Rapport de la Cour des comptes : des réformes au bord de l’essoufflement ?
La Cour des comptes dévoile un rapport sans concession sur la gestion des finances et des ressources stratégiques au Maroc. Entre résilience économique et retards structurels, le document appelle à des réformes urgentes.
Le temps presse ! C’est ainsi que la Cour des comptes résume l’urgence dégagée par son rapport annuel 2023-2024, qui fait office à la fois d’état des lieux et de feuille de route pour le Maroc. S’il souligne des avancées dans la gestion budgétaire et la mise en œuvre des grandes réformes, il met également en garde contre l’essoufflement des efforts dans des secteurs stratégiques comme l’eau, l’administration et l’investissement.
Le rapport, publié dans un contexte complexe marqué par des tensions économiques et géopolitiques mondiales, dépeint un Maroc en pleine résilience, mais confronté à des lacunes structurelles profondes. Alors que le pays continue de subir les conséquences de sécheresses répétées et de stress hydrique, le document met en lumière des progrès économiques notables.
«La croissance a atteint 3,4% en 2023, contre 1,5% en 2022», indique le rapport, tout en prévoyant une baisse à 2,8% en 2024. Cette dynamique positive ne masque pas les insuffisances.
La Cour insiste sur une mobilisation urgente des ressources pour garantir une trajectoire économique soutenable et transformer les ambitions en réalité tangible. Parmi les secteurs ciblés, certains montrent des failles profondes malgré des progrès notables
Croissance sous pression
Malgré des taux d’inflation encore élevés (6,7% en 2023 contre 8,7% en 2022, selon le rapport) et un ralentissement global de la croissance mondiale, le Maroc a su maintenir une relative stabilité. La baisse du déficit budgétaire, de 5,4% à 4,4% du PIB entre 2022 et 2023, illustre une gestion prudente.
Cependant, la dette du Trésor reste élevée, représentant 69,5% du PIB en 2023, un niveau jugé encore «préoccupant» par la Cour des comptes.
Toutefois, les recettes budgétaires ont augmenté de 7,4%, portées par la réforme fiscale et l’impact de l’inflation sur les recettes douanières. Cependant, leur dépendance aux aléas climatiques et sociaux souligne l’urgence d’une gestion plus robuste et proactive pour éviter un essoufflement, met en garde le document.
Investir sans impact
Le rapport consacre une analyse approfondie à la qualité des investissements publics, un enjeu central pour le développement économique. Bien que les dépenses d’investissement aient bondi de 18% entre 2022 et 2023, atteignant 110,8 milliards de dirhams (MMDH), leur efficacité reste entravée par de multiples facteurs.
La Cour évoque notamment des études préalables insuffisantes et une exécution souvent déficiente. Des études préalables peu fiables, voire inexistantes, expliquent l’imprécision dans la définition des besoins et leur prioritisation, souligne le rapport. Par exemple, le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (PNAEPI), censé atténuer la crise hydrique, accuse des retards inquiétants.
Alors que la capacité de stockage des barrages est passée à 20,7 milliards de mètres cubes en 2023, plusieurs projets accusent un retard significatif, compromettant les objectifs fixés pour 2027. Le rapport alerte également sur les retards accumulés dans des projets cruciaux comme le dessalement d’eau de mer. Le volume mobilisé reste largement en deçà des besoins, à peine 192 millions de mètres cubes par an en 2024, contre un objectif de 1,4 milliard d’ici 2027.
De plus, la réutilisation des eaux usées traitées stagne à 37 millions de mètres cubes, principalement dans les secteurs industriels et les espaces verts, faute d’un cadre juridique clair pour un usage agricole. «La crise hydrique met en évidence des lacunes persistantes dans la gouvernance et l’exécution des stratégies», avertit la Cour, appelant à une intégration plus cohérente des politiques sectorielles et à un renforcement des capacités de gestion.
Pour maximiser l’impact de ces investissements, la Cour préconise une planification renforcée, un suivi rigoureux et une évaluation continue. Cette recommandation fait écho à d’autres lacunes structurelles, notamment dans la gestion des ressources stratégiques.
Le secteur énergétique sous tension
Le secteur énergétique, bien qu’ayant enregistré des avancées notables grâce à la Stratégie énergétique nationale (SEN), demeure confronté à des défis majeurs qui freinent son développement. La Cour des comptes souligne que les objectifs de réduction de la dépendance énergétique et d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix national restent limités par des retards dans la mise en œuvre des projets stratégiques.
L’intégration des énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire et éolienne, bute sur des contraintes structurelles. Les retards observés dans le développement des infrastructures de transport et de stockage d’électricité affectent la capacité du réseau national à absorber la production renouvelable, particulièrement dans les zones à fort potentiel énergétique. Un autre point d’alerte concerne la planification et l’exécution des projets.
La Cour note que certains projets stratégiques, tels que les liaisons électriques pour le transport de l’énergie renouvelable entre le sud et les grandes zones de consommation, accusent des retards significatifs, ce qui «limite leur contribution à la satisfaction de la demande nationale et à l’amélioration de l’efficacité du réseau électrique».
Pour surmonter ces obstacles, la Cour recommande une meilleure coordination entre les différents acteurs du secteur et la mise en place d’un cadre législatif plus incitatif pour accélérer les investissements dans les infrastructures énergétiques. Elle insiste sur la nécessité de mobiliser des ressources financières supplémentaires pour garantir la viabilité des projets prioritaires, tout en assurant une gouvernance rigoureuse.
Un système social à réformer
La réforme de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), lancée en 2022 pour atteindre une couverture universelle, continue de faire face à des défis structurels majeurs. Selon le rapport de la Cour des comptes, bien que la couverture ait atteint près de 70% de la population, les efforts en matière d’inclusion des travailleurs du secteur informel et des populations vulnérables restent insuffisants. Les problèmes de gestion des cotisations et de contrôle des opérateurs impliqués exacerbent ces limites.
La Cour insiste sur le fait que l’inefficacité des mécanismes de suivi et l’absence d’une digitalisation complète des systèmes de gestion alourdissent le fonctionnement de l’AMO. Ces lacunes compromettent non seulement la durabilité financière de la réforme, mais aussi son impact réel sur la réduction des inégalités d’accès aux soins.
Dans ce sens, la Cour recommande une refonte de la gouvernance de l’AMO. Elle propose d’instaurer des mécanismes de contrôle plus robustes et de renforcer la coordination entre les parties prenantes pour garantir une couverture équitable, notamment dans les zones rurales où les infrastructures sanitaires restent limitées. La digitalisation des systèmes de gestion des cotisations et des prestations est cruciale pour améliorer la transparence et l’efficacité du dispositif, ajoute le rapport.
Digitalisation, un catalyseur sous-exploité
Autre point majeur abordé par la Cour des comptes dans son rapport, la digitalisation des services publics, qui bien qu’en progression, reste encore limitée dans son impact réel sur l’efficacité administrative. Avec seulement 23% des services publics entièrement numérisés, les progrès réalisés sont jugés insuffisants pour répondre aux besoins des citoyens.
Cette lenteur, explique le rapport, est liée à des contraintes organisationnelles et législatives qui freinent l’adoption des solutions numériques à grande échelle. En conséquence, les citoyens, particulièrement dans les zones rurales, continuent de rencontrer des obstacles pour accéder aux services essentiels.
Ainsi, la Cour recommande «une approche intégrée», associant les ministères et les collectivités locales, pour harmoniser les initiatives numériques et garantir leur déploiement efficace. Ainsi, la digitalisation, malgré ses avancées timides, illustre un défi plus large auquel le Maroc fait face, transformer les ambitions en résultats concrets.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO