Classes surchargées, niveau « catastrophique »…le sombre constat sur l’enseignement au Maroc
Des classes encombrées, un faible niveau des élèves, une pénurie de matériel pédagogique, un statut social en «déclin», telles sont les conditions dans lesquelles travaillent les enseignants. Ces situations, peu favorables à l’évolution, se répercutent sur la pratique de leur fonction, leur engagement et l’apprentissage des élèves. Elles sont aussi rarement prises en considération dans l’élaboration des politiques publiques.
Métier noble, métier qui participe à la construction d’un bon citoyen, métier de service social. Ce sont là les termes utilisés par les enseignants pour qualifier leur mission quotidienne. Ils portent pour la majorité un regard positif sur leur métier et son rôle dans la société. Toutefois, ils estiment qu’il s’est dégradé au fil des ans. Sur le plan professionnel, l’enseignant serait ainsi un «laissé-pour-compte» des réformes successives tandis que sur le plan social, ils perçoivent, majoritairement, un déclin de leur statut social. L’Instance nationale de l’évaluation auprès du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) s’est emparée de la question des conditions de travail des enseignants. Elle a publié un rapport intitulé «Le métier d’enseignant au Maroc : à l’aune de la comparaison internationale» qui brosse un portrait sombre de la situation.
Des classes surchargées
L’encombrement des classes est la contrainte qui ressort le plus auprès des enseignants, tous cycles confondus. Une problématique décriée par les parents des élèves également. Selon les résultats de l’enquête nationale sur les ménages et l’éducation réalisée par l’Instance nationale d’évaluation, la surcharge des classes est évoquée comme problème actuel de l’école dans 40,7% des réponses. Il vient en quatrième position (sur 9), juste après le faible niveau scolaire (64,9%), l’abandon (45,1%) et le curricula non adapté (43,3%). La problématique se fait ressentir avec acuité au niveau du primaire. Même si la situation s’est en quelque sorte améliorée ces dernières années, des efforts supplémentaires restent à déployer.
Niveau des élèves «catastrophique»
Le faible niveau des élèves est aussi fortement déploré par les enseignants. «Le niveau des acquis des élèves est catastrophique. Il y a des élèves qui ont encore des problèmes avec l’alphabet, et confondent un b et un p», relève un enseignant du lycée. «J’enseigne le français au primaire. Il y à peine 3 à 4 élèves qui suivent le cours, les autres n’y arrivent pas», s’inquiète une autre professeur. Les résultats de l’enquête sont inquiétants. Dans le cycle primaire, ils sont entre 10 et 15 élèves capables de suivre dans une classe de 40. Plus on avance dans les niveaux, moins le nombre d’élèves qui comprenne est élevé. Les déficits s’accumulent et s’aggravent, ce qui rend leur résorption très difficile. Au collège, la proportion des élèves qui n’arrivent pas à suivre baisse légèrement et sensiblement au lycée, mais reste importante globalement.
Absence de matériel pédagogique
Les conditions de travail sont également intrinsèquement liées à l’existence d’équipements. Or, les établissements, surtout ceux du primaire, souffrent pour la plupart d’absence de matériels pédagogique et didactique. «La réforme des programmes est liée à ce matériel et aux nouvelles technologies et celles-ci ne sont pas disponibles. On bricole donc avec nos propres ressources», déplore un enseignant. Les professeurs des matières scientifiques, au cycle secondaire, sont les plus concernés par cette question de matériel pédagogique. «L’enseignement des sciences devrait mobiliser les techniques les plus modernes. Le matériel dont nous disposons est largement désuet, notamment dans les laboratoires mais aussi pour l’enseignement technique», souligne un autre professeur.
Un travail de socialisation auxquels ils ne sont pas préparés
Le milieu scolaire ainsi que les contraintes sociales impactent fortement l’exercice de fonction des enseignants. Ceux désignés dans des quartiers populaires du milieu urbain rencontrent le plus de difficultés. Des contraintes auxquels ils ne sont visiblement pas préparés. En effet, certains de leurs élèves vivent des situations sociales précaires et importent leurs vécus en classe en adoptant une conduite indisciplinée ou au contraire très inhibée. «Nous avons des élèves qui vivent dans la précarité sociale: divorce, prison, chômage des parents, pauvreté… Ils sont victimes de ces situations qui freinent leur apprentissage. Certains d’entre eux deviennent violents en classe et envers leurs camarades», regrette une enseignante au primaire. Faire un travail de socialisation est la réponse naturelle que développe l’enseignant, tout particulièrement ceux du cycle primaire. Pour ceux du secondaire, qui font face à des élèves-adolescents, la tâche est plus compliquée. Les relations enseignant-élève sont parfois tendues avec un risque de dégénération accru, conduisant même à des violences physiques de la part des élèves. Ces sentiments d’insécurité et de violence, subite ou crainte, ont été relevés par les femmes. Elles sont, selon l’enquête, plus exposées en comparaison avec leur homologue masculin.
Relation parents-enseignants ténues et ambivalentes
Le faible engagement des parents dans le suivi de la scolarité de leurs enfants est l’un des premiers obstacles pour la mise en place d’une bonne relation parents-enseignants. En effet, les professeurs considèrent que si les efforts qu’ils déploient en classe n’ont pas d’effet proportionnel sur le niveau des élèves, c’est, entre autres, à cause de la faiblesse du suivi assuré par la grande majorité des parents. Au niveau des zones rurales et périurbaines, un autre phénomène est relevé. Une partie des parents accorde peu d’intérêt à la scolarisation et perçoit «l’école comme une garderie où ils se déchargent de leurs enfants une bonne partie de la journée». Pire encore, certains considèrent l’école comme étant une source de revenu. «Des parents enregistrent leurs enfants uniquement pour bénéficier de l’argent de Tayssir», confie un enseignant. Les professeurs déplorent également l’attitude parfois belliqueuse des parents qui, bien souvent, imputent aux enseignants les résultats décevants de leurs enfants. Ils réclament, pour certains, parfois de manière vindicative, de meilleures notes pour leurs enfants. Par ailleurs, les enseignants affirment également que leurs initiatives individuelles pour susciter un plus grand engagement des parents ont une portée limitée. Les initiatives des établissements qui poursuivent le même objectif sont peu nombreuses et ont un caractère irrégulier.
Tilila El Ghouari / Les Inspirations ÉCO