Maroc

RGPH 2024 : contraction des foyers, triomphe de l’individualisme

Les données issues du dernier recensement de 2024 confirment le ralentissement de la croissance démographique du Maroc. Une transition vers des foyers plus restreints et un recentrage sur l’individu, signes de modes de vie en mutation.

Le dernier recensement fixe la population du Maroc à 36.828.330 habitants au 1er septembre 2024 (dont 36.680.178 Marocains et 148.152 étrangers) et marque une transition démographique assez notable. Avec un taux d’accroissement annuel moyen de 0,85% entre 2014 et 2024, le ralentissement de la croissance contraste nettement avec les 1,25% de la décennie précédente.

Cette évolution prolonge une tendance amorcée dès les années 1960 avec un taux d’accroissement frôlant les 2,6%. Le ralentissement actuel inscrit le Maroc dans une trajectoire de croissance plus modérée, similaire à celle d’économies de taille comparable.

Parallèlement, la population urbaine poursuit son expansion à un rythme soutenu de 1,24% par an, en contraste avec l’évolution plus modeste (0,22%) enregistrée en milieu rural. La part des habitants vivant en milieu urbain atteint aujourd’hui 62,8%, contre 60,4% en 2014. Cette urbanisation accrue reflète l’attrait exercé par les centres urbains, alimenté par les migrations internes et un exode rural qui, de manière structurelle, renforcent la densité des villes et laissent les zones rurales en stagnation.

Mutations radicales
Ce phénomène traduit bien plus qu’une simple évolution statistique. «Le Maroc a engagé des mutations radicales au niveau des modes de vie», observe un sociologue de renom dans le domaine des mutations sociales. Il observe que le ralentissement démographique résulte de changements profonds dans les aspirations de la société.

«Les Marocains étaient fondamentalement attachés à leurs valeurs traditionnelles, mais la société évolue désormais vers des comportements de plus en plus individualistes, une tendance en phase avec la mouvance mondiale», constate-t-il, dans un contexte où l’épanouissement personnel tend à primer sur le modèle de vie familial traditionnel.

Ainsi, la baisse de l’accroissement démographique peut être interprétée comme le signe d’un basculement vers des choix de vie davantage orientés vers l’individualisme. Dans une conjoncture marquée par la contraction permanente du pouvoir d’achat, nombre de Marocains tendent à préférer la réussite socioprofessionnelle sur le fait de fonder un foyer.

Le mariage et la parentalité, autrefois considérés comme des étapes incontournables de la vie adulte, sont aujourd’hui perçus comme des options parmi d’autres dans la quête de liberté personnelle. De nombreux sociologues s’accordent à dire que ce changement est principalement dû à une libéralisation progressive des mœurs, notamment des relations interpersonnelles, qui ne sont plus soumises aux mêmes contraintes sociales que par le passé.

Famille conjugale
Constat partagé par le sociologue Mehdi Alioua pour qui le dernier recensement consolide le passage du modèle de la famille patriarcale communautaire à une configuration plus restreinte, qu’il conviendrait de qualifier de «famille conjugale».

Aujourd’hui, observe-t-il, les couples privilégient une intimité amoureuse et sexuelle qui constitue pour eux une priorité, et la parentalité intervient souvent bien plus tard. «Les enfants, cela vient après, et il existe un intervalle assez long entre le mariage et la naissance du premier enfant», note Alioua, faisant écho aux analyses du sociologue américain Talcott Parsons sur la «famille nucléaire biparentale». Cette évolution se reflète par ailleurs dans la réduction de la taille des ménages.

En effet, le nombre de ménages au Maroc s’élève aujourd’hui à 9.275.038, répartis entre 6.173.930 en milieu urbain et 3.101.108 en milieu rural. Ce chiffre a augmenté de 1.961.232 depuis 2014, soit un taux de 2,4% par an, mais la taille moyenne des ménages a diminué, passant de 4,6 à 3,9 personnes à l’échelle nationale entre 2014 et 2024.

Cette tendance, qui concerne aussi bien le milieu urbain, où elle est passée de 4,2 à 3,7 personnes, que le milieu rural, où elle est tombée de 5,3 à 4,4, reflète une préférence croissante pour des foyers autonomes, déconnectés du modèle de cohabitation intergénérationnelle, autrefois courant.

«Plusieurs recensements ont montré que la famille biparentale, sur un seul foyer, est devenue la norme, même dans les campagnes, avec ce que l’on appelle une décohabitation intergénérationnelle», souligne Alioua.

Cette évolution vers des foyers plus restreints et autonomes incarne l’essor de nouvelles valeurs, centrées sur l’indépendance et l’épanouissement individuel avant la parentalité, portées par des mutations profondes (éducation, urbanisation, emploi salarié et accès à la contraception).

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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