Hassan Rouissi : “Nous avons un retard important à rattraper”
Hassan Rouissi. Co-fondateur du groupe TNC-TheNext.Click
Si certains secteurs ont sérieusement pâti de la crise sanitaire, d’autres ont au contraire réussi à tirer leur épingle du jeu. Le e-commerce est un marché qui est amené à se développer encore plus. C’est dans ce sens que le Digital Brunch organise sa 5e édition du 30 mars au 1er avril afin de discuter des principaux axes de développement. Hassan Rouissi, co-fondateur du groupe TNC-TheNext.Click, dresse un panorama de cette activité…
Comment évolue le e-commerce au Maroc ?
Le e-commerce a progressé de manière importante durant les dernières années. Mais malheureusement, nous ne disposons pas de chiffres officiels pour nous donner une idée précise sur l’état actuel du marché. Nous pouvons cependant apprécier les données du Centre monétique interbancaire (CMI) qui font part d’une augmentation de 49% des transactions effectuées par cartes bancaires sur les sites de e-commerce. Malgré cela, nous pouvons dire que l’achat en ligne est encore à ses premiers balbutiements et que nous avons un retard très important à rattraper. Dans le monde, le e-commerce représente 22% du retail (pour 10 ventes, 2 se font sur internet contre 8 en physique), alors qu’au Maroc, il ne représenterait que 1% du secteur. Une fois ce retard rattrapé, nous pourrons prétendre à une croissance à deux ou trois chiffres, à condition, toutefois, que toutes les parties prenantes de l’écosystème abondent dans ce sens.
Dans ce domaine, le Maroc est classé 85e au niveau mondial et 6e pays en Afrique. Que manque-t-il au Maroc pour progresser dans ce classement ?
Pour l’instant, il est très difficile de nous comparer à des pays comme le Nigéria et l’Afrique du Sud. Par exemple, le Nigéria dispose d’une pénétration internet qui est beaucoup plus importante que celle du Maroc. Environ 92% de sa population utilise l’internet sur le mobile, ce qui représente un terrain propice au développement du e-commerce. Au Maroc, nous ne sommes pas dans cette situation, la pénétration internet étant estimée à 60%, voire 65%, ce qui correspond à environ 26 millions d’internautes. Et parmi eux, on compte seulement 12 millions de « shoppers» (personnes ayant effectué des transactions e-commerce). Aussi, nous avons une très forte corrélation entre l’analphabétisation de la population marocaine et l’utilisation d’internet et du e-commerce. Ce qui représente un énorme frein pour le développement de ce marché. Dans les pays africains, le fait que le mobile money gère des aspects cruciaux de la vie des ménages, a fait que les gens sont convertis au numérique, puisqu’ils n’ont pas le choix et ne peuvent pas faire autrement. Au Maroc, ce n’est pas encore une obligation.
Peut-on dire qu’il y a une crise de confiance empêchant l’émergence du marché ?
Le consommateur marocain a toujours été à l’affût des offres sur le e-commerce. Il est toujours preneur quand il y trouve son compte. Le meilleur exemple reste les sites des facturiers qui ont connu un réel engouement dès leur lancement, suivis des sites de réservation des billets d’avion, ainsi que les produits de première nécessité. Ce qui veut dire que dès que l’offre est présente et qu’elle est bien structurée, elle peut créer de l’intérêt auprès du consommateur. C’est donc au marché de créer et de déployer une offre adaptée et à la hauteur du consommateur marocain. Aussi, toute incitation serait la bienvenue, que ce soit du côté du commerçant ou du consommateur, et ce, afin de contrecarrer et de limiter la circulation du cash.
Dans combien d’années pourrions-nous atteindre le niveau des pays émergents ?
Honnêtement, je ne peux pas faire cette prédiction. Mais tout porte à croire que les chiffres continueront à croitre de manière très intéressante dans les années à venir. De l’avis des opérateurs du marché, le Maroc a gagné au minimum trois ans «grâce» à la Covid-19 et le confinement qui ont fait évoluer le mode de consommation des Marocains.
Quel modèle serait le plus adapté au Maroc pour l’émergence du e-commerce ?
La seule différence qu’on va observer de manière très forte entre les différents pays, c’est le mode de paiement. Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, la tendance est aux e-wallets et les cartes bancaires pour le paiement des transactions. C’est ce qui se fait actuellement dans les pays émergents et d’Asie, alors qu’en Afrique où l’utilisation de l’argent liquide est encore très présente, le Cash on delivery (paiement à la livraison) est le plus courant. Dans notre région, les opérateurs affirment que le taux du paiement par cash va de 60 à 80%. C’est un taux qui reste très important, mais qui est amené à diminuer.
Pourquoi le paiement mobile peine-t-il à décoller ?
Il y a encore un effort à faire dans ce sens. Le Nigéria et le Kenya, par exemple, sont des pays qui ont développé l’écosystème internet et le e-commerce grâce au mobile paiement. Alors qu’au Maroc, nous empruntons le schéma inverse dans le sens où nous essayons de construire un écosystème digital avant le mobile paiement.
Aïda Lô / Les Inspirations Éco