Médina de Casablanca : Les malheurs d’un circuit touristique
La médina de Casablanca abrite des siècles d’histoire. Un circuit touristique a été aménagé, il y a quelques années, afin de faire découvrir aux visiteurs ce riche patrimoine. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Des sites à l’abandon : saleté et insécurité règnent en maîtres des lieux. Au grand dam des opérateurs touristiques qui estiment que si rien n’est fait, ce sera une perte de 300 millions de DH. C’est ce qu’a coûté, en effet, le programme de réhabilitation de la médina.
Le programme de réhabilitation et de mise à niveau de l’ancienne médina de Casablanca est touristique par excellence. Bien qu’il ne comporte, en principe, qu’un seul projet à vocation purement touristique, à savoir l’aménagement des circuits piétons, toutes les composantes de ce programme concourent à améliorer l’attractivité de cette cité millénaire. Et qui dit attractivité, dit tourisme. En arpentant les ruelles le long des circuits touristiques, principal et alternatif, et en faisant le tour des remparts, on constate effectivement l’ampleur de la métamorphose extraordinaire qu’a subie cette médina, probablement plus ancienne que celle de Fès ou de Marrakech. Or, les résultats escomptés de cet accomplissement risquent de s’évaporer à cause du manque de sécurité et d’hygiène. Ces derniers, selon les professionnels du tourisme, font tache dans ce programme d’envergure qui a coûté plus de 300 millions de dirhams.
Sécurité, ce grand manquement !
Les opérateurs situés au bord du circuit touristique principal, long de 2,7 kilomètres, sont unanimes : le tourisme dans la médina est menacé par le manque de sécurité. À la place Ahmed El Bidaoui, contiguë à Bab El Marsa, rénovée également dans le cadre du même programme, le gérant de l’hôtel Central est amer. «Après l’aménagement, la place est devenue piétonne. Elle est devenue ainsi inaccessible aux patrouilles de police. Ceci a eu un effet néfaste sur la sécurité. Récemment, la voiture d’un de nos clients a été saccagée», déclare le gérant de cet hôtel, dont le registre de commerce indique un début d’activité datant du début du siècle dernier. Devant l’hôtel, les potelets métalliques, censés transformer la place en zone piétonne, ont été cassés par les riverains. Sans commentaire. Les clients, quant à eux, déplorent le manque d’indication, comme ce touriste français, de passage à Casablanca, ou cette jeune touriste américaine solitaire, qui, de surcroît, a été harcelée à maintes reprises. Cela est une autre histoire. Concernant les indications, seule une plaque de signalisation dans tout le circuit alternatif est visible. Le restaurant Bab El Marsa, situé à une vingtaine de mètres de la porte éponyme, à peine, subit également le même problème. Le gérant doit par conséquent assurer, carrément, une escorte à ses clients pour les protéger d’une agression éventuelle au cours de cette courte distance. «C’est un problème très grave. L’aménagement du circuit touristique ne nous a pas profité comme il le fallait à cause de l’insécurité», martèle Adil Kebbaj, ledit gérant. Le même constat est fait par le responsable de l’Auberge internationale des jeunes, située au milieu de la place. «Il n’y a pas eu de changement après la mise en place du circuit à cause du même problème. Dans cette situation, nous sommes incapables de faire le lien avec les autres sites de la ville», souligne le gérant de l’auberge, qui fait partie d’un réseau international réputé.
Quelques exceptions !
Ce lien avec les autres sites touristiques de la capitale économique, Squala arrive très bien à le faire. Ce restaurant, qui bénéficie de la teneur historique du bastion marin construit par le sultan Mohamed Ibn Abdellah au XVIIIe siècle, est souvent visité tout de suite après la Mosquée Hassan II. Souvent cité comme deuxième endroit le plus fréquenté par les touristes après la Mosquée Hassan II, Squala ne semble pas affecté par la psychose ambiante. «Le changement est positif sans aucun doute. En cinq ans, nous n’avons eu aucune réclamation de nos clients à ce propos. Il faut souligner que nous disposons de notre propre service de gardiennage et que nous orientons aussi nos clients en ce qui concerne les visites guidées à la médina», précise Ahmed El Azhari, directeur d’exploitation du restaurant. Les propos du responsable sont-ils à prendre avec des pincettes ? En tout cas, l’accès à Squala peut se faire directement par le parking situé sur le boulevard Mohamed Ben Abdellah ; un détail qui peut changer la donne.
La propreté, l’autre défi !
Comparée aux autres anciennes villes du Maroc, comme celles de Marrakech ou Fès, la médina de Casablanca est plus petite mais, d’un point de vue touristique, ce n’est pas un inconvénient. Ce qui semble déranger les professionnels, outre la sécurité, est l’hygiène. À proximité de la place Sidi Bousmara, le constat est affligeant : un grand amas de poubelles posées à même le sol. À l’entrée de Bab Marrakech, c’est une décharge à ciel ouvert qui attend les passants. Selon Adbelhadi El Ghali, président de l’Association régionale des guides et accompagnateurs de tourisme de Casablanca, l’hygiène est le problème le plus grave à la médina de Casablanca. «Certains passages du circuit touristique sont très sales. Il faut s’atteler à régler ce problème», souligne-t-il. Pour ce guide professionnel, la médina dispose de plusieurs sites qui peuvent être mieux valorisés si les artères sont propres. Sans aucun doute. En dehors des circuits principal et alternatif, il existe plusieurs circuits au sein de l’ancienne médina, notamment ceux établis par l’association Casamémoire. Après la rénovation des sites comme le Mausolée de Sidi Allal El Karouani, de la Synagogue Ettedgui et de plusieurs mosquées et de zaouïas, une offre touristique culturelle, basée sur le thème de la coexistence, peut être mise en avant. Ces atouts, disent les spécialistes, sont capables d’hisser la médina de Casablanca au rang des grandes destinations touristiques, tout en s’adaptant avec le positionnement stratégique touristique de la ville.
Surpopulation et densité
Autre spécificité, autre point de vue, plus global cette fois. En effet, pour Rachid Andaloussi, président de Casamémoire, le problème est ailleurs. «L’origine de tous les maux de la ville est la surpopulation. Compte tenu de la densité de la médina, elle s’est transformée en un cadre de vie insalubre, d’où les problèmes qu’elle vit actuellement», a-t-il souligné. En effet, la pression démographique où pataugent les habitants de la médina est la source de l’anarchie régnante. Cette pression est d’autant plus exacerbée par les conditions de vie dans plusieurs quartiers, dont certains portent encore les traces de drames humains. Or, nul ne peut nier qu’un changement colossal, pour le meilleur, a été réalisé. Ce constat, Selon Andaloussi, est la base qu’il faut consolider. «Un travail énorme a été fait, notamment dans le domaine des infrastructures. Ce travail n’est pas visible mais il est essentiel. Maintenant, il faut encourager l’investissement pour que la médina se développe de manière générale. C’est une chance qu’on doit saisir mais le plus important est la nécessité d’alléger la médina afin d’installer un écosystème viable, sur tous les volets», souligne l’architecte. À bon entendeur.