Campagne agricole : l’impasse se prolonge
Très attendues, les précipitations survenues récemment ne sauveront pas la campagne agricole en cours, notamment en raison de l’irrégularité de la pluviométrie. Face à ces conditions climatiques imprévisibles et à la flambée des coûts, la situation se corse. Serait-ce le moment de repenser la politique agricole au Maroc?
Hassan lève les yeux vers le ciel, comme bon nombre de petits agriculteurs, lesquels, par ailleurs, délaissent graduellement l’activité agricole. Depuis des semaines, il guette l’arrivée des nuages, espérant enfin voir tomber des pluies salvatrices, surtout que son champ de blé jaunit de jour en jour sous l’effet d’un soleil implacable. Il sait que, sans précipitations suffisantes, sa récolte sera compromise.
Lorsque les premières gouttes frappent enfin le sol craquelé et rétif à la charrue, Hassan pousse un soupir de soulagement. Mais son espoir est de courte durée. La pluie tant attendue s’avère irrégulière, ce qui anéantit la perspective d’une campagne agricole correcte ou, du moins, qui permettrait de compenser les frais engagés.
Au proie au désarroi, Hassan songe, comme d’autres, à abandonner l’activité agricole, d’autant plus que la cherté des matières premières ne fait qu’aggraver la situation. S’accrocher dans des conditions aussi chaotiques et imprévisibles devient un supplice.
Loin du compte
Certes, les précipitations récentes ont redonné un semblant d’espoir, mais elles ne suffisent pas à compenser des années de sécheresse. Face à ces conditions climatiques particulières, notamment durant l’automne, période de semence, le ciel n’a pas été clément, ce qui complique davantage la situation, comme l’a souligné Rachid Benali, président de la %.
«Les précipitations sont certes toujours bénéfiques, notamment pour la nappe phréatique, mais on ne peut considérer ces pluies de passage comme un événement susceptible de changer la donne. Si ces pluies avaient duré des mois, les effets auraient été visibles. Il n’y a même pas lieu de spéculer, puisque la pluviométrie a été de très courte durée et disparate. Aucun sens économique n’est à tirer de la situation», commente-t-il.
En effet, à l’unanimité, les professionnels du secteur agricole attestent que la situation devient critique et s’aggrave non seulement en raison de précipitations qui se raréfient, mais également de températures anormalement élevées en pleine période hivernale.
Pour Mohamed Tahar Srairi, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II, cette situation pose une question essentielle, le Maroc peut-il toujours se dire pays agricole ? «L’on se rend à l’évidence que l’agriculture marocaine repose en grande partie sur les céréales. Après plus de cinq années de sécheresse, il fallait mettre l’accent sur cette culture, car historiquement, les surfaces emblavées ont toujours représenté entre 50% et 55 % de l’ensemble du territoire. Or, aujourd’hui, ce qui rend la situation encore plus complexe, c’est le manque de données sur les superficies effectivement semées», affirme-t-il.
L’autre enjeu concerne les fourrages pluviaux, indispensables pour l’élevage. Là encore, l’absence de statistiques actualisées empêche une évaluation réaliste de la situation.
«Quoi qu’il en soit, la situation est critique puisque les céréales sont sinistrées et les parcours naturels en grande souffrance», s’indigne-t-il.
Face à ces aléas climatiques, l’expert estime qu’une stratégie solide est indispensable, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il plaide pour une refonte en profondeur des politiques agricoles et insiste sur la nécessité d’avoir des données fiables afin de mener des analyses pertinentes, identifier les failles et proposer des solutions adaptées. Il souligne également que le dessalement de l’eau de mer n’est pas une solution viable pour l’agriculture, mais plutôt pour l’approvisionnement en eau potable, bien que cela ait un coût pour le contribuable.
Pendant ce temps, les petits agriculteurs, étouffés par l’inflation et le manque de soutien, renoncent progressivement à leur activité et fuient les campagnes. Tandis que les grandes exploitations s’équipent de systèmes d’irrigation modernes, les plus modestes, eux, s’effacent lentement du paysage agricole, laissant planer une incertitude grandissante sur l’avenir de l’agriculture marocaine.
Mohamed Tahar Srairi
Professeur à l’IAV Hassan II
«L’on se rend à l’évidence que l’agriculture marocaine repose en grande partie sur les céréales. Après plus de cinq années de sécheresse, il fallait mettre l’accent sur cette culture, car historiquement, les surfaces emblavées ont toujours représenté entre 50% et 55% de l’ensemble du territoire. Or, aujourd’hui, ce qui rend la situation encore plus complexe, c’est le manque de données sur les superficies effectivement semées. Quoi qu’il en soit, la situation est critique puisque les céréales sont sinistrées et les parcours naturels en grande souffrance.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO