Maroc

Partage des biens entre époux : pourquoi faut-il amender la loi ?

Peu de couples recourent à la conclusion d’un contrat de partage de biens acquis durant le mariage, comme en attestent les chiffres. En 2019, le pourcentage des accords conclus ne dépasse pas 0,25 % de l’ensemble des actes de mariages contractés. L’amendement de l’article 49 du Code de la famille s’impose pour préciser les notions de «fortune familiale» et de «travail domestique» en vue de mettre fin à l’injustice envers les femmes divorcées ou veuves.

Dix-sept ans après l’adoption du Code de la famille, certains réajustements s’imposent, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives au partage des biens après la dissolution des liens de mariage ou le décès du conjoint. L’article 49 de ce corpus a, certes, instauré le principe du partage des biens acquis durant le mariage, mais selon des conditions particulières. L’expérience démontre que la mise en œuvre de cette disposition n’a pas été à la hauteur des aspirations. Avocats, acteurs associatifs, magistrats, parlementaires, adouls… ils sont nombreux à plaider pour la révision de cet article. Ce constat a, d’ailleurs, dressé une énième fois, lors d’une rencontre organisée en fin de semaine dernière à la Chambre basse.

Pourquoi faut-il amender la législation en vigueur ?
L’article 49 du Code de la famille stipule que les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre. Toutefois, ces conjoints peuvent se mettre d’accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant leur mariage.

Selon cet article, cet accord fait l’objet d’un document distinct de l’acte de mariage. Les adouls doivent aviser les deux parties, lors de la conclusion du mariage, de ces dispositions. A défaut de cet accord, il est fait recours aux règles générales de preuve, tout en prenant en considération le travail de chacun des conjoints, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumées pour fructifier les biens de la famille. Théoriquement, ces dispositions sont jugées très favorables à la femme qui a pu arracher le principe du partage des biens entre époux. Or, dans la réalité, il n’en est rien.

Depuis 2004, peu de nouveaux mariés recourent au contrat de partage de biens acquis pendant le mariage. En 2015, sur plus de 301.000 actes de mariages, on note uniquement 611 contrats. En 2016, uniquement 123 couples ont recouru à cette disposition. Ce chiffre est de 538 en 2017 et 143 en 2018. En 2019, sur 275.477 actes de mariages, uniquement 699 ont été accompagnés d’un document de partage de biens, soit un taux de 0,25 % seulement. Cette situation s’explique par les freins culturels ainsi que le manque de sensibilisation autour des dispositions du partage des biens fructifiés pendant le mariage.

D’après les adouls, les nouveaux mariés et leurs familles sont souvent surpris par les dispositions de l’article 49 et sont, de ce fait, réticents de conclure le contrat de partage de biens qui est appréhendé de manière négative. La rumeur selon laquelle le Code de la famille a donné à la femme le droit d’avoir la moitié de la richesse de son conjoint au moment du divorce continue de déteindre sur cette mesure dans l’esprit des Marocains alors que, concrètement, il s’agit de la répartition des biens acquis pendant le mariage. En cas de la non conclusion d’un contrat, c’est à la femme divorcée ou veuve que revient la lourde tâche de prouver comment elle a contribué à la fructification de la « fortune familiale ». Jusque-là, selon les avocats et les acteurs associatifs, cet article n’a pas effectivement contribué à préserver les intérêts économiques des femmes en raison de l’exigence du recours aux règles générales de preuve. A cela, s’ajoute la non prise en considération du travail domestique assumé par l’épouse dans l’évaluation de sa contribution à la fructification des biens familiaux. A défaut d’un contrat, l’expérience démontre que les femmes n’arrivent pas à obtenir justice dans ce domaine.

A cet égard, Houria Tazi, présidente de la commission régionale du CNDH Rabat-Salé-Kénitra cite l’exemple d’une femme qui, après 40 ans de mariage et 10 enfants, s’est retrouvée du jour au lendemain sans ressources, la justice ne lui ayant pas reconnu ses efforts en tant qu’épouse et mère pendant quatre décennies. Il s’avère, ainsi, primordial selon les experts de prendre en considération le travail domestique des femmes en vue de les protéger de l’injustice dont elles pourraient être victimes.

Selon le Haut-commissariat au plan, la valorisation du temps domestique des femmes au Maroc (valeur monétaire correspondant au SMIG) porte la contribution des femmes au PIB élargi aux services domestiques non marchands à 39,7 %. Et en valorisant le travail domestique des femmes par la rémunération salariale moyenne par heure dégagée de la comptabilité nationale ( 22 DH/heure), la contribution des femmes marocaines au PIB élargi aux services domestiques non marchands est portée à 49,3 %. Pour mettre fin à l’injustice, la sensibilisation des citoyens s’avère primordial pour les inciter à conclure les contrats de partage de biens au moment de la conclusion des actes de mariage. Les juges sont aussi appelés à prendre en considération tous les paramètres des dossiers qui leur sont soumis, à simplifier la procédure relative aux preuves en vue de rendre des verdicts qui soient en harmonie avec l’esprit de l’article 49.

Par ailleurs, pour mettre fin aux interprétations et limiter le pouvoir discrétionnaire des juges, il est temps d’amender les dispositions juridiques actuelles en rendant le contrat de partage de biens obligatoire et en précisant les notions de la «fortune familiale» et du «travail domestique». Malgré les critiques, l’amendement de l’article 49 nécessite le lancement d’un débat national pour rapprocher les points de vue entre les différentes composantes de la société dont certaines sont très conservatrices. L’article 49, rappelons-le, figure parmi les points de discorde qui restent en suspens dans le cadre du plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme, qui avait créé des tensions au sein du gouvernement et qui n’a pas, en effet, permis de trouver une issue en ce qui concerne nombre de questions dont celle des partages des biens entre époux.

Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco


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