Protectionnisme mondial : le Maroc épargné, mais jusqu’à quand ?
Face à un protectionnisme grandissant, le fossé économique se creuse dangereusement, exacerbant la vulnérabilité des pays les plus pauvres. La baisse de l’aide internationale, couplée aux multiples restrictions commerciales, frappe durement ces économies. Fortement dépendant du commerce extérieur, le Maroc doit renforcer davantage son ouverture, tout en concentrant les attentions sur des piliers de l’économie tels l’emploi, l’éducation ou encore le climat des affaires.
Le recul de la mondialisation ne fait que creuser le fossé entre le Nord et le Sud. Le retour du protectionnisme corrélé à une baisse de l’aide internationale frappe les plus pauvres de la planète. Un constat soulevé par des spécialistes qui, par ailleurs, tirent la sonnette d’alarme quant aux incidences de ce mouvement qui remet en cause les principes ayant longtemps prévalu dans le commerce mondial. Ce protectionnisme peut en effet prendre diverses dimensions.
Pour Abdelaziz Ait Ali, économiste et responsable de département recherche économie au Policy Center for the New South, «il y a les tarifs dans leur sens classique, mais également des barrières non tarifaires qui sont parfois plus contraignantes, difficiles à cerner et imposées à la discrétion des pays importateurs sous plusieurs formes».
Cependant, l’expert estime qu’une nouvelle tendance commence à émerger. «Il s’agit du recours intensif aux subventions par différentes nations afin d’orienter et soutenir leur tissu économique».
Ces subventions, au sens large, ont parfois des effets plus distorsifs sur le commerce et font souvent l’objet de plaintes par différents pays à l’échelle mondiale. Le recours accru à ces instruments a déclenché un effet boule de neige. Ce phénomène est désormais imprégné de géopolitique, au point que 20% des objectifs annoncés des politiques industrielles des pays s’orientent vers cette direction.
Incidences
Toutes ces orientations peuvent-elles représenter une menace pour le Maroc qui demeure dépendant des échanges extérieurs et des investissements directs étrangers ? À ce sujet, les avis convergent. Selon Omar Kettani, économiste et professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, «l’impact est «indéniable». Le Maroc n’est pas préparé au choc engendré par ce protectionnisme».
Sur quasiment la même lignée, Abdelaziz Ait Ali estime que «ces évolutions ne seraient pas sans impact. Cependant, nous sommes une nation qui croit en l’ouverture économique, une philosophie intégrée à notre politique économique. Notre ouverture commerciale a d’ailleurs, pour la première fois, dépassé la barre des 100% en 2022, témoignant de l’importance du commerce. En outre, en tant que petite économie, le Maroc doit rechercher des débouchés internationaux pour ses produits et ne peut atteindre ses aspirations qu’en renforçant son ouverture commerciale et son intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Toute entrave au commerce pourrait donc nuire au bon fonctionnement de l’économie marocaine. Cela dit, le Maroc est loin de subir des effets négatifs significatifs».
L’essentiel du commerce du pays se concentre autour de l’Union européenne, qui ne pourrait pas, du jour au lendemain, revoir ses tarifs ou imposer de nouvelles barrières au commerce sans affecter la position de l’économie marocaine sur ce marché». Les accords de libre-échange dont le pays dispose s’avèrent dans ces conditions un choix judicieux. De plus, les échanges avec des économies émergentes comme le Brésil et l’Inde confirme la position et l’expertise du Maroc dans certains domaines, notamment les phosphates et dérivés. Dans le même sillage, le Maroc s’efforce de diversifier ses partenaires commerciaux au-delà de ses partenaires traditionnels et l’Asie émergente est devenue une nouvelle locomotive de la croissance mondiale, attisant l’intérêt des exportateurs marocains dans divers secteurs.
Néanmoins, Ait Ali indique que la montée du protectionnisme pourrait ainsi remettre en question l’ampleur de la stratégie de diversification, tout en renforçant potentiellement l’ancrage commercial avec les partenaires traditionnels.
«Si ce recours accru au protectionnisme n’agit pas directement sur l’économie marocaine, les effets indirects finiraient par se matérialiser, en altérant le climat des affaires à l’échelle mondiale et en instaurant davantage d’incertitude, ce qui nuit aux investisseurs internationaux en quête de stabilité et de prévisibilité».
Selon Omar Kettani, pour se prémunir contre ce phénomène, il est primordial d’agir sur l’autosuffisance et la compétitivité des prix.
«Le Maroc a la capacité de subvenir à ces besoins. En termes de compétitivité, on ne peut améliorer les conditions de la main-d’œuvre sans augmenter les salaires. La meilleure façon pour maintenir ces prix compétitifs est d’améliorer la couverture sociale. Or, la privatisation de secteurs tels que la santé et l’éducation est une aberration. C’est une manière de sacrifier le social au profit du capitalisme qui n’a pas d’état d’âme. Il est temps de reconsidérer certaines stratégies», déplore-t-il.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO