Bourse : Quand les entreprises familiales superforment
Pour les professeurs de l’ESCA, l’efficience et la performance des entreprises familiales cotées à la Bourse de Casablanca sont sujettes à débat. Si certaines ont raté le coche avant même de pouvoir prétendre à une cotation, d’autres ont réussi cette transition et prospèrent depuis en Bourse. Détails.
Finacred, Prodec, Comarit… le point commun de ces entreprises familiales n’est autre que leur incapacité à s’inscrire dans la pérennité. Les cas se suivent et ne se ressemblent pas. Si certaines ont souffert d’un manque de gouvernance, d’autres ont manqué de vision sur le long terme ou encore de soutien financier. «Pourtant, une cotation à la Bourse aurait pu les sauver», a suggéré Taieb Berrada, enseignant-chercheur à l’ESCA, lors de la conférence-débat organisée par l’école de management sur le thème «Efficience et performance des entreprises familiales cotées à la Bourse de Casablanca». «Sauf que le marché boursier ne fait pas partie des options de financement pour ce type d’entreprises», avance Badr Benyoussef, directeur développement à la Bourse de Casablanca. Pour celles-ci, une introduction en Bourse est vue comme une consécration ou un objectif à très long terme après avoir épuisé toutes les ressources. Pour le cas de la Finacred par exemple, la société de crédit à la consommation n’a jamais pu franchir le pas de la cotation. Résultat des courses, la société, dotée d’un capital de départ de 40 MDH, n’ayant pas pu résister à la forte concurrence que connaît le secteur du crédit à la consommation, sera liquidée dans un délai maximum de 2 ans. Pour les intervenants du débat, cette société familiale ne s’est jamais donné les moyens de s’agrandir. Pour ce qui est de la Prodec, la situation est plus critique. Après avoir été cédée par la famille Bencherki, le spécialiste de la peinture industrielle a été placé en redressement judiciaire avec une ardoise de 300 MDH de dettes. Le manque de discipline de cette société a induit le fait que le fabricant de peinture soit en proie à de grosses difficultés financières. En cessation de paiement depuis juin 2016, la structure a été cédée à Costa Pro. Mais pourquoi certaines entreprises échouent-elles, sachant que d’autres prospèrent? Ces dernières ont même sauté le pas de la cotation, à l’instar de Dari Couspate, Cartier Saada, Auto Nejma, Unimer, CTM, Afric Industrie, Aluminium du Maroc, Stroc Industrie.. Elles sont considérées comme assez rentables par les professionnels du marché. D’ailleurs, une étude publiée l’année dernière, qui a porté sur un échantillon de 16 entreprises familiales cotées à la Bourse de Casablanca représentant 21,9% de la capitalisation boursière, a prouvé l’efficience du modèle de gouvernance de ces structures. Les résultats du benchmark ont démontré que les entreprises familiales surperforment le Masi en affichant une meilleure rentabilité et des risques inférieurs à l’indice phare de la place. Leurs fondamentaux se révèlent également assez solides pour une croissance sereine à moyen et long termes. Ceci dit, qui dit entrée en Bourse dit ouverture de capital. Or, «la plupart des dirigeants des entreprises familiales sont souvent hermétiques à l’idée de la participation d’un étranger dans le capital de l’entreprise», explique Benyoussef.
Cette réticence à avoir de nouveaux associés provient de la crainte des membres de la famille de perdre la place privilégiée dont ils bénéficient. Il y a un arbitrage entre le risque de «défaillance financière» lié à un niveau d’endettement élevé et la crainte de perdre le contrôle. La transparence également exigée après introduction en Bourse refroidit les dirigeants. L’on peut dire sur ce point que la relation à l’argent dans l’entreprise familiale oscille entre prudence et austérité, un mode de management déconnecté de celui qui des entreprises modernes. «Les décisions stratégiques sont prises au gré des aspirations du dirigeant de la structure: un cadre décisionnel réfutant la compétence des collaborateurs, la réalité du marché, les process et les outils d’aide à la décision», indique Amine Mounir, professeur à l’ESCA, en décryptant l’efficience des entreprises familiales. Selon les professeurs de l’école de management, quatre arguments de poids plaident pour l’investissement dans de telles structures. Les entreprises à caractère familial disposent plus ou moins de stratégies à long terme souvent plus robustes et judicieuses que celles de leurs concurrents. Une grande partie fait preuve d’une gestion prudente du «haut du bilan». Une qualité qui trouve son explication dans la volonté des groupes familiaux de conserver leur essence et de maîtriser leur destinée. En effet, en corrélation avec le premier argument avancé, les familles préfèrent de loin les politiques raisonnables de croissance aux opérations ambitieuses qui nécessitent souvent un recours important à l’endettement. «Or, Les entreprises familiales ont une réticence monstre vis-à-vis de la dette», souligne Badr Habba, professeur à l’ESCA. En troisième lieu, les professeurs citent la propension à redistribuer la création de richesse en faveur de l’actionnaire. Une qualité reconnue qui a même été empruntée par les autres sociétés cotées, au lendemain de la crise boursière. La «marque de fabrique» des sociétés familiales a en effet permis aux autres sociétés de la cote de remonter la pente en procédant à des distributions exceptionnelles de dividende. Enfin, les sociétés familiales se distinguent généralement par une certaine harmonie entre les intérêts fondamentaux des actionnaires et ceux du management. En règle générale, dans les sociétés familiales, les dirigeants issus du «conseil de famille» sont mandatés pour la maximisation de la richesse pour l’actionnaire. Les élans de croissance à haut risque et d’investissements imprudents, pour, parfois, le seul intérêt des managers qui ont leur rémunération indexée au chiffre d’affaires, sont tout simplement réfrénés. La question de la relève entrepreneuriale fait également partie d’une problématique récurrente chez les dirigeants d’entreprise. Selon une étude réalisée par le cabinet d’audit, de conseil et d’expertise comptable BDO en partenariat avec Maroc PME, la Bourse de Casablanca et Maroclear, la transmission relève de plus en plus de la nécessité pour les cédants des entreprises familiales. Pour les repreneurs, elle reste une question de choix et surtout d’opportunités. Cette étude vise à apporter un éclairage sur la transmission des entreprises et susciter une réflexion pour la mise en place d’actions en vue d’encourager et de faciliter le processus de transmission. Les dirigeants décident de céder leur structure pour, avant tout, des raisons liées à la conjoncture du secteur d’activité ou suite à l’appât d’un bon deal (transaction financière), souligne cette étude. Elle relève également qu’en 2016, les dirigeants d’entreprise étaient deux fois plus nombreux à évoquer les raisons liées au secteur d’activité (50% contre 28% lors de la précédente étude), la recherche d’un deal financier (35% contre 15%) ou des raisons liées à la pérennisation de l’entreprise (27% vs 15%). En revanche, les raisons personnelles sont deux fois moins citées (27% vs 55%), tandis que la conjoncture économique prime sur les considérations personnelles. De manière générale, les suggestions pour une amélioration des conditions de la transmission tournent autour, d’une part, d’une meilleure connaissance de l’entreprise cible, de ses dirigeants, de ses partenaires et de ses ressources humaines et, d’autre part, d’un accompagnement par un «homme ressource-clé» tout au long du processus.
D’après l’étude, le portail de la transmission –bien que pâtissant d’une faible notoriété– est plébiscité comme outil pouvant être déterminant en vue de la recherche de cibles et ou repreneurs et, de manière plus générale, du succès de ces opérations.