Le projet de loi-cadre est passé en commission sur fond de division entre les composantes de la majorité. Deux députés du PJD de la Commission de l’enseignement ont rejeté les deux articles sur la langue d’enseignement et ont même voté contre le texte dans son ensemble alors que les autres ont marqué leur abstention sur les dispositions controversées. L’Istiqlal a opté pour l’abstention.
Le consensus escompté entre les composantes de la majorité sur la langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques n’a pas, finalement, eu lieu en dépit des réunions marathon des chefs des groupes parlementaires et de la sous-commission qui était chargée d’introduire les amendements sur le très attendu projet de loi-cadre sur le système d’éducation et de formation. Après plusieurs semaines d’arrêt, les députés de la Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication ont été convoqués à une réunion qui a été tenue hier pour faire passer le texte en vue de l’adopter en plénière avant la clôture de la session printanière qui tire vers sa fin. Cette convocation est intervenue au lendemain du discours du président du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique Omar Azziman qui a pointé du doigt, le 10 juillet, «les vents contraires et les résistances adverses, ouvertes ou masquées» auxquels se heurte la réforme du système éducatif.
Nombreuses résistances
Les composantes de la majorité à la Chambre basse n’ont pas réussi à accorder leurs violons pour jouer la même partition sur un projet de loi on ne peut plus stratégique pour le Maroc. Les députés du PJD campent sur leur position et continuent de rejeter la définition de l’alternance linguistique qui a été retenue dans la version «consensuelle» du texte. L’article 2 du projet de loi cadre définit l’alternance linguistique comme étant «une approche pédagogique et un choix éducatif progressif investissant dans l’enseignement plurilinguistique en vue de diversifier les langues d’enseignement à côté des deux langues officielles de l’État et ceci en enseignant certaines matières, surtout scientifiques et techniques ou certains contenus ou modules de certaines matières en langues étrangères».
Les députés du parti de la lampe, rappelons-le, estiment qu’il faut plutôt opter pour la définition de la vision stratégique 2015/2030 (voir encadré). Ils n’ont jamais voulu céder au bras de fer des autres composantes de la majorité. Deux d’entre eux (Al Moukrie Abou Zayd et Mohamed El Othmani) ont carrément rejeté les articles 2 et 31 qui font référence à l’alternance linguistique alors que les autres députés du PJD se sont abstenus. Un coup dur pour la cohésion de la coalition gouvernementale qui bat de l’aile depuis sa composition ! Quant aux députés de l’Istiqlal, ils ont aussi marqué leur abstention sur les deux articles en question. Les parlementaires du PI estiment que la mise en oeuvre de l’enseignement des matières scientifiques et techniques en langues étrangères devra être progressive pour, entre autres, pouvoir former les enseignants et préparer les élèves alors que la version «consensuelle» n’impose aucun délai à l’implémentation de ces dispositions. Après plusieurs reports de la réunion de la Commission de l’enseignement, le texte a été finalement voté en commission par 25 voix pour (PJD, PAM, RNI, MP, USFP, UC, PPS), deux voix contre (PJD) et 3 abstentions (Istiqlal). Ce vote fait ressortir non seulement la division de la majorité mais aussi celle du PJD dont des députés ne se conforment pas, pour la première fois, aux consignes du parti. On s’attend à des mesures disciplinaires des instances décisionnelles du parti de la lampe contre les parlementaires récalcitrants.
D’ailleurs, Al Moukrie Abou Zayd se dit ouvert à toute éventuelle sanction qui serait prononcée contre lui par son parti. En séance plénière, le nombre des rejets des dispositions ayant trait à la langue d’enseignement risque d’être très grand. En commission, les députés qui ont approuvé les deux articles sur la langue d’enseignement ont été minoritaires par rapport à ceux qui se sont abstenus ou les ont rejetés. Ces deux articles ont en effet voté par 12 voix pour, 2 contre et 16 abstentions (PJD et Istiqlal). Après l’adoption du texte en plénière par les députés, il sera transféré à la Chambre des conseillers où l’on s’attend à des débats animés. Les parlementaires de l’opposition surtout ceux relevant des syndicats ne comptent pas lâcher du lest sur nombre de dispositions. Sur le volet du financement du secteur, les députés ont été unanimes à insister sur le rôle de l’État dans la garantie de la gratuité de l’enseignement dans tous les cycles et sa responsabilité dans la mobilisation et la garantie de tous les moyens possibles pour faciliter l’accès de manière équitable à l’éducation et la formation pour tous les citoyens. La disposition qui stipulait le paiement par les familles aisées des frais d’enregistrement de la scolarité de leurs enfants a été supprimée. Un délai de trois ans a été arrêté pour que le gouvernement prépare les textes législatifs et réglementaires pour la mise en oeuvre de la loi-cadre. La mouture originale ne fixait aucune date pour l’implémentation du texte.
L’alternance linguistique : Ce que prône la vision stratégique
Les députés du PJD plaident pour l’instauration de l’alternance linguistique comme le prône la vision stratégique de l’enseignement 2015/2030. Laquelle, rappelons-le, considère la langue arabe en tant que langue obligatoire enseignée et langue d’enseignement à tous les niveaux des cycles scolaires. Le Conseil supérieur de l’enseignement recommande une nouvelle architecture linguistique fondée sur le plurilinguisme et l’alternance des langues en vue, entre autres, de faire bénéfi cier équitablement les apprenants de trois langues dans l’enseignement préscolaire et primaire : l’arabe comme langue principale, l’amazighe comme langue de communication et le français comme langue d’ouverture, l’anglais sera introduit en première année du collège (et en quatrième année du primaire à l’horizon 2025). Le conseil prône aussi la diversifi cation des langues d’enseignement en introduisant progressivement l’alternance linguistique comme moyen de perfectionnement des langues en les pratiquant dans l’enseignement de certains contenus ou modules : «c’est ainsi que le français pourra être partiellement langue d’enseignement au lycée à court terme et au collège à moyen terme».