L’interview confinée de… Maï-Do Hamisultane Lahlou
À mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, les œuvres de Maï-Do Hamisultane Lahlou sont un entre-deux constants entre deux mondes, deux rêves, deux vies. Elle qui est à la fois psychiatre et écrivaine, explore la littérature avec un regard à la fois aiguisé et aérien. Poétique et brutal, ses textes parlent d’amour, de passion, de passé, de mythes, de maternité de «La Blanche» à «Santo Sospir» en passant par «Lettres à Abel» et son dernier opus «Des réalités» de sortie aux Éditions Suzon. Confinement avec une plume libre.
Le livre qui a fait de vous l’écrivaine que vous êtes ?
«Si je t’oublie Jérusalem» de William Faulkner. C’est par ce livre qui alterne deux histoires qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre et qui pourtant ne peuvent pas exister l’une sans l’autre que j’ai compris le pouvoir de la structure littéraire sur le texte.
Le livre qui a changé votre vision de la vie ?
«Martin Eden» de Jack London. Au-delà d’être une histoire d’amour, c’est un roman profondément social sur la lutte des classes où Martin Eden, au fur et à mesure qu’il s’instruit, s’aperçoit que la classe huppée qui le fascine par une certaine aisance du verbe, un raffinement des manières, est en fait dénuée de toutes pensées politiques propres.
Le livre qui a touché la psychiatre en vous ?
«Le Ravissement de Lol. V. Stein» où Marguerite Duras décrit avec une justesse déconcertante le basculement dans la psychose après un trauma amoureux d’une jeune femme, Lola Valérie Stein.
Le livre qui vous a donné envie de lire ?
«La symphonie pastorale» d’André Gide. Je suis tombée par hasard dessus dans la bibliothèque de mes grands-parents à Casablanca. J’avais 9 ans, nous n’avions pas la télévision française, je l’ai lu et ça a été une révélation. Depuis je suis convaincue que c’est par les grands textes que l’on entre en littérature, peu importe l’âge.
Le livre qui vous fait rire ?
«L’aliéniste» de Machado de Assis. Un psychiatre s’installe dans une petite ville d’Amérique latine pour y fonder son asile «La maison verte». En peu de temps, presque toute la population s’y trouve internée. Des sujets sérieux tels que la normalité et la folie sont abordés par le biais de cette fable avec beaucoup d’humour.
Le livre qui vous émeut ?
«La Femme de trente ans» de Balzac où malgré l’opposition de son père, la jeune Julie épouse Victor d’Aiglemont. Balzac à travers elle dépeint le sort des jeunes mariées ignorantes de la vie qui subissent la brutalité sexuelle et psychologique de leur époux.
Le livre que vous aimeriez lire à votre enfant.
«Les Trois Mousquetaires» d’Alexandre Dumas parce que mon fils, Abel, adore les histoires de cape et d’épée et aussi parce qu’il descend par son grand-père paternel du Vicomte de Bragelonne.
Le livre que vous avez détesté aimer ?
«Histoire d’O» de Pauline Réage où la jouissance de la réification sexuelle d’une femme pour son amant est troublante.
Le livre qui vous donne la pêche ?
«La Reine Morte» d’Henri de Montherlant. En classes préparatoires, on l’avait appris par coeur et on se donnait les répliques avant les examens en guise d’échauffement. Depuis, j’en ai gardé l’habitude.
Le livre qui vous a fait peur ?
«La mort viendra et elle aura tes yeux» de Cesare Pavese. Il s’agit d’un recueil de poèmes. Cet auteur terriblement beau a choisi de se donner la mort dans une chambre d’hôtel. Au petit matin, retrouvé allongé sur le lit, ses yeux bleus vertigineux grands ouverts, un manuscrit est posé sur son torse, il y a écrit dessus «La mort viendra et elle aura tes yeux».
Le livre que vous pouvez lire et relire
«Mon recueil de poésies» de Mallarmé. Derrière un hermétisme apparent se trouve une grande clarté qui apparaît soudainement. Mon préféré reste «Apparition avec le plus beau vers pour moi de la littérature», «La cueillaison d’un rêve au coeur qui l’a cueilli», où «coeur qui est la condensation de cueillir» et de «rêve se situe au coeur même du poème».
Le livre que vous avez lu très vite.
«Belle du Seigneur» d’Albert Cohen, je devais avoir une dizaine d’années, je l’ai lu sans m’arrêter, sans dormir, en deux jours. J’ai été subjuguée par l’histoire d’Ariane enlevée par Solal, prince charmant au cheval blanc. Je n’ai compris que plus tard le cynisme d’Albert Cohen.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
«Envoyé spécial» d’Echenoz. Constance est prise en otage et amenée du 16e arrondissement à Paris dans la Creuse afin de lui faire développer un syndrome de Stockholm et qu’elle obéisse volontairement à ses ravisseurs, le but étant de l’envoyer en Corée du Nord séduire le dictateur qui est un de ses fans, ses chansons étant encore écoutées là-bas. C’est un texte très fin sur le traumatisme complexe où Jean Echenoz développe le concept de syndrome de la Creuse : syndrome de Stockholm plus syndrome de Lima, les geôliers s’éprenant de leur victime. La mémoire traumatique est le sujet de ma thèse de médecine et c’est en cela que j’aurais aimé écrire un roman sur ce sujet. Echenoz s’en est emparé remarquablement!
Le livre parfait pour le confinement ?
«L’Odyssée d’Homère», relatant le retour d’Ulysse qui met plus de dix ans à rentrer chez lui après la guerre de Troie pour les aventures et aussi pour se rappeler qu’être confiné chez soi est plus enviable que d’autres situations.
Le livre courageux.
«Crack» où Tristan Jordis nous immerge dans un monde que certains d’entre nous ne soupçonnent même pas. Pour l’écrire, il a habité porte de la Chapelle avec les toxicomanes pendant près d’un an.
Le livre qui vous a apaisé
«L’absolu vécu à deux» où Jacques de Bourbon Busset fait l’éloge de l’amour conjugal et plus particulièrement de sa relation avec sa femme Laurence. «Ça me rassure qu’un tel exemple d’amour ait existé dans la famille de mon fils», Jacques de Bourbon Busset et Laurence Ballande étant les
grands-parents de son père.
Le livre que vous emmèneriez sur une île déserte ?
«Fahrenheit 451» de Ray Bradbury pour me souvenir de l’importance vitale des livres.
Le livre qui vous ressemble ?
«Le grand marin» de Catherine Poulain pour son amour du large, la soif d’indépendance et de liberté.
Votre coup de coeur du moment.
«Le Bal des folles» de Victoria Mas. Un premier roman juste, sensible, magnifique sur les hystériques de Charcot à la Pitié Salpêtrière. Ce livre a tout touché en moi : l’écrivaine, la psychiatre, la femme.
Vos livres de chevet ?
«Ulysse» de James Joyces et «Le Marin de Gibraltar» de Marguerite Duras.
Carte de visite
Après une enfance passée à Casablanca et une hypokhâgne et khâgne BL à Janson-de-Sailly, Maï-Do Hamisultane poursuit des études de médecine et se spécialise en psychiatrie. Elle a écrit deux romans : «La Blanche» (2013), sélectionné au prix de la Mamounia et «Santo Sospir» (2015) pour lequel elle obtient le prix découverte Sofitel Tour Blanche en 2016. Elle a contribué à des recueils de nouvelles au profit de l’éducation et des enfants pauvres.
«La Blanche» : Les histoires d’amour finissent mal en général. L’héroïne en fait l’épreuve jusque dans la chair de sa chair et le clair souvenir d’un meurtre au mystérieux coupable…Au-delà du suspense intense du récit s’égrène la magie de l’enfance en une majestueuse villa blanche Art déco au coeur de Casablanca. Différentes époques et espaces entre le Maroc et Paris s’emboîtent, accélérant le désir d’en savoir plus sur le destin de tous les protagonistes.
«Lettres à Abel» : Quatrième de couverture de «Lettres à Abel» de Maï-Do Hamisultane après ses deux romans, «La Blanche» et «Santo Sospir», entre souvenirs d’enfance et attente amoureuse, Maï-Do Hamisultane sonde l’amour maternel aux confins d’une rupture tragique. Parce que «l’on n’écrit jamais que sur soi-même», ses Lettres à Abel intériorisent ce lien filial incommensurable en une correspondance parsemée de fulgurances poétiques jusque dans la torpeur des pires moments de solitude. Le fil ténu du quotidien mène la narratrice au bord d’un gouffre, dont seule l’écriture la sauve du néant. «Lettres à Abel» est une déclaration d’amour à la littérature et à l’enfance.