce phénomène est le résultat de la pandémie. Les coûts de transports à l’international ont aussi subi des hausses importantes en pénalisant les activités à l’export. Selon une source, avant la survenue de ces flambées des prix de la matière première, l’importation d’un conteneur pouvait revenir à 4.000 dollars contre près de 11.000 dollars actuellement. L’on a aussi entendu parler d’une hausse de 25% du prix d’achat.
Comment les industriels du bois et les importateurs marocains font-ils face ? Contacté par la rédaction, Ali Fassi Fihri, président de l’Association marocaine des industries du bois et de l’ameublement (AMIBA) explique que «ces niveaux de prix élevés ont deux explications. La principale raison reste la Covid-19 et ses conséquences et l’après-Covid. Il faut savoir qu’au cours de la période de confinement, plusieurs usines ont arrêté de fonctionner. Également, plusieurs chantiers se sont arrêtés, que ce soit dans l’immobilier, la construction navale, la fabrication de conteneurs… Paradoxalement, lorsque le gros de la population mondiale a été contraint de rester confiné, les achats de meubles ont considérablement grimpé à l’échelle mondiale. De nombreux ménages se sont équipés pour rendre plus agréable, voire confortable le confinement, d’autres se sont équipés pour rendre leur espace de télétravail plus ergonomique». Bien qu’étant passé inaperçus, à l’inverse des ventes d’ordinateurs et matériels informatiques, les vendeurs de meubles, du moins ceux qui avaient une plateforme de vente en ligne fonctionnelle, se sont frottés les mains à l’heure où plusieurs commerçants fermaient boutique. D’autres s’y sont pris un peu tard, mais ont finalement pu tirer leur épingle du jeu grâce à leur portail Internet.
Dans une interview accordée à un confrère, à la question « Comment avez-vous vécu la crise ?», Amine Benkirane, dirigeant fondateur de l’enseigne de mobilier et décoration chez Kitea répond : «la crise a été très compliquée pour le secteur de la distribution de manière générale et particulièrement pour Kitea, parce que nous avons dû fermer nos magasins. Nous avons rapidement mis en place notre site Internet qui nous a permis de relancer un peu les ventes pour pouvoir dégager de la trésorerie et honorer toutes nos charges ». Il a fallu qu’il y ait confinement pour que plusieurs entreprises marocaines se décident à investir dans le digital. Il ne faudrait pas oublier aussi que la vente en ligne est relativement récente au Maroc. Et comme l’a si bien dit le ministre de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique, « la pandémie a fait gagner cinq ans de développement digital au Maroc».
La recette Ikea
Pour le géant suédois du meuble en kit, Ikea, le confinement a été une aubaine. Selon le président de l’AMIBA, « Ikea est l’un des acteurs qui a le plus profité du confinement à l’échelle mondiale. D’un côté les usines étaient fermées, les forestiers ont arrêté la coupe de bois, les scieries ont arrêté de travailler. En revanche, Ikea a continué de travailler parce qu’il y avait énormément de demande et d’achats en ligne». Cela s’est traduit par une forte demande sur l’offre de bois et les panneaux en particulier, pendant et après le confinement. Au moment du redémarrage des économies, les chantiers qui étaient à l’arrêt ont tous repris en même temps, ne laissant pas de temps aux forestiers, aux scieries et aux industriels à l’échelle mondiale de reprendre leur activité pour satisfaire les demandes de chantiers et une demande brutale.
Appel de consommation dans la construction, le packaging …
Une étude Coface sur le bois, publiée en février dernier, souligne l’intérêt grandissant pour la biomasse énergie contribuant à soutenir la demande de bois, la demande croissante émanant des pays émergents et le fait que le matériau soit valorisé dans le cadre de l’essor des constructions «durables», visant à limiter les risques environnementaux. Rappelons que le secteur du bois est très dépendant du secteur de la construction, ce dernier utilisant de grandes quantités de bois comme intrants. Il est également très dépendant du secteur du papier. Or, ce dernier a connu une forte augmentation de la demande au niveau du segment du papier d’emballage (packaging), due à la montée du e-commerce.
Au niveau mondial, les acteurs font face à un environnement règlementaire de plus en plus contraignant, en raison des problématiques environnementales et des mesures prises par les gouvernements, visant la préservation des forêts. Enfin, le secteur fait toujours face à de profondes transformations. En effet, l’activité de l’industrie du bois continue de pâtir des tensions protectionnistes, notamment les droits de douane imposés par les États-Unis sur le bois d’œuvre canadien depuis 2017, et la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis qui se sont respectivement imposés des droits de douane de 25 % sur les importations de bois et de produits à base de bois. S’y ajoute le fait qu’en Europe, le Brexit fait peser un risque important sur les perspectives du secteur, le Royaume-Uni ayant indiqué son intention d’imposer des réglementations plus contraignantes pour le secteur dans l’ère post-Brexit. Parallèlement à ce qui précède, la flambée des prix est aussi alimentée par la mode de la construction en bois. Abondant, peu coûteux, facile à travailler, le bois a toujours été le matériau de construction par excellence. Avec la reprise des chantiers tout azimut aux États-Unis, en Chine et dans le reste du monde, l’on assiste à un appel de consommation de ce matériau, provoquant une flambée des prix.
«Aux États-Unis, certaines matières ont flambé à hauteur de 200, voire 300%. Je vous laisse imaginer la pression exercée sur l’offre. Certains acteurs ne négocient plus les prix proposés, mais la disponibilité du produit et les délais de livraison», explique Ali Fassi Fihri.
Léger, résistant et souple, il convient à de multiples usages et est de plus en plus utilisé dans la construction. En effet, pour un investisseur professionnel, le premier argument avancé est celui de la rapidité de construction. Il est clair que sur ce point le bois a un atout important. Cette rapidité d’exécution et de construction représente un avantage important d’un point de vue financier, dans un contexte de contraction des budgets dû à la crise sanitaire et financière. Mais en dehors de cette rapidité, les constructions professionnelles en bois concentrent bien d’autres avantages. Une structure en bois est très isolante, aussi, elle va permettre un plus grand confort thermique pour les occupants (pas de points froids) en hiver, mais aussi en été. Cette isolation va permettre également une grande économie de fonctionnement (beaucoup moins d’énergie utilisée chaque année) et même d’investissement (machines de puissance inférieures).
Un bâtiment en bois est également performant en termes de confort acoustique, permettant de créer une ambiance de travail plus apaisante. Enfin, une construction en bois envoie un signal fort des engagements environnementaux des entreprises les occupants. C’est un symbole visuel mais aussi une réalité tangible de ces efforts.
Influence de la demande émanant de la Chine sur le marché
Le hic est que depuis plusieurs années, se développe en Chine un engouement pour le bois. Une étude de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU), publiée en novembre 2020, pointe du doigt l’influence de la demande de bois émanant de la Chine sur le marché mondial. Celui-ci souligne que depuis plusieurs années, la demande adressée par la Chine en bois brut destiné à être transformé dans les sites de transformation chinois, influence de manière grandissante le marché du bois. «La demande pour des parquets et des meubles en chêne explose en Asie, avec l’émergence d’une nouvelle classe moyenne qui apprécie le chêne». Après une augmentation de 33 % entre 2017 et 2018, les exportations de grumes de chêne français à destination de la Chine ont baissé de 20 % en 2019. Celles-ci sont écoulées à un prix moyen de 200€/m³. Les exportations directes vers la Chine en 2019 sont estimées à 181.000 m³, soit environ 8 % de la production française. Notons qu’en 2019, sur les 139.000 m³ de chêne exportés vers la Belgique, une majeure partie est ensuite expédiée en Chine (pour mémoire 145 000 m3 en 2018).
Cependant, de nouvelles essences exportées vers la Chine ont connu une très forte progression entre 2018 et 2019. Il s’agit notamment du sapin-épicéa, en hausse de 62 % (143.000 m3 en 2019), au détriment des pins (- 81 %, 13 000 m3). Très demandé en Chine, les exportations de bois de hêtre ont grimpé de 44 % (32.700 m3 en 2019 contre 22.700 m3 en 2018). La demande de peuplier a connu un pic à l’export de 130 m3 à 15.500 m3. Qu’en est-il du Maroc ? Pour l’heure, rien ne filtre. Plusieurs alertes ont été lancées à travers le monde, dont celle de la Fédération nationale française du bois (FNB), face à l’appétit de la Chine pour les grumes. La France possède 16 millions d’hectares de forêts, ce qui représente 29 % du territoire. L’Hexagone est le 3ème producteur mondial de chênes et 1er en Europe. Pourtant, ses scieries sont en crise. Selon la FNB, ces dernières se retrouvent à manquer «cruellement» de matières premières et ne peuvent pas remplir leurs objectifs. À l’heure actuelle, c’est approximativement 30 % de la production française de chênes bruts qui est exportée. Pour se procurer du chêne et du hêtre, les menuisiers français doivent l’importer depuis l’Europe de l’est. L’exportation du chêne depuis la France a été multiplié par 10 en 10 ans. Comment expliquer une telle aberration ?
Comment réagissent les importateurs marocains ?
Le panneau fabriqué à base de bois local n’a pas subi ces niveaux d’augmentation. Au Maroc, les importateurs d’une certaine taille ont adopté depuis plusieurs années une politique de stockage. Ce qui leur a permis de constituer des stocks importants qui leur ont permis d’atténuer les hausses de prix et satisfaire la demande. S’y ajoute le fait que les gros importateurs ont généralement des contrats de longue durée avec les fournisseurs, notamment les forestiers, acteurs importants du marché, «qui les ont, malgré tout, bien traités en ne répercutant pas la hausse des prix de la matière première». Ce qui leur a permis d’atténuer de manière importante, sur le marché local, la pression exercée sur les prix. «Il y a eu des augmentations, mais pas au niveau observé sur les marchés étrangers. Nos clients marocains ont eu une disponibilité à des prix un peu plus élevés, mais vraiment raisonnables. À côté de cela, Cema Bois et j’imagine aussi pour les gros importateurs, nous avons adapté notre politique commerciale. Cela a consisté à faire attention aux spéculateurs.
Nous avons veillé à livrer pour les consommations immédiates, jouant ainsi un rôle de régulateur, pour éviter la spéculation sur le marché. Pour cette initiative, nos clients directs, à savoir les revendeurs, et nos clients indirects, à savoir les sociétés de construction et de menuiserie, doivent être reconnaissantes par rapport à cette attitude. Parce que nous y avons veillé avec beaucoup d’attention», explique Ali Fassi Fihri, président de l’AMIBA. Le prix du conteneur de bois brut a aussi grimpé sur le marché international. En définitive, les importateurs de grande taille et disposant de capacités importantes ont, jusqu’à présent, fait preuve d’une certaine résilience par rapport à cette situation. Comme indiqué plus haut, les contrats de longue durée avec les fournisseurs et l’importance des volumes importés par bateau en vrac ont joué à la faveur des gros importateurs marocains pour une meilleure maîtrise des prix.
Fassi Fihri.
Président de l’AMIBA
«Sur l’augmentation du prix de 25%, je n’ai pas vu d’augmentation brutale d’une telle ampleur. Il faut d’abord trouver le prix de référence pour calculer la hausse. La hausse n’est pas de 25% si l’on se réfère à ce prix de référence. Il faut souligner que pendant un certain temps, les prix avaient fortement chuté et sont ensuite remontés. Si on tient compte ce cet aspect-ci, l’on peut effectivement parler d’une hausse de 25%. Par contre, en lissant les prix, on est sur une augmentation de 10 à 15%. Sur le marché du panneau de bois, nous avons un niveau d’augmentation de l’ordre de 3 à 4%».
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco