Primes territoriales à l’investissement : une stratégie économique à double tranchant
Le Mexique, l’État de New York, l’État du Kansas sont, entre autres, autant de territoires qui ont misé sur les primes territoriales. Ont-ils rencontré du succès ou ont-ils été déçus ? Les primes territoriales à l’investissement sont un levier important pour encourager l’investissement et le développement économique régional, mais elles ont également un certain nombre de limites. Quels sont-elles ? Zoom.
Ne dit-on pas qu’un bon projet peut être ruiné par une mauvaise planification et des mauvaises décisions ? On dit aussi que «la médiocrité est le résultat de la précipitation et de l’inattention». Maintenant que l’arrêté du Chef du gouvernement, définissant la liste des 60 préfectures et provinces donnant accès aux primes territoriales à l’investissement, est connu et publié au Bulletin officiel, il va falloir un bon encadrement de la stratégie économique des primes territoriales, d’où l’intérêt d’une bonne planification. En effet, le succès d’un tel projet dépend davantage de la préparation et de l’organisation que des capacités techniques.
«D’autant plus que l’utilisation de deniers publics est en jeu», souligne l’économiste Marouane Hatim.
Partant de l’idée de promouvoir le développement régional sur la base de critères objectifs qui respectent les spécificités régionales, l’arrêté du Chef du gouvernement, définissant les listes des préfectures et provinces dans les deux catégories permettant de bénéficier de primes territoriales à l’investissement équivalentes à 10% ou 15%, a été publié au Bulletin officiel.
Dans le détail, ce sont deux listes de provinces et préfectures qui ont été établies : une première liste dénommée catégorie A, comprenant 36 provinces, dont Larache, M’diq-Fnideq, Ouazzane, Tétouan, Chefchaouen, Nador, Berkane, Sefrou, Ifrane, Sidi Slimane, Sidi Kacem et Salé. Laquelle catégorie permet au porteur de projet d’être éligible à la prime territoriale à l’investissement de 10%. La deuxième catégorie, appelée «B», regroupe 24 autres provinces et préfectures éligibles à une prime territoriale à l’investissement de 15%, notamment, Al Hoceima, Taourirt, Driouech, Jerada, Guercif, Oujda-Angad, Figuig, Moulay Yacoub… Sachant que le Maroc compte 75 provinces, la quinzaine de provinces restantes ne sont pas éligibles à la prime territoriale, parce que ne figurant ni dans la catégorie A (prime de 10%) ni dans la catégorie B (prime de 15%).
Cette quinzaine de provinces et préfectures comprend, entre autres, Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir-Ida-Outanane, Tanger-Assilah, Mohammedia, Kénitra, El Jadida, Settat, et Berrechid. Tous ces territoires ne bénéficient pas de l’incitation territoriale, et à dessein.
Ces villes sont généralement considérées comme les principales zones économiques du Maroc et ne sont donc pas considérées comme des régions moins développées. En d’autres termes, la décision de ne pas inclure ces 15 provinces dans les listes A et B n’est pas une discrimination ou une exclusion délibérée, mais plutôt une stratégie économique visant à cibler les régions qui ont le plus besoin d’investissements et de développement économique. Contacté par Les Inspirations Éco, Hicham Echattabi, enseignant chercheur, spécialiste en Marketing territorial, data science, innovation et développement, nous donne son point de vue sur le sujet : «Certes, les incitations financières sont importantes pour certains investisseurs et entreprises à certains moments, mais le plus crucial est de co-construire une offre territoriale spécifique et intégrée qui crée une valeur et cela dans le temps. Il convient de souligner que l’offre territoriale destinée à attirer et surtout à garder la cible doit se distinguer des autres territoires afin de favoriser l’ancrage territorial du territoire en question. Cette offre est généralement spécifique, également appelée ressource territoriale, contrairement aux incitations financières appelée offre générique – qui entraînent des surenchères favorisant le nomadisme des entreprises».
Effets pervers et limites
Les primes territoriales à l’investissement sont des incitations financières accordées aux entreprises pour encourager l’investissement dans des zones spécifiques. Dans de nombreux pays, elles ont été utilisées comme un levier important pour attirer les investisseurs et stimuler la croissance économique dans des zones moins développées ou en difficulté. Elles sont également un moyen de réduire les disparités économiques et sociales entre les différentes régions d’un même pays. En outre, elles peuvent aider à améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant les coûts d’investissement. Le Maroc, en instaurant des primes territoriales à l’investissement, dans 60 de ses provinces et préfectures, cherche à améliorer l’attractivité de ces zones et à encourager l’investissement privé. Mais face à tant d’attentes, l’on est en droit de se demander si elles peuvent réellement améliorer leur attractivité et réduire les disparités territoriales de manière durable dans les régions les plus défavorisées ? Il faut dire que les attentes placées en une telle stratégie économique sont grandes. Les primes territoriales peuvent être un outil efficace pour stimuler le développement économique régional, mais elles présentent un certain nombre de limites. D’où l’intérêt pour les gouvernements de concevoir des primes bien ciblées, durables et efficaces pour éviter les effets négatifs sur les budgets publics et l’économie régionale. En effet, il existe des limites à leur efficacité. Sous d’autres cieux, l’on a également vu leurs effets pervers. Voici quelques-unes des principales limites des primes territoriales que nous avons pu relever.
Une stratégie qui peut, in fine, s’avérer coûteuse
Les primes territoriales sont souvent financées par les budgets publics, ce qui peut être coûteux pour les gouvernements. En outre, si les primes territoriales sont mal conçues, elles peuvent être utilisées de manière inefficace et ne pas atteindre leur objectif initial ou encore conduire à une utilisation inefficace des ressources publiques, car les gouvernements peuvent être incités à dépenser des sommes importantes pour attirer des entreprises, plutôt que d’investir dans des projets de développement économique plus durables et plus largement bénéfiques pour la population. «Pour moi, au niveau de l’attractivité économique, il faut distinguer entre les facteurs modernes et classiques mais surtout de distinguer les facteurs d’attractivité et ceux de territorialisation. Les investisseurs sont attirés par les avantages compétitifs qu’offre un territoire, mais pour que leur implantation soit pérenne, il est également important que le territoire dispose d’une organisation cohérente et d’un environnement propice à leur développement, de politiques publiques sectorielles multiples, menées à différents niveaux… Bref, des «conditions-cadres» offertes aux entreprises», explique Hicham Echattabi.
Une stratégie qui peut s’avérer inefficace
Les primes territoriales peuvent ne pas être suffisamment incitatives pour encourager les entreprises à s’installer ou à investir dans les régions les moins développées. En effet, les entreprises peuvent être attirées par d’autres facteurs, tels que les coûts de production et l’accès aux marchés, plutôt que par les primes territoriales.
Pas assez ciblées
Les primes territoriales peuvent être versées à toutes les entreprises d’une région, même si elles ne sont pas nécessaires pour encourager le développement économique dans cette région. Cela peut entraîner un gaspillage des ressources et une dilution de leur effet sur les territoires.
Une stratégie souvent temporaire
Les primes territoriales sont souvent temporaires et ne durent que quelques années. Les entreprises peuvent s’installer dans une région pour bénéficier de ces primes; Mais une fois qu’elles expirent, les entreprises peuvent décider de quitter la région; ce qui annule les avantages économiques initiaux. De plus, les primes territoriales peuvent inciter les entreprises à se déplacer d’une région à l’autre pour obtenir des avantages financiers, plutôt que d’investir dans leur croissance à long terme. Cela peut créer une instabilité économique à long terme dans les régions, ainsi qu’une compétition malsaine entre les régions pour attirer les entreprises. Un exemple de cet effet pervers est celui du Mexique, où les primes territoriales ont été utilisées pour encourager les entreprises à s’installer dans des zones économiquement défavorisées. Cependant, cela a entraîné des mouvements d’entreprises d’une région à l’autre à la recherche de primes plus importantes, plutôt que d’investir dans des projets de développement à long terme.
Une stratégie qui exacerbe la concurrence entre les régions
Les primes territoriales peuvent encourager les régions à se concurrencer entre elles pour attirer les entreprises. Cela peut entraîner une surenchère des primes territoriales et des investissements économiques mal ciblés. Dans de nombreux cas, les primes territoriales ont encouragé les gouvernements à se livrer à une course aux subventions, en offrant des avantages, fiscaux entre autres, pour attirer les entreprises dans leur région. Cela a créé une concurrence malsaine entre les régions, qui peuvent être amenées à surenchérir pour attirer les entreprises. L’exemple éloquent est celui de l’État américain du Kansas, qui a offert des avantages fiscaux importants à la société Boeing pour qu’elle y installe une usine. Cependant, lorsque Boeing a décidé de délocaliser la production en 2014, l’État a subi une perte importante de revenus fiscaux. «Ce genre de politiques peut être dans certains cas une source de distorsion de concurrence. Les primes territoriales à l’investissement non généralisées peuvent fausser la concurrence entre les entreprises en favorisant certaines entreprises au détriment d’autres. Les entreprises établies dans les zones non couvertes par les primes pourraient être désavantagées par rapport aux entreprises installées dans les zones bénéficiant de primes», explique Hicham Echattabi.
Hicham Echattabi
Spécialiste en marketing territorial et attractivité d’investissement
«Pour moi, dans de nombreux pays, je vois que les territoires sont soumis à une logique de banalisation de l’offre (offre territoriale = tout ce que l’on peut offrir pour améliorer l’attractivité). En effet, face aux enjeux territoriaux, aux compétitions interterritoriales et au déclin industriel, ce sont souvent les mêmes réponses qui ont été recherchées. En ce qui concerne l’attractivité territoriale en général, et l’attractivité d’investissement en particulier, le véritable travail doit s’inscrire dans la durée, au sein d’une stratégie territoriale telle que le marketing territorial. Ce marketing vise à attirer les investisseurs et les entreprises, mais surtout à les retenir et à les aider à se développer en leur offrant la valeur qui va au-delà des incitations financières».
Distorsions dans les marchés du travail
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO