Les leçons du télétravail décryptées par Sanaa Benchekroun, DRH chez Majorel
Avec la crise du coronavirus, le télétravail s’est imposé dans le monde de l’entreprise et même de la fonction publique. Il s’est avéré que ce mode de travail présente des avantages, notamment l’amélioration de la productivité. Avis d’expert avec Sanaa Benchekroun, DRH région France, Afrique, Benelux chez Majorel…
Pensez-vous que la productivité ait réellement augmenté grâce au télétravail?
Complètement! Pour contextualiser un peu, il faut savoir que le secteur de la gestion de la Relation Client emploie près de 80.000 personnes au Maroc. C’est un secteur qui apporte une valeur sociale et économique considérable, puisqu’il constitue un ascenseur social extraordinaire, à travers le développement des compétences et de l’employabilité de la jeunesse marocaine. Face à la crise du Covid-19, nous avons pris toutes les dispositions pour assurer la pérennité de notre activité et la sécurité physique et économique de nos collaborateurs. Et le télétravail est une des solutions qui s’est imposée à nous dès le début. Aujourd’hui, près de 2.500 de nos collaborateurs sont déjà en télétravail, 2 semaines seulement après le début de la crise. C’est un réel exploit quand on connaît le défi technologique et humain que cela représente. À terme, nous visons un objectif de 4.000 collaborateurs en télétravail. Toute la logistique nécessaire à la réalisation de cet objectif a déjà été enclenchée, le matériel acheté, et nos équipes techniques et logistiques (que je salue au passage) travaillent d’arrache-pied pour le paramétrage et le déploiement de cet ambitieux dispositif.
Faut-il un temps d’adaptation ?
Nous sommes conscients que cette transition nécessitera une période d’adaptation, mais nous croyons fermement qu’avec le sens des responsabilités, l’éthique et la quête de l’excellence dont font preuve nos équipes au quotidien, nous atteindrons rapidement notre vitesse de croisière. Nos collaborateurs se sont montrés très contents de cette nouvelle expérience, ils sont parfaitement conscients de la confiance qui est placée en eux. Nous avons constaté un maintien de la productivité et de la qualité de service.
Le télétravail peut-il améliorer la productivité des employés?
Il y a beaucoup de mythes autour du télétravail, le plus récurrent est celui relatif à la baisse de la productivité. Le contexte actuel nous permet de constater que cette conception est réductrice et désuète. Le télétravail peut améliorer la productivité et la qualité du rendement à plusieurs égards. Le premier aspect qui me vient à l’esprit est la confiance et le sens des responsabilités. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des équipes formées aux meilleurs standards internationaux, et qui ont fait leurs preuves en termes de professionnalisme, d’engagement et de performance. Le télétravail implique plus de responsabilisation et de délégation, plus de discipline individuelle et collective. Il répond aux attentes d’une génération de millennials en quête de sens et de liberté, qui aspire à maîtriser son environnement et son rythme de travail, et qui représente la majorité de nos collaborateurs. De plus, il faut reconnaître que le télétravail donne un confort moral inestimable aux collaborateurs: économie de temps de trajet, conciliation entre obligations professionnelles et contraintes familiales, etc. Le troisième point, c’est la disponibilité des connexions et la qualité du matériel mis à la disposition des télétravailleurs. Les opérateurs télécoms ont donc un rôle important à jouer pour lever les derniers obstacles au travail à distance. Enfin, le dernier point, c’est le maintien du lien social malgré la distance que le télétravail impose. Nos équipes ne font pas exception, elles font preuve d’une empathie admirable envers leurs clients, leurs managers et entre eux, et redoublent d’efforts et d’initiatives pour soutenir avec bienveillance les utilisateurs finaux des services et produits de nos clients. Même à distance, même en télétravail, nous n’avons jamais été aussi proches. Je suis fière de la #OneTeam que nous avons su rester malgré -ou grâce à- ce contexte difficile que nous vivons.
À la fin de la crise, pensez-vous que les entreprises devront changer leur vision quant au respect des chartes internes?
Cette pandémie est en train de changer les conceptions économique, sociale et psychologique dans le sens où tout ce qui semblait impensable dans un passé pas si lointain est devenu envisageable. Une remise en question globale s’est imposée à tous les pays touchés, et nous en sommes aujourd’hui au point où un tiers de la population mondiale est confiné. Tout cela suggère que la vision que nous avons eue du travail jusque-là changera inexorablement, sans retour en arrière possible. Par exemple, chez Majorel, nous sommes déjà tous d’accord sur le fait que nous continuerons à proposer du télétravail à nos collaborateurs. La digitalisation des formations que nous avions déjà entamée, va probablement continuer.
Comment se dessinera la nouvelle configuration du marché de travail ?
Nous n’ayons pas assez de recul pour répondre à cette question. Tous les experts s’accordent à dire que nous n’en sommes qu’au tout début de cette crise sanitaire singulière… Qu’en sera-t-il dans un mois, dans quelques mois, dans quelques années? Personne ne peut le prédire. Mais mon pressentiment est que le marché s’adaptera forcément à l’offre et à la demande, aux attentes des salariés et à celles des employeurs, à la nature de l’activité considérée, aux exigences des clients, etc. Et tout porte à croire que nous irons vers toujours plus de flexibilité, de digitalisation, d’entrepreneurship. Nous avons déjà constaté un changement de paradigme chez nos clients donneurs d’ordre, nous avons vu la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) réagir positivement au contexte actuel en adaptant ses processus. Reste à faire évoluer certaines contraintes: reconnaissance de la signature électronique, digitalisation légitimée des processus RH (bulletins de paie électroniques, gestion des congés, etc…).