Carburant : quand la structure des prix freine la baisse

Alors que le marché mondial regorge d’or noir, que les barils s’accumulent et que les cours plongent sous l’effet d’une demande atone, les prix à la pompe au Maroc s’obstinent à rester relativement élevés. Une anomalie apparente qui, loin d’être une exception, révèle les failles d’un système de formation des prix bien plus complexe que les seules fluctuations du Brent. À la veille de la nouvelle révision des prix, un pseudo statu quo semble plus probable qu’un réel allègement pour
les consommateurs.
Le contraste est saisissant. Sur les marchés internationaux, le brut vacille, victime d’un climat économique morose, d’une offre excessive et d’un relâchement stratégique des pays de l’OPEP. Mais dans les stations-service marocaines, l’effet domino ne suit pas. Le consommateur guette, attend une baisse conséquente en corrélation avec le recul des cours de Brent à l’échelle internationale, mais reste sur sa faim. Pourquoi une telle inertie ? Est-ce la preuve d’une déconnexion entre le marché et la réalité ? Ou simplement l’effet différé d’une mécanique tarifaire ?
Des prix en décalage
En théorie, tout semble indiquer une baisse des prix à la pompe pour la prochaine quinzaine du mois, mais les experts ne préfèrent pas s’annoncer sur une éventuelle baisse.
«L’incertitude est de mise. L’évolution du marché demeure empreinte de volatilité. Certes les marchés mondiaux ont connu des fluctuations, mais la tendance écrasante durant les derniers mois est à la baisse. Au niveau local, théoriquement les sociétés de distribution devraient appliquer un léger recul. Dans le cas contraire, il faudra s’attendre à une stabilité des prix à la pompe. Dans ces conditions, le scénario d’une hausse est complètement écarté. En cas de baisse, reste à savoir de combien sera-t-elle», relate Mostafa Labrak, directeur général d’Energysium Consulting et expert en énergie.
Et c’est là que le bât blesse. A la lecture des chutes des cours mondiaux du pétrole, la conclusion tend vers un scénario d’une baisse importante. Or, elle reste infime par rapport au recul constaté des cours mondiaux.
En effet, les deux dernières baisses qui ont été opérées sur le marché marocain n’ont pas dépassé 20 centimes aussi bien pour le gasoil que l’essence. De quoi nourrir l’incompréhension, voire l’agacement d’automobilistes qui, face aux chiffres internationaux, attendent des baisses bien plus marquées. Mais cet écart n’est pas sans explication.
A en croire les professionnels du secteur, elle trouve sa source dans l’architecture des prix des produits raffinés, dont la formation répond à une logique bien plus complexe que la seule évolution du baril de Brent. Car derrière chaque litre payé se cache une mécanique tarifaire composée de multiples leviers, fixes et variables, qui en atténuent ou en retardent les effets.
«Le prix à la pompe n’est pas l’exact reflet du cours du Brent. Deux composantes entrent en jeu, la part variable et la part fixe. La composante variable reste liée au cours du brut, avec un délai de transmission. Quant à la partie fixe, elle comprend les charges relatives au transport, au stockage, à la distribution. S’ajoutent à cela les taxes y afférents. L’effet de change y est également intégré. Il est important de noter que cette composante peut constituer jusqu’à 60% du prix global du carburant raffiné. Autrement dit, même quand le Brent baisse, la répercussion sur le consommateur final n’est ni automatique ni linéaire», développe l’expert en énergie.
Ainsi, il faut du temps, parfois plusieurs semaines, pour que les effets soient visibles à la pompe. Et dans un contexte de régulation renforcée, avec un Conseil de la concurrence très attentif, rappelons-le, les distributeurs avancent prudemment.
L’OPEP rouvre les vannes
Sur le front international, les signaux sont contrastés. Si l’OPEP+ a décidé d’assouplir sa politique en injectant 411.000 barils supplémentaires par jour, en juin, après un retour progressif de 137.000 barils déjà acté. Une stratégie de reconquête de parts de marché qui risque de prolonger l’excédent mondial.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le marché pétrolier serait déjà excédentaire de 600.000 barils par jour. Mais il y a lieu de signaler qu’avec cette révision à la hausse de la production OPEP, ce sont près d’un million de barils supplémentaires par jour qui auront ainsi été remis sur le marché.
Pourtant, les tensions géopolitiques ne sont jamais loin. L’effet des nouvelles taxes douanières américaines sur les importations, notamment automobiles, reste incertain, et pourrait peser sur la demande globale.
Dans ce contexte mouvant, les automobilistes marocains peuvent s’attendre à un statu quo ou, au mieux, à une légère baisse. Si la logique pure plaide pour un ajustement à la baisse, la mécanique du marché, elle, impose sa propre cadence. Un équilibre instable, qui pourrait être bouleversé à la moindre étincelle géopolitique ou à une nouvelle orientation des politiques énergétiques mondiales.
D’ici là, les stations-service continueront d’être le reflet d’un monde où l’abondance de pétrole n’est pas forcément synonyme de carburant bon marché.
Mostafa Labrak
Expert en énergie
«Le prix à la pompe n’est pas l’exact reflet du cours du Brent. Deux composantes entrent en jeu, la part variable et la part fixe. La composante variable reste liée au cours du brut, avec un délai de transmission. Quant à la partie fixe, elle comprend les charges relatives au transport, au stockage, à la distribution. S’ajoutent à cela les taxes y afférents. L’effet de change y est également intégré. Il est important de noter que cette composante peut constituer jusqu’à 60% du prix global du carburant raffiné. Autrement dit, même quand le Brent baisse, la répercussion sur le consommateur final n’est ni automatique ni linéaire.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO