Maroc

Programme Tayssir : pas si facile pour les ayants droit d’en bénéficier !

L’abandon scolaire frappe une proportion massive des enfants scolarisés au Maroc, en premier lieu ceux issus des familles pauvres, surtout en milieu rural, et plus particulièrement les filles. Que nous révèle la dernière évaluation de son impact social ? 

Attention aux lacunes et conséquences possibles de la négligence de la scolarisation des enfants issus de ménages en situation de vulnérabilité et de pauvreté extrême. En effet, la situation mérite d’être traitée avec beaucoup d’attention, d’autant plus que le dispositif de ciblage des ayants droit aux programmes sociaux, notamment Tayssir, en exclut certains alors que d’autres, censés ne pas en bénéficier, sont servis.

Pourtant, pour améliorer les performances de ciblage de ce programme, initialement basé sur des critères géographiques, le processus d’identification et de ciblage a été axé, en 2018, sur la détention de la carte RAMED. Toutefois, les risques d’exclusion restent non négligeables. Les lacunes du système de ciblage sont confirmées par l’enquête menée dans le cadre de l’étude d’impact social que vient de publier le ministère de l’Économie et des finances.

Le constat est, qu’en dépit du fait qu’ils aient déjà été identifiés par les évaluations précédentes, beaucoup de ménages pauvres, voire très pauvres des communes non ciblées, sont exclus des bénéficiaires du Programme alors que d’autre, mieux nantis, en bénéficient.

Risques inhérents au mode de ciblage
Plusieurs chefs d’établissement bénéficiaires du programme Tayssir, interrogés dans le cadre de cette enquête, affirment que des élèves de leurs établissements -dont ils ont eu l’occasion de constater la pauvreté sur la base de leur observation personnelle ainsi que celle de leurs familles- ne bénéficient pas du Programme. Tandis que, d’autres enfants, moins pauvres, en bénéficient.

Souvent, les raisons principales qui expliquent cette situation sont liées au fait qu’ils ne disposent pas d’une carte RAMED en cours de validité, malgré leur vulnérabilité. Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’il est possible de ne pas disposer d’une carte RAMED même si on est très pauvre.

Pour ce faire, il faut, en effet, avoir son nom inscrit sur le registre de la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS), ne serait-ce que pour une courte période. La conséquence, pour plusieurs familles qui ont vécu cette situation, est qu’elles se trouvent, aujourd’hui, sans couverture sociale ni par la CNSS ni par le programme RAMED.

Les explications peuvent être liées aussi aux difficultés de renouvellement de la carte RAMED, soit en raison du décès de l’un des parents, soit à cause de la procédure de renouvellement compliquée par la pandémie de Covid-19. Autre raison possible : le laisser-aller de certains parents, dû parfois à leur analphabétisme et à leur ignorance de cette procédure. Ainsi, plusieurs familles ne parviennent pas à bénéficier du programme RAMED, car elles n’ont pas pu soumettre à temps l’un des papiers administratifs prouvant leur précarité, et ont donc raté la date butoir de l’inscription au Programme.

En effet, la non-prise en charge des ménages par ce Programme est due le plus souvent au fait qu’ils ne disposent pas de cartes RAMED en cours de validité. Or, c’est leur vulnérabilité même, due à des facteurs comme la pauvreté, l’analphabétisme, l’emplacement géographique enclavé ou la méconnaissance des procédures administratives, qui explique l’incapacité de nombre de ménages à établir ou à renouveler leur carte.

L’expérience de la mise en œuvre de l’aide d’urgence en faveur des populations vulnérables affectées par les impacts de la crise résultant de la pandémie du Covid-19 a mis en évidence les limites de la fiabilité de la carte RAMED pour l’identification des populations cibles du programme d’aide d’urgence. Le nombre de recours, en particulier ceux ayant été acceptés, est un indicateur de ces limites.

Bénéficier du programme Tayssir ne protège pas de l’abandon !
Un autre risque est que le fait de bénéficier du programme Tayssir ne protège pas de l’abandon à cause de l’effet inhibiteur des facteurs de vulnérabilité. L’analyse des données recueillies auprès des acteurs du programme, parents d’élèves et responsables du ministère de l’Éducation nationale, permet de jeter un éclairage qualitatif sur le niveau de l’impact du programme sur les élèves les plus pauvres et les plus vulnérables.

Cette analyse suggère que les transferts monétaires du programme Tayssir ne sont pas toujours suffisants pour protéger les enfants du risque d’abandon scolaire. Les facteurs les plus susceptibles de limiter son impact positif concernent l’accessibilité physique à l’école, d’un côté, et les caractéristiques du milieu familial de l’autre.

Les élèves du milieu rural, dont les logements familiaux se situent loin de l’école et qui ne bénéficient pas de transport scolaire, sont les plus exposés aux risques d’absentéisme liés aux intempéries. On peut citer aussi l’engagement dans les travaux agricoles familiaux pendant la saison des moissons et les jours des marchés hebdomadaires.

Par contre, lorsque leurs logements sont proches de l’école ou lorsqu’ils bénéficient d’un transport scolaire, ces risques diminuent significativement.

Une note positive : le nombre de bénéficiaires progresse !
Sur le plan quantitatif, en 2008-2009, année de son lancement, le Programme a profité à 87.795 élèves appartenant à 47.052 ménages. Deux ans plus tard, en 2010-2011 à l’issue des deux années expérimentales, le Programme a profité à 609.000 enfants appartenant à 363.132 ménages.

En 2017-2018, dernière année de la première phase du programme utilisant le ciblage géographique, le nombre de bénéficiaires s’élevait à 709.038 (440.472 ménages). En 2018-2019, année de l’élargissement du Programme, le nombre de bénéficiaires a atteint 1.917. 855 élèves dont 47% de filles et 1.493.262 ménages.

Enfin, en 2020-2021, le nombre d’élèves bénéficiaires s’est élevé à 2.467.123 et le nombre de ménages concernés à 1.546.651.

Impacts positifs sur la scolarité des enfants


Sur le plan qualitatif, les différentes évaluations effectuées montrent, chiffres à l’appui, que le Programme a réduit considérablement le taux d’abandon scolaire chez les élèves et plus particulièrement chez les filles (réduction du taux d’abandon scolaire de 92,5%, selon l’évaluation d’impact des programmes d’appui social à la scolarisation-ONDH 2018).

Ces résultats quantitatifs sont confirmés qualitativement par les témoignages d’une bonne partie des chefs de ménages ainsi que des directeurs d’écoles, qui mettent en évidence l’impact du Programme sur l’assiduité des élèves bénéficiaires et, dans une certaine mesure, sur leurs performances scolaires. Cependant, le taux d’abandon reste encore important, en particulier chez les filles scolarisées au primaire en milieu rural.

Impact économique sur les ressources de la famille
En plus du soutien aux besoins de l’enfant scolarisé (fournitures scolaires, habits, nourriture…), les transferts de Tayssir constituent aussi un appui aux ménages pour faire face aux coûts de leurs besoins de première nécessité. Mais les résultats de l’enquête qualitative suggèrent que les montants des transferts sont limités, ce qui explique l’impact qui demeure relatif. De plus, le montant des transferts monétaires du programme Tayssir représente uniquement 8 à 14 % de la consommation moyenne des ménages du quintile le plus pauvre, ce qui concorde avec les perceptions de certains ménages interviewés.

De LA constance  et DE L’évolutiON 

Il est à noter que les études ayant été effectuées à différentes étapes de l’avancement du programme ont permis d’avoir des constats à la fois constants et évolutifs. Parmi les principales limites évoquées, l’exclusion de bénéficiaires dans le besoin ou l’intégration de personnes non nécessiteuses. Cette observation se retrouve dans les différentes études malgré le changement de la formule de calcul.

Autre constat commun, le manque d’implication des parents en tant que facteur clé pour l’amélioration des résultats scolaires et la réduction du taux de redoublement et de déperdition. Il a été confirmé que la période de la mise en place du programme Tayssir est accompagnée par de réelles améliorations au niveau du décrochage scolaire et de la réintégration.

Des études ont mis en exergue le fait que le programme a réussi à augmenter la fréquentation scolaire de 5,06 points de pourcentage. Le taux de travail des enfants baisse également dans les régions ciblées. Malheureusement, les études ne démontrent pas clairement si d’autres facteurs entrent en jeu, l’effet causal n’étant pas clairement établi.

Certaines vont même jusqu’à présenter le montant des allocations par enfant comme étant faible et ne permettant pas d’atteindre une amélioration notable. Il a été aussi révélé que malgré les efforts engagés en matière de scolarisation, les taux de déperdition et de redoublement sont toujours élevés, chez les bénéficiaires comme chez les non bénéficiaires du programme Tayssir.

Concernant les contraintes liées à la mise en œuvre, les études s’accordent sur l’impact néfaste des retards de déboursement des bourses sur l’efficacité du programme. Enfin, il est intéressant de relever la relation entre le transfert monétaire et l’utilisation au profit de l’éducation des bénéficiaires, avec une légère amélioration, considérée comme non significative, qui a été observée sur un échantillon réduit.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO



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