Culture

L’interview confinée de… Omar Alaoui

Lobbyiste à cheval entre Paris et Rabat, son action publique vise à rapprocher l’Europe de l’Afrique. Ancien chef de cabinet de Salaheddine Mezouar, passé par les arcanes du Parlement en tant que conseiller de la Commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne et des partis politiques, auteur de «Ce que je veux pour mon pays» co-écrit avec le journaliste français Vincent Perrault, il a prêté sa «plume» à plusieurs hommes politiques. Omar Alaoui se prête au jeu de l’interview en confinement littéraire…

Un livre qui vous rappelle ce que vous voulez pour votre pays ?
Ce serait le livre collectif qu’écrivent actuellement les Marocaines et les Marocains. On y parle de résilience, de solidarité, du sursaut marocain. Un formidable roman marocain. J’espère qu’on en fera bon usage quand il brillera de nouveau.

Le livre qui a changé votre vision de la vie ?
C’est à moi de l’écrire.

Le livre qui a titillé votre conscience politique ?
«Les Chênes qu’on abat», la puissance de ce dialogue éminemment politique. Il y a tout dans cet ouvrage, la densité unique du général de Gaulle, la sensibilité et la bienveillance d’André Malraux. Il y a la grandeur de la politique, le lustre du devoir, le sens du sacrifice, le poids de l’intime. Il y a le choc entre le réel et l’imaginaire : «On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères mais que faire de grand sans elles ?». Au fond, De Gaulle est le plus grand des personnages de Malraux.

Le livre qui vous a donné envie de lire ?
«Le Petit Prince» de Saint Exupéry, le livre d’apprentissage par excellence et pour toutes les valeurs qu’il et dont il continue d’être l’étendard. Ce livre est un refuge permanent et un aiguillon. Je conserve aussi une grande sensibilité pour la saga de JK Rowling «Harry Potter» dont j’ai tout de suite perçu la dimension politique très forte, c’est un livre d’éducation civique qui enseigne la passion pour la vérité et la justice. L’école de Poudlard, c’est la pierre angulaire de tout un ordre politique et d’un système social. Ce livre comporte une critique des élites, des «sachants», dénonce le mélange des genres entre le fric et le pouvoir et critique même la presse moutonnière. Il fait l’éloge de l’initiative privée, de la créativité, consacre la tolérance et l’acceptation de l’autre. Le personnage d’Harry Potter est une figure sacrificielle dont le sacrifice personnel doit être à l’origine d’une société plus juste.

Le livre qui vous fait rire ?
La plupart des livres de Frédéric Beigbeder, pour sa désinvolture, particulièrement «Mémoires d’un jeune homme dérangé», «Un roman français», c’était encore le cas de son dernier livre «L’homme qui pleure de rire». Au-delà des livres en eux-mêmes, c’est l’esprit du «Caca’s Club» qui m’attire chez Beigbeder, un esprit dont on a hérité au sein de mon cercle d’amis où l’on se retrouve fréquemment chez Castel, rue Princesse. On continue de porter haut cet esprit de dérision et surtout d’autodérision.

Le livre qui vous émeut ?
«Anthologie des apparitions» de Simon Liberati. C’est un livre déchirant par sa beauté, poignant. Il y a des êtres attirés par les Dieux, la lumière, la gloire et c’est ce que raconte ce livre mais tout ça est éphémère et tout s’efface rapidement. Je viens d’ailleurs d’en conseiller la lecture à un être très cher.

Le livre proche de votre vision politique ?
Chateaubriand et ses «Mémoires d’outre-tombe». Comme lui, je pense ne pas être un grand théoricien mais comme lui, j’ai des idées bien trempées. J’ai en horreur le nivellement par le bas. Comme lui, je souhaite une société égalitaire mais pas oppressive pour ne pas tuer la liberté à laquelle je suis farouchement attaché. Sur le plan international aussi : c’est l’attachement à la Nation tout en refusant l’isolationnisme sur l’échiquier international. Chateaubriand était un visionnaire. On retient souvent la phrase de Gramsci : «le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres» mais celle de Chateaubriand est bien plus puissante : «On dirait que l’ancien monde finit et que le nouveau commence…Les scènes de demain ne me regardent plus, elles appellent d’autres peintres : à vous, Messieurs». Mais ma vision politique, je l’ai surtout apprise sur le terrain, aux côtés de grands hommes qui m’ont donné leur confiance et à qui j’ai offert ma loyauté. Deux humanistes qui ont fait de moi un jeune homme meilleur et qui ont forgé ma conscience politique : Salaheddine Mezouar et Jean-Louis Borloo.

Le livre que vous avez détesté aimer ?
«Le Prince» de Machiavel évidemment. C’est le grand penseur du désordre. Il ne pense pas que le conflit puisse être surmonté. Pour lui, la désunion est une donnée inhérente au monde politique.

Le livre qui donne la pêche ?
«Le bûcher des vanités» de Tom Wolfe. Ce livre est un électrochoc, on le lit à la vitesse grand V animé par un état émotionnel très intense, l’angoisse elle aussi va croissante. Tout y passe : le capitalisme, le consumérisme, la cupidité, la prétention de rien, ces grandes villes-mondes qui sont les théâtres d’intrigues politico-médiatiquo-judiciaires. Et il est encore plus d’actualité dans ce paradis perdu qu’est l’Amérique de Donald Trump où règne le Dieu Dollar. C’est un roman pyramidal avec une vraie dynamique des dialogues, on doit peut-être cela à la formation journalistique de Tom Wolfe.

Le livre qui vous a fait peur ?
Je ne lis pas pour avoir peur mais pour rêver. J’apprécie quand même les lectures un peu angoissantes mais toujours passionnantes d’Harlan Coben.

Le livre que vous pouvez lire et relire ?
«Les heureux et les damnés» de Francis Scott Fitzgerald. C’est une leçon de vie pour tous ceux qui ont tout pour eux : succès, richesse, beauté, culture et qui trouvent quand même le moyen de se flinguer par l’oisiveté et la constance recherche du plaisir, sans cesse, sans buts, sans fin. Ils sont nombreux les hommes et les femmes de ma génération dont la vie pourrait être extraordinaire et que je vois pourtant se diriger vers un sombre destin marqué par ce qui sera une monotonie déconcertante. Ce livre est une vraie leçon et c’est pour ça qu’il faut le lire et le relire ; il devrait servir à toute ma génération de wake-up call.

Le livre qui vous avez lu très vite ?
«Paris est une fête» d’Ernest Hemingway car ce n’est ni un roman, ni un journal. C’est un livre de souvenirs. Les souvenirs d’une génération perdue, d’une bande d’artistes américains géniaux mais déchirés. Et dont Paris a été le théâtre, le terreau magique parfois même la muse. Le titre est trompeur car le Paris d’Hemingway était une vie de bohème et parfois même de pauvreté. Livre de souvenirs donc et leçon d’un art de vivre éternellement jeune. Plus que tous les autres, c’est ce livre qui a inspiré Woody Allen pour réaliser «Midnight in Paris».

Le livre que vous auriez aimé écrire ?
«L’Autre» d’Éric Zemmour. C’est une fiction politique, un exercice extrêmement complexe. Zemmour avait d’abord écrit une biographie de Jacques Chirac «L’homme qui ne s’aimait pas» puis il a voulu toucher un plus large public avec une fiction, une intrigue politique. Quand Zemmour ne donne pas son avis malade sur la société, c’est un très bon écrivain. C’est l’hyper médiatisation qui a gâché son talent. Écrire une fiction politique, c’est écrire la comédie du pouvoir, cela demande un talent fou et un travail minutieux. Pour tout vous dire, j’y travaille actuellement…

Le livre parfait pour le confinement ?
J’ai une immense estime et beaucoup d’amitié pour Dominique de Villepin et avant même d’avoir eu l’honneur de le connaître, j’ai dévoré tous ses livres. Pour le confinement, je conseillerai son «Éloge des voleurs de feu» où la poésie y est sacrée comme l’unique remède pour vivre encore après les drames et les tragédies pour «toucher au cœur». Ce livre est une Bible au pouvoir inimaginable, il exorcise les peurs et les angoisses, c’est un itinéraire spirituel. Le confinement rime aussi avec Ramadan pour nous et avec ses longues nuits. Je recommanderai aussi «L’Hôtel de l’Insomnie» du même auteur pour sa cohorte d’écrivains et de poètes qui portent à bout de bras l’action publique de de De Villepin, d’Apollinaire et de Baudelaire jusqu’à Césaire et Darwich. Avec ce livre entre les mains, un homme d’action peut sortir des sentiers battus, des frontières dans lesquelles il pensait être enfermé et peut rompre le mauvais sort pour aller au bout de lui-même. Si la charge de travail a continué pour moi durant le confinement, c’est la sédentarité qui a pu permettre à mon corps de se reposer un peu. Dans le feu de mon action lorsqu’il m’arrive de pouvoir voler quelques jours de répit face à la mer, je pense souvent à cette citation de DDV «avec le ciel et le vent, il y a d’autres vies à vivre».

Le livre courageux ?
J’aime l’éloquence de Corneille. Je dirai donc «Horace» pour la modernité de son héros qui ne se sent pas accablé par la fatalité. Le vieil Horace nous permet surtout de nous interroger sur la notion de patriotisme. Jusqu’où un citoyen doit obéir à l’État ? Et qu’est-ce que peut exiger un État comme actes de sacrifice de la part de ses citoyens? Courageux, Horace l’est, certes, mais du patriotisme au fanatisme il n’y a qu’un pas. «L’Illusion comique» de Corneille m’a toujours passionné. Elle est courageuse car elle s’émancipe des codes rigides du théâtre, cette pièce est une fantaisie flamboyante, c’est une mise en abyme. Elle fait écho à l’argument de Shakespeare «le théâtre n’est qu’illusion et c’est cette illusion qui nous permet de voir…».

 


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