Culture

Quentin Dupieux : « Je n’hésite pas à couper quand ça ne sert pas le film »

Quentin Dupieux. Réalisateur, scénariste, monteur et DJ

Comment a germé l’idée de faire un film sur une mouche géante ?
J’avais cette vision d’une mouche géante que l’on découvre en ouvrant un coffre fermé depuis très longtemps. Certaines visions partent comme elles sont venues. Celle-ci n’est jamais partie. Mon cerveau travaille tout le temps. J’avais constamment cette idée visuelle en tête. La mouche revenait. Trois ans après, l’histoire était prête à prendre forme.

Il y a du rythme dans ce film sans action aucune . Est-ce le musicien en vous qui garde constamment le tempo ?
Je faisais des courts métrages bien avant de faire de la musique. J’ai décidé d’en faire parce que financer un film, écrire un script est difficile. La musique est plus facile, plus simple pour s’exprimer. En tout cas, c’est ce que je me suis dit. Cela va plus vite. Le processus de création d’un film est très long : on doit réfléchir, écrire, trouver les financements, convaincre des acteurs, tourner. C’est un long chemin à parcourir. Jouer de la musique, c’est instantané. La créer aussi. Je me suis dirigé vers la musique «comme ça», mais je continuais à faire mes films en parallèle. Ce n’est donc pas le musicien qui s’exprime, mais plutôt le fait que j’aime profondément la musique, c’est comme ça que je décide si une scène est bonne ou pas. J’écoute la scène. Les acteurs pour moi sont des musiciens sur un plateau de tournage, comme en concert. J’entend si une phrase sonne faux ou si deux acteurs sont en phase dans un dialogue. C’est quelque chose que j’entends facilement. C’est probablement la seule connexion avec la musique qui existe dans mon travail. Je travaille beaucoup à l’oreille.

Vous faites tout vous-même : écriture, tournage, montage. Est-ce une façon de garder le contrôle, de gagner du temps ?
De gagner du temps, oui ; c’est comme ça que je fais un film par an. Ce n’est pas vraiment une question de contrôle, c’est une question de plaisir et d’amusement, j’adore faire cela et je l’ai fait toute ma vie. À 18 ans déjà, je faisais des courts métrage que je filmais, montais tout seul parce que je trouvais déjà cela plaisant. Si vous me proposez de seulement le réaliser, sachant qu’une personne va l’écrire, une le filmer et une autre le monter, quel ennui ce serait pour moi ! C’est un de mes pires cauchemars ! (Rires). J’ai besoin d’être partout, de toucher la caméra, de travailler la lumière, de parler aux acteurs, d’être proches d’eux. Finalement, le meilleur des moments pour moi est celui où je monte le film.

Comment ne pas tomber dans le ridicule ?
J’adore le danger qu’il y a dans le ridicule. Je pense qu’il ne faut pas en avoir peur. J’aime et assume le ridicule. J’ai des personnages qui ont 40 ans et qui ont l’âge mental d’enfants de 12 ans. C’est la même chose avec la mouche géante. À l’écriture, c’est déjà quelque chose, mais comment lui donner vie, comment faire pour que ce ne soit pas trop ridicule en même temps ? Même chose avec les acteurs. C’est toujours toute une histoire de trouver l’harmonie qu’il faut. Dans mon précédent film, il y avait un gros danger, celui d’un personnage qui parlait à sa veste. Si l’acteur n’avait pas été convaincu, le film serait mort. C’est une des raisons pour lesquelles je suis très heureux de travailler avec d’aussi bons comédiens. Ils savent faire ressortir la magnificence du scénario.

Adèle Exarchopoulos est incroyable dans le rôle de cette femme qui parle fort en serrant les dents après un accident de ski. Comment avez-vous pensé à elle ?
Elle voulait le rôle. Personnellement, je me suis posé les questions suivantes : Vraiment? Adèle pour ce rôle ? Elle n’a joué que des rôles très réalistes jusqu’à maintenant. Danger encore. C’est peut-être plus facile de gérer une mouche géante. Il fallait y aller. Action, on tourne. Et si l’intention n’est pas là, le film est mort. Elle a accepté de faire des essais. On a pris deux heures, quatre mois avant le tournage. Après quelques essais, elle était parfaite. Elle ne pensait plus, elle réagissait comme une enfant. Et c’était ça ! Elle a beaucoup travaillé de son côté. Elle apprenait beaucoup, elle était à 100% dans le rôle.

Dans tous vos films, il y a cette obsession du langage, des tics. Pourquoi ?
Les mots viennent en premier, les dialogues sont ce qu’il y a de plus important. Je commence toujours avec des idées folles, certes, mais c’est le dialogue qui rend tout possible. Si j’arrive à mettre des mots sur des idées folles, c’est que je suis en train de construire un film. S’il n’y a que des dialogues ou des idées folles, il n’y a rien. Il faut tout connecter. Des acteurs qui arrivent à donner vie et sens à ces dialogues, c’est la perfection absolue. Le script est écrit et je tiens au fait qu’il ne doit pas être changé. Cependant, si des mots ne sortent pas correctement de la bouche de certains acteurs, on change, on trouve autre chose qui leur ressemble plus, qui résonne mieux. Mais de manière générale, je suis plutôt fidèle au scénario.

Vos films ne sont jamais longs. Comment savez-vous qu’un film est fini ?
Je suis issu du court métrage, j’aime les films courts. À moins qu’il ne s’agisse d’un chef-d’oeuvre, on ne peut obliger un public à rester trois heures assis à regarder un film. Dans Tenet de Christopher Nolan par exemple, j’aurais bien coupé 1h30 du film et cela aurait été un chef-d’oeuvre. Je monte mes films moi-même. Je suis perfectionniste et je n’hésite pas à couper quand ça ne sert pas le film. Même si ce sont des scènes faites avec cœur et qui me tiennent à cœur. C’est dur d’enlever des plans, des scènes, mais je ne peux me permettre de faire un film pour me faire plaisir. Je fais des films pour un public qui a besoin de s’éloigner de la réalité, je n’ai pas besoin de lui dire : «Regardez ce que je sais faire.» 

Jihane Bougrine / Les Inspirations Éco



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